Iran : la fin de l’isolement ?

L’espoir déçu de la population iranienne

, par AFPICL-BU HDL

Les sanctions économiques ont eu un impact très lourd sur la vie quotidienne des 80 millions d’Iraniens qui ont dû s’organiser pour y faire face. Le chômage, l’inflation, la chute de la monnaie (le rial) ont été le lot quotidien d’une grande partie de la population iranienne pendant des années. Même si les Occidentaux ont été clairement présentés comme les responsables de l’embargo, une partie de la population s’est peu à peu retournée contre la politique dictatoriale du président Ahmadinejad et son errement sur la question nucléaire lors de son second mandat (2009-2013). L’accord sur le nucléaire en 2015 a suscité une vague d’espoir en un avenir meilleur. A l’inverse, le Guide suprême et les plus conservateurs s’inquiètent d’une occidentalisation possible de la société iranienne si des échanges réguliers se mettent en place. Globalement, le quotidien des Iraniens n’a guère changé depuis la levée effective des sanctions.

Bazar de Téhéran
Photo : Stéphane Charles

Les aspirations de la jeunesse iranienne

De nombreux jeunes, garçons et filles, avec ou sans diplôme, vivent de petits boulots, mal rémunérés et sans aucune couverture sociale. L’Iran possède la troisième population d’ingénieurs au monde, mais beaucoup exercent un travail précaire ou quittent le pays, faute d’emplois dans leurs spécialités. Parfois jusqu’à 100 % des promotions de masters des meilleures universités s’expatrient, en général pour les États-Unis ou le Canada [1]. Le régime des mollahs fait peser une lourde chape de plomb sur la jeunesse iranienne. Face à ce régime qui étouffe les libertés individuelles, les jeunes s’organisent pour contourner les multiples interdits de la République islamique, soit dans la sphère privée, derrière les murs, soit loin des regards inquisiteurs de la très crainte milice religieuse. Cette dernière, composée d’hommes et de femmes appelés les Basidjis, est en effet chargée de surveiller les citoyens, veiller aux bonnes mœurs et au respect de la tenue vestimentaire, notamment par les femmes. Elle peut arrêter celles et ceux qui transgressent les règles et les punir. La jeune génération, instruite, n’a connu que la théocratie. Elle aspire à plus de liberté d’expression, plus de démocratie, à l’égalité femmes-hommes, et réclame du travail.

Une société civile fragilisée

Le président Khatami a favorisé la progression de la société civile lors de son mandat de 1997 à 2005. Ainsi on dénombrait plus de 28 000 ONG en 2005, celles de femmes passant d’une cinquantaine en 1995 à 1000. L’augmentation des associations a permis aux citoyens de commencer à se faire entendre. Certains se sont risqués à demander plus de liberté d’expression. Des mouvements se sont développés : celui des étudiants pour revendiquer une démocratisation du système politique, même après les répressions de 1997 et 2003, celui des intellectuels pour rejeter l’islam politique [2]. Mais la période du président Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) a été marquée par une répression des intellectuels, des mouvements de femmes, des étudiants, des journalistes et une déstructuration des organisations de la société civile. Les arrestations politiques et les exécutions ont augmenté, exacerbant les revendications et la résistance sous différentes formes aux régimes des mollahs.

Le Mouvement vert, expression de la citoyenneté

« Où est mon vote ? » Elections présidentielles en Iran en 2009
Photo : harrystaab, 16 juin 2009

Le Mouvement vert a été le point d’orgue d’une réaction de mécontentement de la population. Il est né dans les grandes villes de la volonté des classes moyennes, des jeunes, des déçus de la présidence d’Ahmadinejad, de soutenir des réformateurs lors des élections présidentielles de 2009. L’objectif premier était de revendiquer la démocratisation. Mais à l’annonce de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, le mouvement a manifesté contre la fraude électorale avec son fameux slogan « Où est mon vote ? ». Cette contestation a été violemment réprimée (plus d’une centaine de morts, des milliers d’arrestations dont celles des leaders du mouvement, des personnes torturées). Le Mouvement vert, au-delà de la revendication d’un pluralisme politique, a soulevé la question de la citoyenneté. S’il n’est plus en capacité aujourd’hui de rassembler les foules, il demeure très présent dans les esprits.

