Le Nigéria en quête perpétuelle de démocratie

, par Red pepper , OBAJI Synda

Pour que le Nigéria passe à un régime civil vraiment démocratique, la souveraineté doit appartenir à son peuple, selon Synda Obaji.

Manifestation au Nigeria contre les violences policières sous le slogan #EndSARS ("à bas le SARS", Special Anti-Robbery Squard — l’escadron spécial anti-vol), en octobre 2020. Crédit : Asokeretope (CC BY 4.0)

Le cheminement du Nigéria vers la démocratie a été ardu. Avant la promulgation de sa Constitution de 1999, les tentatives de démocratisation du pays, bien que remontant à l’époque coloniale, ont été entravées par les régimes d’autocratie militaire. Après avoir subi des décennies de répression, d’oppression et de violations des droits humains, le retour à un régime civil démocratique en 1999 a été une victoire importante pour les Nigérian·es et a été commémoré par les célébrations annuelles de la Journée de la démocratie depuis cette époque. Cette année, les Nigérian·es ont marqué leur retour à la démocratie par des manifestations généralisées dans différentes parties du pays et à l’étranger, exigeant la bonne gouvernance, l’équité et la justice. Comment en est on arrivé là ?

Aucune adhésion aux principes démocratiques

L’égalité et l’autonomie sont depuis longtemps des principes fondamentaux de la démocratie. Pour faire progresser la gouvernance démocratique, les droits à la participation politique et publique doivent être reconnus et protégés. Mais les événements récents au Nigeria indiquent des inégalités croissantes et des atteintes aux libertés politiques. Les actions du gouvernement ont créé un environnement sociopolitique et économique caractérisé par la dégradation institutionnelle, l’impunité et le mépris de l’État de droit, posant ainsi de nouveaux défis à la démocratie nigériane.

Il y a à peine neuf mois, les manifestations #EndSARS ont vu les jeunes nigérian·es s’opposer aux violences policières, à l’extorsion et au harcèlement. Et cela a attiré l’attention du monde entier sur le sort des Nigérian·es. En réponse à ces manifestations, l’armée nigériane a fait un usage excessif de la force, tuant au moins 12 manifestant·es non armé·es et violant les droits fondamentaux d’autres personnes. Ces actions inappropriées ont suscité une condamnation au niveau mondial, mais malgré ces critiques, le gouvernement nigérian n’a pas encore pleinement répondu aux demandes des manifestant·es, et les violations du droit du peuple à accéder à l’information et à participer à la gouvernance ont été accentuées.

L’ampleur du problème se démontre par la récente interdiction de Twitter, suite à la suppression par Twitter d’un tweet du président Muhammadu Buhari dans lequel il menaçait de violence d’État toute personne soutenant les mouvements séparatistes dans le sud-est du pays. En conséquence, le gouvernement nigérian a annoncé – sans aucune base légale – la suspension de manière indéfinie du service de Twitter au Nigeria. Le pouvoir de poursuivre en justice des personnes qui contourneraient l’interdiction a également été accordé aux procureurs fédéraux.

La question de l’insécurité, des conflits et des agitations séparatistes pour le droit du peuple à participer à la gouvernance est encore plus préoccupante. D’une part, le Nigeria est confronté à des défis d’insurrection, de banditisme et de conflits entre agriculteur·rices et berger·es dans sa région du nord, tout en luttant, d’autre part, contre les appels à la sécession et les conflits liés au contrôle des ressources dans le sud. Ces problèmes de sécurité sont susceptibles de perturber la stabilité des prochaines élections générales de 2023 et la démocratie nigériane dans son ensemble. En effet, la participation, pierre angulaire de la démocratie, est considérablement menacée par la montée des conflits.

L’exclusion : une menace pour la démocratie nigériane

La démocratie repose sur le principe de la souveraineté populaire : c’est l’idée selon laquelle l’autorité de l’État dérive et est défendue par le consentement du peuple. S’il y a exclusion parmi les gouverné·es, les processus démocratiques et les systèmes de gouvernance deviennent intrinsèquement défectueux. Malheureusement, dans le cas de cet État multiethnique et pluraliste, le problème de l’exclusion et de la marginalisation est une réalité au Nigeria. Depuis l’accession à l’indépendance, la conscience ethnique accrue a conduit à l’exclusion dans la répartition du pouvoir et des ressources entre les unités de la fédération nigériane. En effet, sept ans après l’indépendance, les tensions ethniques ont conduit à la persécution et à la marginalisation du peuple Igbo du sud-est du Nigeria, entraînant une guerre civile de trente mois entre le gouvernement du Nigeria et la République sécessionniste du Biafra.

