La Méditerranée poussée à se mettre au vert, pollutions et solutions

Face aux microparticules de plastique, la Méditerranée multiplie les micro-initiatives

, par 15-38 Méditerranée , BERATTO Leïla, LOSCHI Chiara

Si la question de la prise de conscience de la pollution par le plastique semble avoir fait son chemin, les actions des sociétés civiles, peu soutenues par les pouvoirs publics, semblent bien minimes, même si certaines portent leurs fruits comme à Djerba en Tunisie.

Sur les plages algériennes, on trouve des sacs et des bouteilles en plastique partout malgré l’émergence d’initiatives de nettoyage des plages @Leïla Beratto

Un matin d’avril, sur la plage de Tigzirt, sur la côte algérienne, une trentaine de plongeurs est réunie par les autorités. Ils viennent des clubs de plongées de la région, mais ce jour-là, ils sont invités par le Conservatoire national du littoral à ramasser les déchets plastiques dans le port de la ville.

En février 2017, Alger a signé en Indonésie la convention des Nations Unies pour l’environnement, sur la lutte contre les déchets plastiques et micro plastiques en milieu marin. Le ministre des ressources en eau a donc donné instruction de faire respecter cette convention, et la responsable locale a voulu organiser un nettoyage avant l’été. « Toutes les ordures que nous jetons dans la nature finissent leur périple dans le fonds marin à l’arrivée de la saison hivernale où les cours d’eau emportent tous les déchets sur leur passage pour les déverser dans la mer. Ces polluants deviennent par la suite une nourriture pour les poissons et délivrent des substances qui déstabilisent l’équilibre biologique sous-marin et portent atteinte aux créatures qui y vivent », explique à la presse Kamela Haliche, présidente de la section locale du Conservatoire national du littoral (CNL). Avec le temps, les déchets de plastique jetés dans la nature s’érodent et les micro-particules de matière plastique, invisibles à l’oeil nu, se retrouve dans l’environnement.

Interdiction de l’utilisation des sacs plastiques

Dans les quatre tonnes de déchets ramassés ce matin-là dans le port, beaucoup de bouteilles en plastique, d’autres en verre, d’anciens filets de pêche, des objets métalliques et des pneus. Et les plongeurs n’ont parcouru qu’une centaine de mètres carrés. Cette opération, en présence des autorités locales et de représentants des autorités nationales, est rare, mais peut être le signe du début d’une prise de conscience de l’importance de lutter contre la pollution aux micro-particules de plastique.

En Algérie, le ministère de l’Environnement avait annoncé en grande pompe un projet d’interdiction ou de limitation de l’usage des sacs plastiques. Mais dans le quotidien, les commerçants continuent à fournir un sac noir pour l’achat un paquet de cigarette, ou quelques bonbons. Si d’autres pays de la Méditerranée ont pris des mesures contre l’utilisation des sacs plastiques, comme la Tunisie qui en a interdit la vente aux caisses des supermarchés au printemps 2017, ces mesures restent insuffisantes, vue l’ampleur de la catastrophe. La Méditerranée est l’espace maritime où le taux de micro-particule de plastique est le plus élevé au monde : 115 000 particules par kilomètre carré. D’ici 2050, selon les chercheurs, la quasi-totalité des oiseaux marins auront ingéré du plastique.

Les organismes marins contaminés

Chaque année, 8 millions de tonnes de plastique sont déversées dans les mers et les océans. Or 80 % de la pollution qui touche les mers est d’origine terrestre et issue de l’activité humaine. Les chercheurs sont unanimes : pour protéger la mer, il faut réduire l’utilisation de plastique par les hommes. En juin 2017, une équipe scientifique de Malaisie alerte sur la contamination des sels marins, utilisés dans l’alimentation. « Nous pensons que la plupart des produits issus de la mer sont contaminés avec des microplastiques, estime Ali Karami du laboratoire de toxicologie marine de l’université de Putra Malaysia. Nous n’en sommes qu’au début du cauchemar ! Viendra le moment où nous n’oserons plus manger un seul poisson !  » L’équipe scientifique a pu détecter des particules de plastique supérieures à 149 μm dans 17 marques de sels de table, venant de huit pays. Les taux constatés ne sont pas préoccupants, pour le moment, selon les chercheurs.

