La Méditerranée poussée à se mettre au vert, pollutions et solutions

Pollutions agricoles, contagion en Méditerranée

, par 15-38 Méditerranée , BOURGON Hélène

Pesticides, herbicides, fongicides, ils sont utilisés dans la guerre aux insectes, aux champignons et aux mauvaises herbes friands des cultures céréalières, viticoles et des fruits et légumes. Efficaces, ils sont utilisés par une large partie des agriculteurs dans le monde et notamment sur le pourtour méditerranéen. Ils appartiennent à la grande famille des PCB’s (polychlorobiphényles) que l’on retrouve dans nos assiettes, mais surtout dans les cours d’eau puis les mers, les océans et les poissons. Un enjeu de taille pour l’environnement et pour la santé publique.

Plantations de miscanthus sur le terrain agricole de Jérémy Ditner-Haut-Rhin @Jérémy Ditner

D’après l’INRA, (institut national de recherche agronomique), les deux principaux polluants retrouvés dans l’étude du transfert de l’eau sont les pesticides et les nitrates. Les pesticides utilisés par les agriculteurs sont-ils nocifs pour l’humain, pour la terre et les cours d’eau ? La réponse est oui. Mais comme pour les pollutions industrielles -tout autant responsables de la pollution des cours d’eau et des océans- les conséquences des pollutions agricoles via l’utilisation de produits phytosanitaires sont difficiles à démontrer. Chaque organisme humain et marin étant faits de milliards de cellules, les effets sont nombreux et dépendent du contexte extérieur.

Depuis de nombreuses années, les chercheurs se sont penchés sur la question et trouvent au terme de longues explorations des réponses. C’est le cas de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) à Sète où les recherches sur les polluants et leurs effets sur le milieu marin sont multiples et diverses. « Dans le milieu que l’on étudie, on trouve deux natures de polluants, ceux non naturels, liés à l’utilisation des pesticides à base de nitrates et phosphates. Et les naturels, les vivants qui sont souvent des bactéries » constate Christophe Leboulanger, chercheur à l’Ifremer et à l’IRD. « On trouve également des nitrates et des phosphates naturellement présents sur les terres agricoles et qui sont des fertilisants naturels bienfaiteurs mais qui vont devenir polluants pour la terre et les cours d’eau à cause de l’activité humaine qui en multiplie la présence en utilisant des pesticides ». Avec l’écoulement des eaux de pluie, les surdoses de nitrates se retrouvent dans les cours d’eau et favorisent la croissance des algues, gourmandes en oxygène et qui par ce fait appauvrissent la biodiversité ; c’est ce qu’on appelle l’eutrophisation.

L’eutrophisation

Les nappes phréatiques sont directement touchées par les pollutions agricoles via les nitrates mais également par les éléments nutritifs tels que l’azote et le phosphore, deux engrais utilisés dans l’agriculture conventionnelle. Par leur sur utilisation, ils sont concentrés en grande quantité. Le fait qu’ils se retrouvent en milieu fermé peut produire un risque d’eutrophisation c’est-à-dire que l’azote et le phosphore qui constituent des nutriments s’accumulent dans le milieu marin ou aquatique et provoquent la prolifération d’algues et de plantes. Ces dernières pompent les réserves en oxygène et en substances nutritives des fonds marins et empêchent les poissons de se nourrir correctement. L’écosystème a du mal à se renouveler. On parle d’asphyxie des écosystèmes et aussi d’acidification qui atteint la croissance des espèces et multiplient les maladies. En France, la Bretagne, où l’activité agricole est intensive, a connu une prolifération d’algues marines odorantes toxiques pour l’eau et les écosystèmes. On les retrouve également en Méditerranée aux abords de certaines lagunes comme l’étang de Thau ou encore à Palavas les flots près de Montpellier mais aussi à Saint-Martin de Crau et dans les Alpilles au sud de la France où les arboriculteurs utilisent des intrants (pesticides) en quantité. Selon le chercheur Christophe Leboulanger, les rives Sud de la Méditerranée sont également loin d’être épargnées : « La Méditerranée pose problème car les moyens pour la recherche et les solutions des Etats riverains sont très différents entre le nord (Europe), le sud (Maghreb) et le sud-est (Moyen-Orient) ».

La France, très mauvaise élève

En 2014, 23 128 communes françaises étaient classées « Zones vulnérables », soit 63 000 exploitations dont 36 000 en élevage ou polyculture élevage, c’est à dire 70 % du territoire français cultivable. Les parcelles héritières du titre de « zones vulnérables » sont celles dont les teneurs en nitrate sont supérieures à 50 milligrammes par litre. En cause, la forte concentration de pesticides, de nitrates, dans les cours d’eau et dans les eaux souterraines françaises.

