La solidarité nationale et internationale, les États, les ONG et la défense des droits des migrants

Introduction

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Début 2018, alors que se dessine un nouveau projet de loi immigration/asile et que les accords de réadmission/codéveloppement, gestion des flux migratoires fleurissent sans apporter de solutions ; alors que l’Union Européenne et les Etats de l’Union se révèle incapables d’accueillir dignement les personnes en quête de protection internationale, ils se lancent vers une nouvelle expansion de la stratégie d’externalisation des politiques de contrôle des frontières à l’oeuvre depuis le début des années 2000. Où en sommes-nous du côté des Organisations de Solidarité Internationale (OSI) ?

Face à la « crise migratoire » présentée par l’UE comme « un défi commun » ou encore une « responsabilité partagée » de l’Afrique et de l’Europe, le dialogue euro-africain (UE/UA) débouche sur une idée qui sous-tend le plan d’action sans ambiguité adoptée à cette occasion : sous couvert de quelques dispositions concernant le « dévelopement » et la migration légale, ce sont surtout les aspects répressifs qui prévalent, en particulier le « retour » ou la « réadmission » pour ne pas dire expulsion des migrant·es en situation irrégulière, souvent au mépris du droit...

Comment se positionnent les OSI face à ce plan d’action ? Des partenariats ONG/OSI/OSIM (Organisations de Solidarité Internationale issues des Migrations) sont-ils possibles pour proposer un « codéveloppement concerté » et la construction d’un projet commun de défense des droits des migrant·es ? Quelles mobilisations, quelles actions sont en cours pour jouer un rôle de contre pouvoir ?

Pour mieux comprendre ce qui se joue politiquement autour de ce que les Etats définissent comme une crise, nous ferons un retour sur l’histoire des OSI, le rapprochement ou non entre les OSI et les Etats, l’institutionnalisation, les moyens, les modes d’actions de soutien des migrant·es face au durcissement des législations nationales et internationales… Qui sont-elles ?

L’appellation d’Organisation Non Gouvernementale (ONG, avec sa traduction anglaise de NGO) est devenue incontournable, revendiquée par les ONG comme un élément majeur de leur identité. Il faut noter que nombreuses sont celles qui, par souci de différenciation, préfèrent y accoler des références à la solidarité internationale pour s’appeler Organisations ou Associations de Solidarité Internationale (OSI ou ASI). Les ONG ont de multiples origines et la projection hors des frontières nationales de l’action « charitable » est assez récente.

Pourquoi ces entités sont-elles désignées et s’auto-proclament-elles « non gouvernementales ? D’autant que dans le rapport qu’il établit entre le privé et l’autorité publique et le contexte dans lequel il s’inscrit, le terme est plus porteur d’interrogations que de significations.

Manifestation pour les droits des migrant·es. Lausanne, mai 2015 @Gustave Deghilage (CC BY-NC-ND 2.0)

En France, le 17ème siècle traditionnellement qualifié de « Grand siècle » au regard de l’influence politique, diplomatique et actuelle de l’État monarchique, est aussi celui de la constitution des premiers grands mouvements de bienfaisance. Leur champ d’action reste limité à la société française. Le poids des œuvres des ordres religieux est demeuré en France, très longtemps prédominant, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne et plus généralement les pays protestants. C’est au 18ème siècle que l’on voit naître une dimension internationale de la solidarité. En Grande-Bretagne, l’action de la société anti-esclavagiste (British an Foreign Anti Slavery Society) dès les années 1820 peut être considérée comme la préfiguration d’une solidarité internationale à l’échelle des citoyen·nes. Son rôle sera loin d’être négligeable dans l’action du gouvernement britannique pour rendre effective l’abolition de la traite négrière.

Cependant, on se trouve aujourd’hui face à une diversité énorme lorsqu’on aborde la question des ONG/OSI/OSIM, véritable auberge espagnole abritant tout et son contraire. En effet, leur définition elle-même est très ambigüe : elles n’appartiennent pas aux structures de l’État, ce qui ne dit rien sur les critères internes de leur organisation, ni externes de leurs fonctions. Il n’est donc pas facile de s’y retrouver. Cependant le terme est admis, utilisé dans les documents officiels et juridiques et compris dans l’opinion publique.

C’est vers les années 70, que le Sud voit s’épanouir, surtout depuis deux décennies, ses propres associations de solidarité dont un certain nombre qui ont acquis une expérience, réclament d’être traitées à parité avec celles du Nord. La plus connue qui a acquis une dimension internationale est ENDA : Environnement et Développement du Tiers-Monde, créée en 1972 avec l’appui des Nations Unies, son siège était fixé à Dakar (Sénégal).

Au Nord, jusqu’au début des années 70, la libre circulation des migrant·es originaires des anciennes colonies françaises permettait des allers-retours entre la France et le pays d’origine. Ce processus s’est arrêté avec la fermeture des frontières, obligeant paradoxalement certain·es migrant·es à se fixer en France. C’est à partir de cette période (1970-1974) que l’on découvre une des caractéristiques importantes du lien entretenu avec le pays d’origine : la famille, le village ou la région. La solidarité en direction des villages d’origine à partir de caisses alimentées par les migrant·es, gérées par les plus ancien·nes. Ce fonctionnement très ancien dans les pays comme le Mali, la Mauritanie, le Sénégal... a favorisé l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de demande de reconnaissance en tant qu’acteurs ici et là-bas, un traitement égal à celui des OSI traditionnelles.

Avec la loi du 9 octobre 1981, « les caisses villageoises » des migrant·es peuvent devenir des associations loi 1901. On verra naître alors les OSIM et plus tard le FORIM : Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations, qui est la plateforme nationale qui réunit des réseaux, des fédérations et des regroupements d’Organisations de solidarité internationale issues de l’immigration (OSIM) engagées dans des actions d’intégration « ici » et dans des actions de développement dans les pays d’origine.

Dans tous les cas, les ONG/OSI/OSIM sont toutes des associations loi 1901, normalement autonomes vis à vis des gouvernements et ayant leur siège dans ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile. Elles forment un espace d’acteurs socialement diversifiés, agissant dans divers champ logiquement en dehors des structures de l’Etat mais en étroite relation (positive ou négative) avec lui.
L’idéologie des OSI est-t-elle aussi variée que leur nature ? Sont-elles influencée par le type d’action qu’elles ménent, par leur origine, leur groupe porteur et par l’univers dans lequel elles baignent ? Leur institutionalisation, leur professionnalisation, leur besoin de financement et leur relation avec les pouvoirs publics sont-ils une contradiction ? En dépit des intentions ou du niveau de conscience sociales, baignent t-elles dans un univers socialement et donc totalement aseptisé, cohérent et unifié ? …. Et le soutien des migrants dans tout ça ?