Développement local et décentralisation au Togo : quels effets ?

Emergence d’une dynamique d’économie locale : cas de l’unité de transformation de manioc de Gadjagan

, par IRFODEL , ADJAKLY-DANFAR Noël Eklou

Le deuxième millénaire enregistre une forte mobilisation des pays et communautés pour l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). L’un de ces objectifs est la réduction de la pauvreté et de la faim et des inégalités de tous genres est observée dans les pays en voie de développement.

Ce premier objectif du millénaire pour le développement ne peut se réaliser que par le développement des territoires. Celui-ci suppose l’existence et l’exploitation à visage humain de ressources tant naturelles, humaines que financières. La combinaison de ces facteurs est nécessaire à la création des richesses capables d’améliorer le quotidien de l’homme, acteur principal de ce développement. Ce lien, M. E. CHASSAGNE, le décrit à travers sa définition du développement : « le développement local est la démarche de ceux qui ne veulent pas que l’avenir leur tombe sur la tête ». Il s’agit d’un développement multi-sectoriel qui s’articule autour des trois axes suivant : territoire – acteurs – actions et qui prend en compte l’écoute du berceau afin de créer des dynamiques génératrices d’un mieux-être aux populations ou encore des dynamiques d’économie locale.

Cette démarche, certaines communautés l’ont comprise, comme le cas du village de Gadjagan au sud ouest du Togo. Ce village a entrepris une mobilisation sociale pour son développement, il y a plus d’une dizaine d’années. Celle-ci a abouti à la mise en place d’activités socio-économiques au rang desquelles l’unité de transformation de manioc, FOGA Production. C’est une féculerie au cœur de la promotion de la filière manioc dans la région des plateaux et une solution pour freiner l’exode rural dans la zone.

  • Quel est le contexte géographique d’une telle initiative ?
  • Comment est-elle née ?
  • Quelles sont les enjeux pour les promoteurs et la population ?
  • Quelles conclusion à valoriser pour le compte d’autres communautés ?

Voilà autant de questions que tente d’expliquer le présent article que nous vous proposons. Il est élaboré à partir d’une analyse de la situation et des témoignages d’acteurs du projet.

Contexte géographique : présentation du village de Gadjagan

Avant de parler de la genèse de la Féculerie FOGA-Production, il est intéressant de donner une brève présentation de son contexte géographique : le territoire de Gadjagan.

C’est un village situé à 100km de la capitale Lomé, dans la préfecture d’Agou (région des Plateaux), à 20 km de la ville de Kpalimé. Village pratiquement au pied du mont Agou, il jouit d’un climat tropical humide avec une population d’environ 3 000 habitants selon le recensement local de 2004. Cette population pratique à plus de 70% l’agriculture (manioc, maïs, soja, haricot, riz, palmier à huile, etc.) et la sylviculture (teck). Il faut noter également certaines activités commerciales développées par les femmes du milieu (stockage et vente de céréales, transformation, petits commerce, etc.).

Gadjagan, c’est aussi un village avec des infrastructures socio-communautaires (une école primaire avec jardin d’enfants et un collège pour la promotion de l’éducation, un dispensaire), des groupements de producteurs agricoles, de transformatrices (préparation d’huile de palme, de savon, etc.), des groupes de danses traditionnelles folkloriques, des cadres de haut niveau, une régence (après la mort du Chef canton de Gadja). Tous ces acteurs animent la vie socio-culturelle et économique du village.

Des actions de développement et la naissance de FOGA-Production

1) Le fonds de développement de Gadjagan et ses ambitions
Dans la recherche de solution pour le développement de milieu, le chef canton, feu Agbakla II a convoqué une assemblée villageoise sur l’initiative des cadres du village. Cette assemblée qui s’est tenue au cours de l’année 2001, devrait poser un diagnostic clair des problèmes auxquels le village est confronté pour son développement et essayer de trouver des pistes de solutions.