Pourtant depuis 1991, l’Europe a inscrit dans ses lois, une directive « nitrates » connue sous le nom de directive 1991, date de son introduction, qui impose des recommandations et des objectifs pour les pays membres. Elle rend notamment obligatoire des pratiques comme la mise en place de « bande enherbée » le long des cours d’eau afin d’éviter l’eutrophisation et la diffusion de polluants chimiques ; la couverture en hiver, des sols des exploitations classées zones vulnérables pour éviter la contamination de régions voisines, et enfin une limitation de l’épandage de lisier car il provoque un excès de matières fertilisantes, dont les nitrates, et contribuent à la pollution des terres et des cours d’eau présents autour des parcelles (les émissions de méthane CH4 et protoxyde d’azote N20 qu’il génère peut-être à la source du réchauffement climatique).

Malgré l’introduction de la directive européenne dans la loi française, la France a été condamnée le 4 septembre 2014 pour la deuxième fois par la Cour de justice de l’Union Européenne pour son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux. La Commission Européenne a jugé le gouvernement français trop laxiste face à l’étendue des zones vulnérables polluées par les effluents liquides d’origine agricole et non respectueux des conventions européennes. L’avocate générale à la cour Européenne a jugé que la France n’a pas transposé la directive européenne sur les pollutions agricoles de façon complète et entière. Elle avait pourtant revu la loi et apporté des consolidations en janvier 2014.

Quatre ans plus tard la réglementation semble toujours inadaptée et inefficace face au désastre que provoquent les fertilisants azotés sur les sources d’eau potable. Des associations de consommateurs dénoncent l’absence d’information sur la protection de sources d’eau potable menacées et l’obtention de bilans détaillés des mesures de protection exigées par la loi. Dans le département de Saône-et-Loire, 11 sources d’eau potable seraient très touchées par les pesticides et les nitrates et menacées de fermeture, les associations demandent au préfet et aux agences de l’eau Rhône-Méditerranée et Loire-Bretagne de répondre à leurs questions.

Le territoire français est découpé en six agences de l’eau, qui regroupent des régions et des départements en fonction de la trajectoire des cours d’eau jusqu’à leur fin de course en Atlantique et/ou en Méditerranée, (Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée, Seine-Normandie, Rhin-Meuse, Adour-Garonne, Artois-Picardie). Elles sont chargées de surveiller la qualité de l’eau. Malheureusement, et comme dans de nombreux cas, des centaines de captages d’eau ne sont pas aux normes et dépassent les limites des 50g de nitrate/litre imposées par la loi. Certaines bénéficient d’un plan d’action pour leur sauvegarde et validé en préfecture mais ce cas reste minime.

La source du problème reste bel et bien l’utilisation de pesticides dans l’agriculture, et les différentes pratiques des agriculteurs. Depuis les dernières condamnations de la France devant la justice européenne, des guides d’utilisation et des bonnes pratiques ont été mis en place mais restent difficile à mettre en œuvre pour les agriculteurs habitués aux pesticides depuis leur avènement en 1980.

Les agriculteurs dans le collimateur

Les agriculteurs français n’ont pas la main légère dans l’utilisation de pesticides et d’engrais azotés, utilisés systématiquement dans l’agriculture intensive céréalière, fruitière, maraîchère et animalière. Ce qui permet sans doute à la France de produire 18 % de l’agriculture européenne et d’être au premier rang de la production agricole des Etats membres mais à quel prix ? Le coût des pollutions agricoles se mesurerait entre 0,9 et 2,9 milliards d’euros d’après un rapport du commissariat général au développement durable, en dépenses de traitements supplémentaires pour les services d’eau potable et d’assainissement (entre 260 et 360 Millions d’euros par an). La redevance pour pollution diffuse s’applique aux quantités déversées de produits phytosanitaires mais rien pour les engrais azotés, tout autant responsables de la pollution de l’eau. Ce rapport ne manque pas de rappeler que l’utilisation de produits phytosanitaires et d’engrais azotés est responsable non seulement de la pollution de l’eau mais également des sols et de l’air qui au final impacte la biodiversité.

Sur le terrain : comment parvenir à la réduction des pollutions ?

Pour la confédération paysanne, « les pouvoirs publics n’ont pas voulu prendre le problème des pollutions par les nitrates à bras le corps » dans l’application de la directive européenne 1991 et n’ont pas soutenu les agriculteurs dans la mise en œuvre des « bonnes pratiques ». L’efficacité de ces mesures peut en effet dépendre des élus locaux, régionaux ou départementaux et des aides étatiques.