L’arrangement constitutionnel pour l’allocation et la gestion des ressources a également été un sujet de débat, car les clameurs contre la marginalisation des groupes minoritaires sont restés les mêmes sous le régime civil. C’est en toute connaissance des défis posés par la question du pluralisme ethnique que le Nigeria a adopté un système de gouvernement fédéral pour favoriser l’intégration nationale et promouvoir sa démocratie. Mais dans quelle mesure la démocratie a-t-elle prospéré sous cet arrangement institutionnel ?

Le modèle de fédéralisme nigérian se caractérise par un système de gouvernance hautement centralisé, avec des pouvoirs excessifs placés entre les mains de son gouvernement fédéral au détriment de ses gouvernements fédérés et locaux. Les dispositions de la constitution garantissent au gouvernement fédéral le contrôle total sur des questions fondamentales telles que celles relatives aux syndicats, au travail, aux échanges et au commerce. La centralisation du pouvoir a donc produit un gouvernement fédéral très inefficace qui est incapable de répondre aux attentes populaires.

Cela a conduit à des sentiments d’aliénation et à des appels à la sécession par divers mouvements séparatistes. Parmi ces mouvements, figurent la République Oduduwa de l’ethnie Yoruba, la République Arewa au nord du Nigeria, la République du delta du Niger dans la région du Sud-Sud et les peuples autochtones du Biafra (IPOB) au Sud-Est, qui plaident tous pour des États indépendants du fait de la marginalisation, de l’injustice et des inégalités dans la distribution et la gestion des ressources. Posant ainsi un danger clair et imminent pour la paix et la sécurité, ces agitations sapent la démocratie participative du pays.

Le défi de l’exclusion est aussi aggravé par les problèmes socio-économiques. Étant donné que le développement socio-économique est crucial pour l’émergence et le maintien de la démocratie, la constitution nigériane, en proclamant le pays comme un État démocratique, déclare que le bien-être et la sécurité de la population sont l’objectif principal du gouvernement. L’attente fondamentale du peuple est donc que la gouvernance démocratique lui fournisse les conditions matérielles de son épanouissement. En réalité, cependant, le profil socio-économique du Nigeria se caractérise par un taux de chômage élevé, l’inflation, la pauvreté généralisée et la stagnation économique. Ces problèmes ont eu des implications considérables pour la démocratie nigériane et ont considérablement affecté la participation au processus démocratique, tout comme la pauvreté a facilité l’achat de voix et sapé la crédibilité du processus électoral. En effet, en plus de créer des inégalités et des injustices sociales, les mauvaises conditions socio-économiques ont été un terreau fertile pour l’exclusion.

Consolider la démocratie nigériane

La démocratie est muable et des altérations structurelles de ses institutions peuvent entraîner son échec. Il est important de consolider les principes démocratiques au-delà du processus de transition démocratique. La gouvernance démocratique doit être par exemple capable de survivre aux défis sans pour autant compromettre les droits civiques et les libertés politiques. Mais de nombreux facteurs structurels, du politique au culturel, affectent la consolidation de la démocratie dans les pays en développement. Dans le cas du Nigeria, le plus urgent de ces facteurs concerne les questions socio-économiques, les dispositions constitutionnelles et les choix institutionnels.

Pour que le système de gouvernance du Nigeria soit inclusif et véritablement démocratique, il doit être restructuré pour conférer la souveraineté du pouvoir à la base, c’est-à-dire : le peuple. Une amélioration des conditions socio-économiques permettra de garantir le pouvoir politique aux gouverné·es. Lorsque les gens se libéreront des chaînes de la pauvreté, ils et elles seront habilité·es à revendiquer un rôle dans la gouvernance et à participer au processus démocratique.

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Synda Obaji est avocat à la Cour suprême du Nigeria et membre associée de la Higher Education Academy.
Cet article, initialement paru le 1e septembre 2021 en anglais sur le site de Red Pepper, a été traduit vers le français par Éric Bamouni, traducteur bénévole pour ritimo ; et est republié avec l’autorisation explicite de Red Pepper.