Une sorte de plan d’action était alors élaboré avec pour une priorité : la mise en place d’un fonds communautaire dénommé Fonds de Développement de Gadjagan (FOGA) qui s’est concrétisé en août 2011. Ce fonds a connu une grande adhésion populaire : chaque ménage du village a contribué d’un minimum de 5.000 FCFA. Le gros du financement du fonds est apporté par la diaspora des ressortissants en l’occurrence les cadres du village. Mais également, le village a reçu un appui des sympathisants et amis soucieux d’accompagner le processus de développement du canton (c’est le cas de la ville de Toun en Suisse, partenaire du village). Il est important de rappeler que bien avant la mise en place de FOGA, le développement du village était amorcé. Gadjagan était un village électrifié avant les années 2000 et disposait d’un système d’adduction d’eau potable avec des bornes fontaines. Une situation à fort potentiel de développement puisqu’elle devait contribuer à asseoir les autres actions comme le cas de la féculerie FOGA-Production.

En tenant compte des atouts et des potentialités du village, le fonds de développement de Gadjagan ambitionne une vision avec des objectifs autour des projets de développement économique du village comme celui de la création d’une féculerie.

Les principaux objectifs du Fonds sont :

  • Le financement de projet de développement dont, à titre prioritaire, le projet de production améliorée de manioc et de transformation en produits dérivés, notamment le tapioca, l’amidon et le gari ;
  • La mobilisation d’encadreur pour l’éducation et la formation du monde paysan local en groupements de production dans le but de rationaliser et d’accroître les rendements agricoles ;
  • L’implantation d’une féculerie locale dont la production est destinée au marché intérieur et extérieur ;
  • À titre subsidiaire, le financement de tout projet concourant au renforcement des
    capacités en vue de consolider le projet de féculerie et le revenu du monde paysan.

2) La Féculerie FOGA-Production
La féculerie FOGA-Production a vu le jour en octobre 2003 sous un statut de Groupement d’Intérêt Economique (GIE). Dotée d’un capital de 50 millions de francs CFA, elle a pour but d’offrir à la population du village, une activité génératrice de revenu susceptible d’améliorer ses conditions de vie. Ses objectifs spécifiques sont :

  • La formation des groupements aux techniques modernes de production du manioc ;
  • La production encadrée de manioc sur 30 hectares au démarrage avec une extension progressive dans tout le canton ;
  • Un rendement de 25 tonnes à l’hectare avec des variétés de manioc améliorées ;
  • Une négociation et une location des terres de production dans le canton,
  • Une transformation de toute la production principalement en fécule (amidon), en tapioca et en gari dans une usine appartenant au projet.

Pour atteindre ses objectifs, FOGA-Production collabore avec des partenaires tels que ITRA (Institut Togolais de Recherche Agronomique), ICAT (Institut de Conseil et d’Appui Technique), SASSAKAWA Global 2000 du Bénin, BANAMBA S.A., PUFS (Projet d’Utilisation du Fonds Suisse), BCGO (Bureau de Conseils en Gestion et Organisation) et des partenaires Suisses de la ville de Toun.

a- Une unité de transformation
Installée sur un terrain de 1,5 hectare, l’usine FOGA-Production a une capacité de traitement de 6 tonnes par jour. Mais actuellement elle tourne à 5 tonnes/jour. Elle dispose de 50 hectares pour son exploitation agricole avec un taux moyen de superficie emblavée de 50% à 70% suivant la petite et la grande campagne avec un rendement moyen de 20tonne/ha.

FOGA Production dispose à ce jour d’une main d’œuvre plus ou moins qualifiée et des matières premières nécessaires pour les différentes activités. Elle emploie quatre personnes permanentes et deux gardiens auxquels s’ajoute une cinquantaine d’ouvriers par jour dont plus une vingtaine est quasi permanente. L’usine emploie également une main d’œuvre importée d’Anfoin (Préfecture des Lacs) ou de Vogan (Préfecture de Vo) pour la cuisson du Gari et du Tapioca.

En effet, les femmes de ces villages (plus de 150km de Gadjagan), au sud-est du Togo ont une certaine dextérité dans la production artisanale du gari et du tapioca. Leur présence permet de renforcer progressivement le savoir-faire des ouvrières locales dans ce domaine. L’ensemble des ouvriers et du personnel de la féculerie bénéficie d’une assistance technique de l’ITRA et du BCGO en vue d’offrir de meilleurs produits aux clients.