À l’origine de cette contamination, la présence de plastique dans les eaux, qui même lorsqu’il se dégrade et n’est plus visible à l’œil nu, a un impact important sur les organismes vivants. Les chercheurs recommandent notamment d’être vigilant sur l’utilisation de microbilles de plastique par le secteur cosmétique. « Les microplastiques ont une durée de vie très longue et peuvent persister dans l’environnement durant des décennies, précise Abolfazl Golieskardi, principal collaborateur d’Ali Karami. Je pense que la pollution par les plastiques est de nature à éradiquer toute vie sur la planète. C’est le grand méchant loup du XXIe siècle ! »

L’initiative de la Fondation Albert II de Monaco

Les sociétés civiles ont tenté de s’emparer de cette problématique il y a des années, sans résultat spectaculaire. Pourtant, en 2015, plusieurs acteurs se sont réunis à l’initative de la Fondation du Prince Albert II de Monaco, pour une conférence « Beyond Plastic Med ». À l’issue de cette réunion, plusieurs fondations dont Mava, Surfrider Europe, Véolia et la Fondation de Monaco se sont engagées à chercher des solutions innovantes pour lutter contre la pollution aux micro-particules de plastique. Un an plus tard, onze micro-initiatives méditerranéennes obtiennent un financement pour des projets qui poussent à réduire la consommation de plastique, dans le cadre du premier appel à projet de la Fondation.

Sur l’île de Chypre, l’une des initiatives primées propose de mettre l’accent sur la pollution provoquée par le tourisme, en incitant les touristes à utiliser moins de matériaux plastiques pendant leur séjour. Au Monténégro, l’opération Velika Plastic Free veut pousser les buvettes de plage à utiliser des couverts en bois, à trier leurs déchets en plastiques et à afficher des messages de sensibilisation pour les baigneurs. En Tunisie, l’association Jlil pour l’environnement marin propose d’organiser des collectes des déchets, de créer des accessoires de collecte de plastique et de former dix professionnels aux techniques de sensibilisation. « Nous travaillons sur plusieurs projets comme Plastistop avec Bemed, Mosta9bali avec la fondation allemande Mitost, GERACIDD avec le PASC, nous travaillons aussi avec des acteurs publics comme l’Anged, l’Apal sur des projets de sensibilisation sur la gestion des déchets, la citoyenneté, et le tri sélectif. Malheureusement, cette pollution n’est pas un sujet qui fait partie du débat public. Les associations font beaucoup, mais le problème c’est que l’état ne collabore pas avec nous, et que le citoyen n’a pas encore pris conscience de la question de la protection de l’environnement. Nous travaillons désormais d’avantage avec les jeunes et les enfants », explique Faiçal Ghzaiel, le responsable du projet Plastistop.

Manque de coordination entre acteurs locaux

« En Tunisie, après la révolution, la gestion des déchets est devenue irrégulière. Les protestations environnementales se sont développées à partir d’ouvertures politiques sans précédent, par lesquelles les acteurs sociaux et politiques ainsi que les citoyens ordinaires ont commencé à organiser des manifestations dans les principales villes tunisiennes. Ces formes d’activisme ont vu des phases de protestation radicalisée évoluer vers des moments pacifiques de mobilisation, même s’ils ne se sont pas développés comme un mouvement environnemental unique », analyse Chiara Loschi, chercheure du CNRS auprès de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain. Les initiatives locales semblent pour le moment pas assez coordonnées pour avoir un impact plus important.

Sur les côtes algériennes, dans les mémoires des associations de protection de l’environnement, on se souvient de l’opération MED. En 2014, un voilier mené par un groupe d’experts algériens a parcouru la côte pour étudier la pollution aux plastiques. Pour chacune des quatre étapes, une rencontre avec le public et des associations avait été organisée. Mais les scientifiques n’ont jamais reçu l’autorisation d’effectuer les prélèvements nécessaires. « Les autorités nous ont dit à l’époque qu’une telle autorisation devait passer par six ministères. Depuis, ils ont allégé la procédure, et nous avons pu en bénéficier lors de notre expédition sur les grands requins l’année suivante », explique Emir Berkane, porte-parole de l’initiative. Là encore, l’initiative n’a pas engendré de révolution environnementale, mais elle a peut-être eu un impact, impossible à quantifier pour le moment. « Nous avons réussi, grâce à l’implication d’acteurs associatifs locaux, à organiser des séances de sensibilisation pour des centaines d’enfants, ce que d’autres prestigieuses opérations environnements internationales n’avaient pas réussi à faire », souligne Emir Berkane.

L’exemple de la Gestion des déchets en Tunisie : la nécessité d’un dialogue parmi les acteurs

Le contexte de la transition politique tunisienne montre la nécessité d’une collaboration entre acteurs locaux dans la gestion vertueuse de la collecte des déchets et stockage. Dans la période chaotique qui a suivi la chute du régime tunisien en 2011, les citoyens et les travailleurs des décharges et municipalités ont entamé des actions collectives en raison des conditions de santé et de travail dans la chaîne de la collecte des ordures. Au cours de la transition politique tunisienne, la question de l’environnement a montré une forme d’activisme qui a marqué une nouvelle étape dans la participation politique tant au niveau national qu’au niveau local.