C’est le cas dans la commune de Amertzwiller en Alsace (Haut Rhin) où l’exploitation céréalière de Jérémy Ditner implantée sur une zone de captage d’eau potable était classée « Zone vulnérable », et dépassait le seuil des 50mg/l de nitrate. Avec l’aide de la commune, en 2007 il a planté du miscanthus (plante de la famille des graminées) à la place du maïs sur les zones de captage d’eau. Le miscanthus permet de préserver la ressource en eau car elle ne nécessite aucun intrants contrairement au maïs. La commune lui achète et l’utilise comme combustible dans une chaudière à biomasse. La commune chauffe ainsi 70 logements sur 400 habitants. « C’est un travail de concert avec la commune qui a permis au terme de quatre années de passer à 35mg/l de nitrate au lieu de plus de 50 mg/l. Au-dessus de ce seuil, le préfet aurait fermé la zone de captage d’eau. La décision a donc été d’enherbée », confie Jérémy Ditner. Mais sans ce coup de pouce, cette transformation aurait provoqué de lourdes pertes financières pour l’exploitant : « la spécificité de notre exploitation est d’être dans une zone de captage. Elle est traversée par de nombreux cours d’eau, et beaucoup de parcelles se trouvent à proximité d’habitations. Donc nous avons décidé de convertir une partie de l’exploitation vers l’agriculture biologique pour préserver la qualité de l’eau. Nous travaillons sur la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires et la mise en place de miscanthus sur une zone de captage pour préserver la ressource en eau et trouver de la valeur ajouté à nos cultures. »

Couverts végétaux en inter-culture, mis en place en juillet après la récolte du blé pour protéger le sol de l’hiver sur les différentes cultures de l’exploitation agricole de Jérémy Ditner @Jérémy Ditner

L’arrêt des traitements aux glyphosates ou aux fongicides, représente un gros risque économique pour les agriculteurs avec la possibilité de perte totale des récoltes. Mais si d’autres systèmes plus naturels sont mis en place, comme la réutilisation de chaque herbe et de chaque insecte pour traiter ou protéger les parcelles, les récoltes seront bien meilleures. Pour le jeune exploitant diplômé en agronomie, Jérémy Ditner, il faut être prêt et apte au changement : « mes stagiaires bénéficient de nouveaux programmes scolaires ouverts à la prophylaxie dans l’utilisation d’autres techniques que le chimique, mais il y a encore beaucoup de choses à découvrir dans ce domaine car chaque parcelle à un éco-système différent et la chimie jusqu’à maintenant permet de standardiser tout ça. »

En effet dans le monde agricole, tout le monde, et surtout les agriculteurs en fin de carrière, n’est pas prêt à cette conversion. D’autant plus que les aides étatiques ne sont pas au rendez-vous. Pour le passage au bio par exemple, certains agriculteurs n’ont toujours rien perçu au terme de trois ans d’activité en bio. Tout ne réside pas dans l’aide financière, si le bio est certes plus coûteux que rentable au début de l’activité c’est tout un savoir-faire qui se transmet et nécessite d’être à l’écoute de la nature et de ses cycles. Cela prend du temps de l’énergie au coeur d’une profession déjà bien meurtrie et en difficulté.

Certains secteurs agricoles sont plus propices que d’autres. Jamal fait de la permaculture en région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. Il nourrit des centaines de familles avec son activité maraîchère organisée sur seulement un hectare de terrain : « L’avenir de l’agriculture et de la biodiversité ne se trouve pas dans l’agriculture conventionnelle. Il faut comprendre que cette ère doit prendre fin car on le paie déjà très cher. Ce n’est pas plus rentable au final que de passer au bio ou à des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Les produits chimiques éliminent toute forme de vie dans les cultures alors que justement elles sont là pour s’auto-réguler. Il suffit d’étudier tout ce qui se trouve sur sa parcelle pour mettre en place des systèmes qui permettent de produire des fruits, des légumes sans produits chimiques. La flore méditerranéenne pousse et régule, rien n’est arraché chez moi je me sers de tout ».

Pour l’instant, le gouvernement mise plus sur les interdictions que sur l’accompagnement et les conversions à des pratiques plus respectueuses de l’environnement. L’interdiction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate entrera en vigueur le 1er juillet 2021.

La réduction de la pollution des fonds marins passe donc par une agriculture plus verte dans les terres ou en bordure des cours d’eau qui s’écoulent en dernier lieu dans les mers. Si le cas de la France semble complexe, il l’est tout autant dans d’autres pays du pourtour méditerranéen où les législations sont laxistes voire inexistantes.