La définition de la liberté d’expression. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » [1]. Avec ces quelques mots, les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ont posé les fondements d’une des libertés les plus importantes de notre société démocratique : la liberté d’expression.
Depuis, d’autres textes fondamentaux tels que la Convention universelle des Droits de l’Homme [2] ou encore la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales [3] ont également consacré la liberté d’expression.
Cette liberté peut être définie comme le fait de pouvoir librement faire part de ses pensées, par tout moyen et sur tout support. La liberté d’opinion, la faculté de pouvoir disposer de son propre jugement sur toute question, est, aux termes de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, une composante de la liberté d’expression [4]. Celle-ci va également de pair avec la liberté de la presse, même si cette dernière englobe une problématique plus spécifique d’absence de contrôle des médias par le pouvoir étatique.
La qualification juridique de la liberté d’expression. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une liberté [5] et non d’un droit subjectif, entendu comme un « intérêt juridiquement protégé » [6]. Existe-t-il une différence entre droit et liberté ? La réponse est oui. Ainsi, la force d’une liberté est qu’elle est distribuée de manière égalitaire alors que le bénéfice d’un droit peut être réservé à certains individus, à l’exclusion des autres. Dès lors, on peut soutenir que chaque individu, de manière égalitaire, bénéficie de la liberté de s’exprimer.
Plus précisément, il s’agit d’une liberté dite fondamentale, que l’on peut définir sommairement comme une liberté essentielle de l’individu, assurée dans un État de droit et une démocratie [7]. Il résulte de cette qualification juridique que la liberté d’expression dispose d’une valeur juridique particulière.
La valeur juridique de la liberté d’expression. La simple phrase de l’Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 n’aurait ainsi été que de belles paroles sans un bon coup de pouce des Institutions publiques. En effet, en faisant expressément référence à ce texte révolutionnaire dans le préambule de la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958, ses rédacteurs lui ont conféré valeur constitutionnelle. C’est donc par l’inclusion de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 dans le bloc de constitutionnalité que la liberté d’expression a acquis le Graal juridique, la valeur constitutionnelle.
Une telle valeur n’est pas pour la décoration ou pour le prestige. Elle constitue un réel intérêt juridique, principalement celui de garantir la liberté d’expression contre les atteintes que pourraient commettre le législateur ou le pouvoir exécutif. Comment ? Pour le cas des textes à valeur législative, par la saisine du Conseil constitutionnel a priori, avant la promulgation d’une loi, ou a posteriori, par la formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) [8]. S’agissant des autres textes, la voie de la saisie des Juridictions administratives est ouverte.
La sanction des atteintes à la liberté d’expression. Outre les pouvoirs publics, les atteintes à la liberté d’expression peuvent être causées par des personnes physiques ou morales. C’est pourquoi l’atteinte à la liberté d’expression a été érigée en délit, par l’article 431-1 du Code pénal ainsi rédigé : « le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression (...) est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l’exercice d’une des libertés visées à l’alinéa précédent est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
Aux termes de cet article sont donc sanctionnées les atteintes à la liberté d’expression réalisées soit « d’une manière concertée et à l’aide de menaces » soit « d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations ».
L’abus de la liberté d’expression. La liberté d’expression a tout de même ses limites. On ne peut pas tout dire, tout prôner en son nom. Affirmer cela revient à faire application d’un adage bien connu : la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres [9]. Juridiquement, la limite à l’exercice d’une liberté est ce que l’on appelle l’abus. S’agissant de la liberté d’expression, on retrouve en toute logique cette limite à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789.
L’abus de la liberté d’expression peut ainsi prendre de multiples formes dont une partie est listée dans la loi de 1881 relative à la liberté de la presse [10]. L’injure, la diffamation, les menaces ou encore l’outrage à une personne chargée d’une mission de service public sont ainsi des exemples d’abus de la liberté d’expression sanctionnés par le Droit, que le développement de la communication par voie électronique n’ont pas fait évoluer.