Activisme sur Internet

Propagande dans les rues d’Ispahan
Photo : Stéphane Charles

L’activisme sur les réseaux sociaux et sur Internet est une de ces nouvelles formes de résistance au régime iranien. Les chiffres sont éloquents : un peu plus de 39 millions d’Iraniens ont accès à Internet [3], soit 49 % de la population. Mais les autorités iraniennes ont l’habitude de ralentir, voire de bloquer Internet dans des moments cruciaux comme les élections. Certains accès à des sites sont bloqués comme ceux des partis d’opposition (Conseil national de la Résistance iranienne, Comité de soutien aux droits de l’homme en Iran). Les internautes iraniens utilisent les logiciels de contournement pour diffuser leurs opinions, non sans danger car la résistance sur internet peut coûter la vie. Le blogueur Sattar Beheshti est mort sous la torture dans la prison d’Evin pour avoir critiqué les dirigeants iraniens. « Officiellement destinées à protéger la population contre des contenus immoraux, la censure et la répression se sont étendues aux informations politiques, traitant de religion ou encore aux sites consacrés aux droits fondamentaux et notamment ceux des femmes » déclare Reza Moini, responsable du bureau Iran/Afghanistan de Reporters sans frontières [4].
En août 2016, l’Iran a financé et lancé son propre Internet national, coupé du reste du Web mondial, et a développé une version locale de plateformes telles le réseau social Cloob ou Aparat, version iranienne de YouTube. Et ce, pour mieux censurer les informations et surveiller les connexions. La levée des sanctions a-t-elle précipité la réalisation de ce projet en vue de « protéger » les Iraniens de la culture occidentale ? Beaucoup d’Iraniens sont en attente d’une société moins contrôlée, moins sous l’emprise des mollahs. L’accès libre à Internet et les libertés publiques ont pourtant fait partie des promesses du président Rohani pendant sa campagne en 2013. Sans doute ne faut-il pas perdre de vue que le système politique iranien est complexe et que le président ne possède pas tous les pouvoirs, loin de là.

Triste bilan des droits de l’homme

La peine de mort est toujours appliquée en Iran. C’est le pays qui compte le plus de mineurs en attente de leur exécution en 2016 en violation du droit international. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’Iran annonce 966 pendaisons survenues en 2015 dans son dernier rapport présenté le 14 mars 2016 au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Ce chiffre est sans doute en-dessous de la réalité. Entre 2014 et 2015, 16 mineurs ont été exécutés. Les autorités iraniennes annoncent que la plupart de ces exécutions sont dues à des trafics de drogue. De nombreux accusés sont privés de jugement équitable et d’avocats. La torture et les châtiments corporels (flagellation, amputations, etc.) sont toujours pratiqués, l’Iran n’ayant toujours pas signé, ni ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La censure est très présente et frappe le monde culturel iranien (poètes, cinéastes, dessinateurs, etc.). La liberté d’expression est toujours restreinte : la presse est contrôlée, des journaux sont interdits ou suspendus tels le magazine féminin « Zanân Emrouz », les réseaux sociaux sont bloqués, des journalistes, des artistes, des syndicalistes, des étudiants, des militants des droits de l’homme, des opposants politiques, des activistes sur les réseaux sociaux arrêtés arbitrairement, des manifestations réprimées, des discriminations subies par les femmes, les minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Le 15 novembre 2016, une nouvelle résolution de l’ONU a été adoptée, elle dénonce les violations des droits de l’homme perpétrées en Iran. La libération des prisonniers politiques, dont le nombre est estimé à près d’un millier, ainsi que la fin de la mise en résidence surveillée des dirigeants du Mouvement vert demeurent des revendications des électeurs de Rohani. Avec 24 journalistes et blogueurs emprisonnés en 2016, l’Iran occupe la 169e place (sur 180) dans le classement de Reporters sans Frontières en 2016.

La résistance des Iraniennes

En Iran le code de la famille infériorise les femmes iraniennes OU Campagne de collecte de signatures pour exiger l’égalité juridique entre les hommes et les femmes en 2006. Photo : Hugo,7 mars 2009

Comme dans la plupart des pays, les femmes iraniennes doivent se battre pour conquérir des droits. Le code de la famille les infériorise, une liste sans fin d’interdits leur est imposée, leur place dans la société est sous contrôle. Malgré tout, elles sont de plus en plus instruites (60 % des étudiants sont des femmes), se marient plus tard et ont en moyenne deux enfants contre sept en 1986. Cette chute de la natalité déplaît aux autorités iraniennes qui ont interdit certains moyens de contraception. Comme les hommes, elles sont préoccupées par le chômage qui les touche de plein fouet ce qui explique la montée de la pauvreté chez les femmes seules. 14 % des femmes travaillent d’après les statistiques officielles, peut-être un peu plus en prenant en compte celles qui travaillent au noir. Dans le domaine politique, elles gagnent du terrain. Ainsi aux élections parlementaires de 2016, 17 femmes ont été élues contre 9 précédemment. Elles sont aujourd’hui plus nombreuses que les députés religieux. C’est une première depuis la révolution islamique de 1979. Les femmes occupent également plus de postes de vice-présidentes, gouverneures, conseillères municipales, maires.
L’accord sur le nucléaire et l’ouverture possible du pays font craindre aux conservateurs que les Iraniennes revendiquent plus ouvertement des droits [5]. Le mouvement féministe iranien est né dans les années 1990. Les féministes ont organisé en 2006 une campagne de collecte de signatures pour exiger l’égalité juridique entre les hommes et les femmes. La répression a été sévère sous la présidence d’Ahmadinejad à l’encontre de ce type de mouvements revendicatifs, en particulier au moment du Mouvement vert. Aujourd’hui, se déclarer féministe en Iran n’est toujours pas anodin [6].
Les Iraniennes résistent individuellement ou collectivement aux contraintes imposées par la République islamique pour se faire une place dans la société iranienne. Pour l’anthropologue Nasser Fakouhi, « l’avenir de l’Iran, ce sont ces femmes. Ce sont elles qui vont parvenir à faire bouger les lignes » [7].