Rio + 20 face à l’ Économie Verte

Par Leonardo Trindade

, par Na Beirada

Cet article a initialement été publié en portugais, et il a été traduit par Jean-Luc Pelletier, traducteur bénévole pour rinoceros.

Sans vouloir être exagérément alarmiste, je pense réellement que la crise que nous vivons est non seulement environnementale, mais aussi économique, politique, sociale, ... en somme, une crise du mode de vie capitaliste occidental, de son productivisme et de son consumérisme effrénés.

Au niveau national ( ndtr : c’est à dire au Brésil ), les informations récentes concernent la reprise des projets de centrales nucléaires, l’exploitation du pétrole du Pré – sal, avec tous les risques que cela comporte, les grandes centrales hydro-électriques d’Amazonie et le démantèlement du Code Forestier au profit de l’oligarchie agricole.

C’est dans ce contexte que va avoir lieu, du 20 au 22 juin 2012, à Rio de Janeiro, la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable, plus connue sous le nom de Rio + 20. Officiellement les thèmes inscrits à l’ordre du jour sont l’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté, ainsi que la structure institutionnelle pour le développement durable, thèmes que nous avons déjà traités ici. Thèmes par ailleurs proposés par le Brésil !

Il s’agit de thèmes dangereux que nous devons démasquer et réfuter de toutes les façons possibles jusqu’au jour de la conférence et au-delà. Ne nous laissons pas berner par le titre avenant et apparemment bien intentionné : l’économie verte. En ce moment, toute parole affublée de l’adjectif « vert » me met au contraire sur la réserve.

Cette expression a été crée uniquement pour éviter les interprétations ambiguës, sources à ce jour de tant de controverses au sujet du terme « développement durable », afin de le rendre plus conciliant aux intérêts du libre marché. L’économie verte dont on débattra au Rio + 20 est fondamentalement identique au capitalisme traditionnel, remodelé face à la crise actuelle qu’il a lui même fait éclater, et élargi aux moyens de privatisation d la nature. Comme le dit Léonardo Boff récemment sur son blog :

On parle d’économie verte pour éviter la question de la durabilité, qui est en opposition au mode de production et de consommation actuel. Mais dans le fond, il s’agit de mesures qui se situent à l’intérieur de ce même paradigme de domination de la nature. Pour nous assurer une production, nécessaire à la vie, qui n’agresse ni ne dégrade la nature, nous avons besoin d’aller au-delà de la recherche du vert. La crise est conceptuelle et non économique.

Pour mener à bien ses objectifs, il y deux stratégies principales qui seront proposées et mises en place:1- l’élargissement de la privatisation et de la commercialisation de la nature comme marchandise, et de ses fonctions de service ; 2 – le développement et la promotion de nouvelles technologies ainsi qu’une grande utilisation de la biomasse. Solutions, bien entendu, conformes au cadre de référence de l’éco-efficience et de l’éco-capitalisme. Un peu partout, pas mal de gens doivent se dire : ne te l’avais-je pas dit ? Je le savais déjà.

Il découle de la première stratégie que l’idée de base est de mettre en œuvre les moyens d’attribuer un prix à l’ensemble de la nature et de ses fonctions, tout en disant qu’il s’agit d’estimer sa valeur.
De quelle façon ? Grâce aux dénommés PSE, c’est-à-dire, le Paiement pour Services Environnementaux (ou éco-systémiques). Il s’agit en fait de redéfinir le rôle de la nature et de la biodiversité en termes de « biens et services », afin de les marchandiser, de la même façon que sont conduits actuellement les projets REDD, relatifs aux compensations des émissions de carbone.

Les PSE vont entraîner d’énormes conflits à l’intérieur des groupes indigènes, paysans et des autres communautés traditionnelles car il va falloir inventer les « propriétaires » de ces biens et fonctions de l’écosystème, ainsi que des connaissances de la biodiversité, provoquant ainsi des rivalités pour bénéficier de leur commercialisation. Mais de quelle façon établit-on un prix et le paye-t-on, pour des biens, fonctions et connaissances qui ont toujours été communs et partagés ?

Sans parler de la pression qui sera exercée sur ces groupes humains par des organismes sans scrupule, à travers des brevets et autres „recours“ légaux et illégaux, éthiques ou non, pour convertir la nature et les connaissances en « commodities » commercialisables sur les marchés spéculatifs. Les mêmes casinos globaux où se joue aujourd’hui l’avenir de millions de personnes.

À la place d’une véritable reconnaissance sociale du rôle historique et actuel des communautés indigènes et des agriculteurs locaux pour la protection de la biodiversité ainsi que pour la production d’aliments pour l’humanité, qui devrait se traduire par un appui à l’exercice effectif et global de leurs droits (incluant le droit à la terre et à la culture), l’économie verte substitue ces mêmes droits aux transactions commerciales, et ce qui devrait relever de politiques publiques par la compétition du marché.

L’autre stratégie, le développement et l’utilisation des nouvelles technologies, s’érige comme moyen d’affronter la crise, car elle revitalise l’industrie avec de nouvelles sources de profit. Les investissements pour breveter les formes de vie les plus variées aident l’industrie pharmaceutique et celle des cosmétiques. La biotechnologie crée, littéralement, des micro-organismes spécialisés dans la production de certaines substances, par exemple à partir de la cellulose, revitalisant ainsi l’industrie chimique. Pendant ce temps, les grandes transnationales agro-alimentaires fournissent le monde entier avec leurs semences génétiquement modifiées ( sujet déjà traité dans un autre article ), ruinant les cultures, les écosystèmes et la biodiversité.

Toutes ses « avancées » technologiques apportent avec elles les risques inhérents à toute nouveauté ; il n’existe pas de base de données suffisamment ancienne et fiable sur laquelle s’appuyer pour mener des analyses. Cependant, conformément à l’ancienne croyance selon laquelle le marché s’auto-régule, ce qui interdit toute action de l’État (voir même, parce qu’il est contrôlé par ces mêmes agents qui développent et utilisent ces technologies), le principe de précaution est relégué au nom du profit facile et rapide. Il me semble inacceptable que des techniques et des matériaux soient utilisés sans que soient étudiées les conséquences préalablement et de façon exhaustive,.

Nous n’avons pas besoin de ce masque vert du système capitalisme, la dénommée économie verte. Nous avons besoin de profonds changements de nos valeurs et de notre vision du monde. Nous avons besoin de justice sociale et environnementale, d’une juste répartition des droits et des devoirs. Nous avons besoin d’une économie respectueuse des limites de la Terre, qui est aussi Gaia, notre mère patrie commune. Cela me rappelle une métaphore ancienne dont je ne me souviens pas l’origine : nous sommes tous dans le même bateau, guidés par une minorité ambitieuse, divisés en classes, et duquel certains sont jetés à la mer sans gilet de sauvetage. D’accord ? Pas d’accord ? En tout cas, laissez votre commentaire.

Sources :

Blog de Léonardo Boff

Bloc du Centre d’études environnementales.