Villes contre multinationales

Le quartier de Berlin qui a fait plier Google

, par KNAEBEL Rachel

Google installe ses « campus » un peu partout dans le monde. Le modèle est similaire que ce soit à Varsovie, Madrid, Tel Aviv ou São Paulo : un espace ouvert au rez-de-chaussée, des bureaux pour start-ups au premier étage, les bureaux de la firme au-dessus. Bref, des incubateurs à start-ups dont certaines pourraient finalement être rachetées par le géant du numérique. En 2016, Google a annoncé son intention d’installer un tel campus à Berlin. À cet effet, le groupe a acheté un ancien ensemble industriel de briques rouges qui abritait auparavant une centrale électrique, à Kreutzberg, un quartier certes gentrifié, où les loyers montent en flèche, mais aussi très politisé.

Rapidement, le projet de Google a soulevé un vaste mouvement de résistance dans le quartier. Des flyers et des autocollants sont apparus dans les bars et sur les murs du quartier, les premières réunions ont été organisées, les activistes ont fait du porte-à-porte dans les commerces alentours. Les mobilisations ont pris de l’ampleur en 2017, portées par une coalition qui a pris le nom de « Fuck Off Google » et dans laquelle se retrouvaient à la fois des militants anarchistes, des associations de quartier et des activistes de l’Internet libre.

Début 2018 ont commencé les « manifestations de bruit », tous les premiers vendredis du mois. « Elles ne sont pas déclarées à la police, les membres des deux associations de quartier étaient hésitants à y participer au début, et puis ils sont venus eux aussi, rapporte un des activistes du groupe (qui souhaite rester anonyme). En deux ans de lutte, nous nous sommes tous plus ou moins accordés sur le consensus de ne pas aller parler aux politiques, et surtout de ne pas parler à Google. » En septembre 2018, ils parvinrent à occuper le site, encore en travaux, pendant quelques heures, avant d’être délogés par la police.

Mais la lutte a fini par payer. Google a bel et bien effectué des travaux sur le bâtiment, mais a finalement annoncé à l’automne 2018 l’abandon de son projet de campus. Le bâtiment sera loué pendant les cinq prochaines années à deux entreprises sociales actives dans l’aide aux personnes sans domicile. « La victoire est symbolique », tempère l’activiste. Car Google a acheté des bâtiments dans un autre quartier de Berlin, qui est déjà largement une zone de bureaux.

Ici, l’enjeu de la gentrification par l’économie des nouvelles technologies et des sites de grandes multinationales rejoint celui de la surveillance de masse et des ambitions totalitaires de Google et de sa maison mère, Alphabet. « Dès la première semaine du mouvement, nous avons reçu des messages de soutien de collectifs de San Francisco, de San José, de Toronto… », signale le militant berlinois. Autant de groupes qui luttent contre la mainmise de Google-Alphabet dans les villes où elle s’implante. Dans la métropole canadienne, Alphabet veut construire un quartier entier via sa filiale Sidewalk Lab. Une « smart city de la surveillance » (comme l’a titré The Intercept) qui suscite une forte opposition des habitants de Toronto. À Berlin, la lutte contre le projet de Google Campus a aussi été « un terrain de partage des connaissances sur la décentralisation des communications et des données », note l’activiste. Et ce n’est pas terminé. Les rencontres des « anti-Google café » se poursuivent, mais dans le quartier de Mitte, à quelques rues de là, où la firme a finalement installé ses bureaux.