Au cours de la transition politique tunisienne, la question de l’environnement a permis de voir une forme d’activisme qui a marqué une nouvelle étape dans la participation politique tant au niveau national qu’au niveau local @15-38 Méditerranée

Dans ce pays, les manifestations environnementales ont participé à la tension dialectique entre les institutions nationales et les administrations locales, car la résolution des conflits était à la charge des autorités municipales. En outre, la nouvelle constitution ratifiée en janvier 2014 comprend un ensemble de principes liés à la protection de l’environnement, donnant au développement durable une reconnaissance formelle sans précédent, un fait qui confirme la pertinence des soulèvements populaires et la mobilisation autour de l’environnement.

Cependant, les mobilisations ont eu un impact politique limité au moins sur l’élaboration des politiques. Les gouvernements continuent de compter sur les gouverneurs et les représentants des administrations locales. En outre, les différents ministres de l’environnement ne se sont engagés que dans des solutions à court terme pour survivre à l’instabilité gouvernementale. En comparaison aux problèmes de sécurité, aux exigences en matière de justice sociale et aux mobilisations de jeunes chômeurs, les manifestations environnementales représentaient pour les gouvernements de transition une préoccupation secondaire.

Après la révolution, la gestion des déchets est devenue irrégulière. Les protestations environnementales se sont développées à partir de d’ouverturessans précédent dans le paysage politique, à travers lesquelles les acteurs sociaux et politiques ainsi que les citoyens ordinaires ont commencé à organiser des manifestations dans les principales villes tunisiennes. Des formes radicalisées de mobilisations se sont transformées en mouvements pacifiques, même si elles ne se sont pas développées comme un mouvement environnemental unique.

L’exemple de la décharge de Guellala à Djerba

Un cas intéressant se situe à Djerba. Ici, une crise dans la gestion de déchets se déclenche en 2012 et provoque la démission générale du conseil municipal temporaire de Homt Souk en 2014. En 2012, des citoyens ont attaqué la décharge de l’île située à Guellala en raison des odeurs et des soucis de santé des citoyens, et des affrontements avec la police ont suivi. En janvier 2014, les trois conseils temporaires locaux de l’île (Homt Souk, Ajim et Midoun) avaient l’espoir de réouvrir les négociations avec les institutions nationales et de trouver une solution au problème du traitement et du stockage des déchets. Sans surprise, des émeutes ont repris, les citoyens refusaient toute construction de décharge sur l’île. Cependant, même les membres du conseil de la ville avaient des opinions divergentes sur les raisons des manifestations. L’ancien président du conseil temporaire affirmait qu’il s’agissait d’une dictature des citoyens qui a aggravé la situation. Le porte parole, au contraire, estimait nécessaire la collaboration avec les citoyens et accusait le comportement des institutions nationales et des ministères qui entravait, selon lui, le décollage des négociations et de l’implantation d’une nouvelle décharge moderne et aux normes.

En même temps, d’autres initiatives, venue du bas, ont émergé. C’est l’exemple d’une association active à l’époque, « Djerba, Authenticité, Patrimoine et Environnement ». Le réseau a été fondé en 2014 par d’anciens amis et camarades qui, lors de la crise environnementale, ont décidé de réorganiser la collecte locale des ordures dans leurs quartiers respectifs. Ils ont cherché à sensibiliser les citoyens et les clients des hôtels, certains d’entre eux étant directeurs d’hôtel, dans le but d’améliorer la situation environnementale. Ils ont inclus dans leur réseau de petits entrepreneurs qui fournissaient des containers en acier, en tôle et en plastique à des quartiers et des hôtels, grâce à quoi l’association a introduit la collecte et le recyclage des bouteilles en plastique. Ils ont vendu les déchets plastiques au bureau local de la société nationale de gestion des déchets. Les membres ont rencontré des difficultés à organiser le recyclage des bouteilles car, d’après eux, les citoyens n’étaient pas disposés à accepter de nouvelles cages à côté des logements et des lieux d’activités économiques. Cette initiative a provoqué des évènements inquiétants : l’un des membres, un directeur d’hôtel, a également affirmé qu’il a vu ses cages incendiées pendant la nuit, acte qu’il a interprété comme « une menace parce que quelqu’un ne veut pas voir la situation changer ».

Néanmoins, l’association a poursuivi ses activités en tant qu’association de service dans la collecte des plastiques, sans aucune relation avec les autorités locales, pas même après la nomination des nouveaux conseils. Le contexte politique tunisien montre à juste titre comment la mauvaise coordination entre acteurs est source de mauvaise gestion du service de la collecte et a des conséquences négatives pour l‘environnement. Pour autant, l’histoire de gestion autoritaire du pouvoir dans le pays ne peut pas créer des conditions favorables pour la collaboration à court terme. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui ne peut se mettre en place qu’après l’acceptation des règles de la participation collective et de la gestion partagée du processus de décision politique.