Des migrations mondialisées et criminalisées

Introduction

, par RTM

« Nous sommes parents, amis et amies de personnes décédées, portées disparues et/ou victimes de disparitions forcées le long des frontières terrestres ou maritimes, en Europe, en Afrique, en Amérique.
Nous sommes des personnes qui ont survécu à la tentative de traverser les frontières à la recherche d’un avenir meilleur.
Nous sommes des citoyen·e·s solidaires qui aident les immigré·e·s durant leur voyage en fournissant une aide médicale, de la nourriture, des vêtements et un soutien lorsqu’ils se trouvent dans des situations dangereuses pour que leur voyage ait une bonne fin.
Nous sommes des activistes qui ont recueilli les voix de ces immigrés et de ces immigrées avant leur disparition, qui s’efforcent d’identifier les corps anonymes dans les zones frontalières et qui leur donnent une sépulture digne.
Nous sommes une grande famille qui n’a ni frontières ni nationalité, une grande famille qui lutte contre les régimes de mort imposés à toutes les frontières du monde et qui se bat pour affirmer le droit de migrer, la liberté de circulation et la justice globale pour tous et toutes.
Année après année, nous assistons aux massacres en cours aux frontières et dans les lieux de détention conçus pour décourager les départs des personnes migrantes. Nous ne pouvons pas oublier ces victimes ! Nous ne voulons pas rester silencieux face à ce qui se passe !
Migrer pour vivre, pas pour mourir !
Ce sont des personnes, pas des chiffres !
Liberté de mouvement pour tous et toutes ! »
 [1]

Cet appel est lancé alors que la migration, et en particulier l’immigration, sont devenues des questions politiques nationales et internationales majeures. Le discours public sur les migrations est devenu un sujet brûlant laissant peu de place à des analyses équilibrées, rigoureuses et fondées sur des éléments factuels. La « toxicité » du débat sur les migrations s’est intensifiée ces dernières années, la politique de la peur et de la division orientant les discussions.
De plus en plus, l’obstruction et la désinformation s’inscrivent dans le cadre d’efforts tactiques de conquête du pouvoir, ce qui entraîne un impact négatif sur le discours public, politique et sur les médias sociaux. On retrouve fortement cet effet sur les valeurs sociétales et sur des questions de politique publique telles que les migrations, les déplacements et les migrant·es (dont les réfugié·es ou demandeur·ses d’asile).

Camp Lesbos
Image : Yves Bernardi Pixabay

Ce dossier propose de sortir de l’urgence des actions de solidarité avec les personnes isolées subissant la misère, la répression et le poids de démarches administratives infernales pour prendre le temps de partager des connaissances et d’approfondir les réflexions sur les questions d’exil.
Quelles sont les conséquences des politiques migratoires françaises et européennes sur la liberté de circulation et d’installation reconnue dans l’article 13 de la Déclaration universelle des droits humains : « toute personne a le droit de quitter le pays où elle se trouve, y compris le sien » ?

La France, pays d’immigration depuis la seconde moitié du XIXe siècle, s’est ouverte aux travailleur·ses étranger·ères et à leurs familles tant qu’elle a eu besoin d’accroître sa population active pour appuyer sa croissance économique sans réelle politique publique d’immigration.
Depuis, les frontières se ferment de plus en plus à une immigration dite « subie » pour ne laisser filtrer que des migrant·es « choisi·es » sur critères économiques, de préférence avec un bon niveau de formation.

À partir de 1986, une avalanche de lois sont votées en France concernant l’immigration, l’asile ou la nationalité tous les gouvernements français s’y sont essayés avec un durcissement progressif afin de « mieux contrôler l’immigration » en parallèle avec la montée de l’extrême droite .
Cette accumulation législative a entraîné une criminalisation et une précarisation de l’immigration.
Les demandeur·ses d’asile sont considéré·es avec méfiance et doivent franchir une succession d’obstacles pour espérer faire reconnaître leur droit à être protégé·es. Les rangs des « étranger·ères en situation irrégulière » ou « sans-papiers » grossissent, ce sont des proies faciles pour les réseaux mafieux, les passeurs, la prostitution et le travail clandestin.
Certaines de ces lois ne sont que des transpositions de la législation européenne dans la loi nationale, le rejet de l’immigré·e se superposant à un sursaut nationaliste qui progresse dans toute l’Europe.

Cette évolution, qui restreint le droit de circulation des personnes, est commune à tous les pays industrialisés, dans un monde où, par ailleurs, les marchandises et les capitaux circulent librement.
Pourtant, les événements migratoires et les déplacements sont toujours la cause de beaucoup de souffrances, de traumatismes et de milliers de morts.
Ainsi, par exemple des millions de personnes ont été déplacées en raisons de conflits en République arabe syrienne, au Yémen, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et du Soudan du Sud et plus récemment en Ukraine...
Des millions de Vénézuélien·nes ou d’Afghan·es ont dû fuir à cause de l’instabilité politique et économique de leur pays.
Des déplacements de grande envergure ont aussi été causés par des catastrophes liées au climat en Chine, aux Philippines, au Bangladesh, en Inde, aux États-Unis ou en Haïti...

On estime que plus de 280 millions de personnes n’habitent plus dans leur pays ou région d’origine mais, contrairement aux idées reçues, l’Europe n’est pas assaillie de toutes parts par ces exilé·es. La plupart des personnes qui migrent vont dans des pays voisins du leur, alors que ces conflits et dérèglements sont souvent dus aux entreprises transnationales ou aux États occidentaux.