La liberté d’expression et la communication par voie électronique. Étant une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, la liberté d’expression trouve bien évidemment à s’appliquer aux communications par voie électronique et implique, d’après le Conseil constitutionnel [11], l’accès aux services de communication au public en ligne.
Le législateur a cependant pris la précaution, de manière indirecte, de la réaffirmer, par l’article 1er alinéa 1er de la loi relative à la liberté de communication dite loi Léotard [12] rédigé en ces termes : « la communication au public par voie électronique est libre ».
Ses limites sont également immédiatement posées par l’alinéa 2 de ce même article : « l’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la protection de l’enfance et de l’adolescence, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ». Qu’en est-il alors des sanctions des atteintes à la liberté d’expression réalisées par la voie électronique ?
Le vide juridique quant à la sanction des atteintes à la liberté d’expression par les prestataires de services de communication au public en ligne. La seule sanction existante pour la voie électronique est à rechercher dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) [13]. Ainsi, par application des dispositions de l’article 6 alinéa 4 de ce texte, est sanctionnée d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 EUR d’amende « le fait, pour toute personne, de présenter (…) » à une personnes physiques ou morales qui met à disposition des services de communication au public en ligne [14] « un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni ». Cette disposition pourrait trouver à s’appliquer à la liberté d’expression. En d’autres termes, une personne qui présenterait un contenu en ligne comme illicite, qui saurait cette information fausse et en demanderait le retrait au responsable d’un réseau social ou d’un service de partage de vidéos par exemple, alors qu’il ne s’agirait en réalité que de l’exercice par une personne de sa liberté d’expression, pourrait être poursuivie sur le plan pénal.
Il existe donc des sanctions pénales pour les atteintes à la liberté d’expression par menaces, violences et fausse demande auprès d’un service de communication au public en ligne mais rien s’agissant des retraits de publication réalisés par les prestataires des services précités eux-mêmes et de leur seule initiative.
Or, ces prestataires de services de communication au public en ligne ont, par application des dispositions de l’article 6 de la LCEN l’obligation de procéder au retrait de données qu’ils stockent, dès l’instant où ils ont connaissance de leur caractère illicite [15] mais ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus qu’ils conservent [16].
Dans ce cadre, certains prestataires de services procèdent, de leur propre initiative, aux retraits de contenus qu’ils jugent illicites mais parfois, ce qui relèvent de la précaution bascule vers l’atteinte à la liberté d’expression, l’exemple le plus célèbre étant le retrait d’un compte Facebook après la publication du tableau « l’origine du monde » de Gustave Courbet [17]. On peut également citer le cas d’Apple qui a censuré le titre d’un livre de Naomi Wolf, Vagina, sur ses plate-formes de téléchargement [18] ou du journal Charlie Hebdo qui, en 2010, avait renoncé au développement d’une application pour Ipad en raison de l’interdiction faite par Apple de toute référence à caractère sexuel.
La nécessaire évolution de la législation. Le risque de tels comportements est tout simplement l’instauration d’une « censure du net ». Ces prestataires s’arrogent en effet, le droit de procéder au retrait de contenus, au mépris parfois de la liberté d’expression, et cela en toute impunité puisque à ce jour, il n’existe aucune sanction pour ce type d’atteinte.
En conséquence, aux fins de garantie de la liberté d’expression dans une société gagnée par le « tout-connecté », ces initiatives des prestataires de services de communication au public en ligne doivent être sanctionnées pénalement. Des propositions ont été formulées en ce sens [19]. Il conviendrait ainsi soit de procéder à la modification de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, soit à celle de l’article 431-1 du Code pénal. Pour ce dernier, il s’agirait de formaliser le délit d’atteinte à la liberté d’expression par un prestataire de services de communication en ligne qui pourrait être défini comme le fait, par toute personne physique ou morale qui met à disposition ce service, d’entraver, par tout moyen, l’exercice de la liberté d’expression sur celui-ci.