FOGA Production intervient dans la production et la transformation de manioc en amidon et ses dérivés. La gamme de produits qu’offre l’unité comprend : le fécule ou l’amidon, le tapioca, le gari, le tourteau, la cossette, l’épluchure du manioc.

b- Production du manioc
Dans sa structuration organisationnelle, l’usine a initié 14 groupements de paysans dont la composition varie de sept à dix membres qui alimentent quotidiennement l’unité en matière première : le manioc. Ces groupements exploitent 50 à 70% des terres cultivables disponibles. Chacun de ces groupements a souscrit aux parts sociales du projet et bénéficie d’un appui financier et d’un suivi technique. L’appui financier aux groupements est octroyé sous forme de crédit de campagne. Les groupements bénéficient entre 3,5 et 4 millions de Francs CFA chaque année pour la campagne agricole.

c- Quelques résultats de la gestion de l’unité
L’analyse du compte d’exploitation de l’unité montre une distribution de revenu de près de 14 millions de Francs CFA à l’ensemble du personnel, des ouvriers et des groupements de FOGA-Production en moyenne chaque année. Toutefois, les recettes annuelles de la féculerie sont en rouge car elles n’ont pas franchis la barre de 10 millions de franc CFA ces cinq dernières années.

La féculerie FOGA-Production est un géant au talon d’Achille, vue sa contribution substantielle à un mieux être du village (population et ouvriers résidents) et ses multiples difficultés. En effet, l’unité souffre de quelques insuffisances liées à son fonctionnement, à la culture du manioc, à sa transformation (la presse, le séchage) et surtout à la commercialisation. Pour ce dernier cas, FOGA ne dispose pas d’une véritable stratégie marketing : prix pas très compétitif, clientèle très limitée. Plus de la moitié de sa production est exporté (Belgique, France, Ghana) avec ses plus gros clients Femme d’Afrique et Ferme Nuadzi. Le reste est écoulé sur le marché togolais avec surtout les supermarchés comme Ramco, Leader Price, Samaritaine, etc. Dans les deux cas de l’exportation et de la vente locale, les produits coûtent chers selon les clients et le taux d’écoulement très faible.

Cette situation a obligé les initiateurs et responsables de la gestion de l’unité à recourir aux services de diverses structures comme le Projet d’Utilisation du Fonds Suisse (PUFS pour appui financier), le Bureau de Conseil en Gestion et Organisation (BCGO pour un diagnostic organisationnel et opérationnel pour une stratégie de redressement), l’Institut de Conseil et d’Appui (pour les questions de production et agricoles). Malheureusement de graves incidents pathologiques liées à l’exploitation des terres à fait perdre près de 20 ha des terres cultivées à FOGA. Ce qui remet en question la disponibilité de matières premières suffisantes pour faire tourner l’usine. Ceci plonge celle-ci dans une phase de déséconomie d’échelle depuis environ six (6) ans. Une piste de solution est également en train d’être explorée avec l’Institut Togolais de Recherche Agronomique (ITRA).

Conclusion

FOGA-Production reste une initiative endogène de développement économique. Même si sa pérennité est remise en cause, elle a atteint la plupart de ses objectifs :

  • Une initiative qui a freiné l’exode rural dans le village : depuis la création de l’unité, il y a moins de départ des jeunes vers la ville de Lomé. Beaucoup de jeunes qui étaient partis en ville retournent au village pour y trouver leur quotidien en travaillant à la féculerie ;
  • Une initiative qui participe au développement économique du pays : FOGA-Production n’emploie pas que des autochtones pour son personnel et ses ouvriers. Environ 30% sont des étrangers. Ces derniers investissent l’argent gagné dans le développement de leur famille ou de leur communauté. C’est le cas des cuiseuses d’Anfoin et de Vogan, de quelques ouvriers venus de Danyi, Tsévié, Gapé et aussi du Directeur Exécutif et du Chef de production ;
  • Une source de revenu disponible et permanente aux populations : comme le confirme ce témoignage qu’on entend souvent chaque matin « je vais à Cassava Kpédzi [1]. Au moins je suis sûr de revenir avec quelque chose (de l’argent) ».

La communauté de Gadzagan est résolument tournée désormais vers son développement. Le défi révèle cependant des difficultés financières, matérielles et organisationnelles qui ont besoin d’appui d’institutions diverses pour être résorbées.

La démarche d’acteur de développement que constitue FOGA-Production est une initiative à encourager et à appuyer, voire à vulgariser auprès d’autres communautés pour leur développement.