Femmes en migration

L’invisibilité sociale des femmes immigrées

, par CDTM 34

Le peu d’intérêt porté aux femmes migrantes dans les milieux académiques est dû, en grande partie à leur invisibilité dans la société d’accueil. Cette invisibilité s’explique notamment par le fait qu’elles se consacrent aux tâches domestiques et que leur présence dans l’espace public est faible. Ceci est plus net encore en ce qui concerne les femmes maghrébines, à cause du statut de la femme dans les sociétés dont elles sont issues qui impose aux femmes un rôle essentiellement domestique et leur interdit l’accès à la vie publique, bien que les choses évoluent ces dernières années, vers l’émancipation des plus éduquées.

D’une façon générale, les femmes qui émigrent seules (aujourd’hui, elles sont beaucoup plus nombreuses à partir seules) sont obligées de travailler pour survivre, ce qui les rend plus visibles que celles qui partent pour rejoindre leur mari. Et il va de soi que la migration régulière est plus visible que la clandestine.

Une autre cause de l’invisibilité des femmes migrantes est leur manque de maîtrise de la langue qui les rend incapables de prendre la parole, une responsabilité ou un pouvoir quelconque dans l’espace public et dans la société d’accueil. Cela aboutit à un isolement des femmes migrantes, et les relègue aux marges de la société. Parfois cet isolement permet à ces femmes de se protéger contre le racisme ambiant.

Migrer, un projet plus souvent subi que choisi

Généralement, la place que la femme a occupée dans la société dont elle est issue est déterminante quant à sa capacité d’ intégration et à ses chances de trouver un travail dans le pays où elle va vivre. Dans les pays du Maghreb, les femmes sont encore dans une situation d’infériorité, juridique et pratique, par rapport aux hommes. Elles ont peu d’autonomie de décision et dépendent largement de la famille –surtout dans les milieux ruraux- et du chef de famille, qu’il soit le père ou le mari. Lorsqu’il s’agit de quitter le pays, en famille ou dans le cadre du regroupement familial, c’est le mari et la famille qui décident de la destination, du moment et des modalités du départ. Quant aux jeunes filles envoyées à l’étranger pour se marier, elle n’ont pas, non plus, de pouvoir de décision. Les unes et les autres subissent plus qu’elles ne choisissent la migration.

Quand une femme décide d’émigrer sans l’agrément de sa famille, elle se met en situation de rupture avec sa famille, situation qui aura des conséquences directes sur la suite de son parcours, sur l’ensemble des réseaux et des ressources dont elle pourra se servir au cours de sa migration.

Le niveau d’instruction des migrantes joue un rôle important dans la réalisation de leur projet. Plus leur niveau de scolarisation est élevé, plus elles sont capables de s’organiser et de s’adapter. Il faut remarquer que le statut social et juridique et le niveau d’instruction et de richesse ne sont pas des facteurs de discrimination propres à la migration des femmes mais qu’ils ont une influence certaine sur leur parcours et leur projet migratoire.

Une double discrimination

La situation des femmes migrantes est complexe en ce qui concerne les discriminations dont elles sont victimes. En général, elle subissent des discriminations dues non seulement à leur origine ethnique et au racisme mais aussi au fait qu’elles sont des femmes. Elles sont donc touchées par une double discrimination, qui les met dans une situation spécifique de faiblesse et de vulnérabilité. La discrimination se produit surtout au moment de la recherche d’emploi. Souvent, les dispositifs d’accès a l’emploi pratiquent une politique discriminatoire indirecte, en leur proposant des travaux considérés comme les mieux adaptés à leur genre et à leur situation sociale, sans prendre en compte le fait qu’elles peuvent avoir un bon niveau de scolarisation et des compétences précises.

Mais il y a aussi une discrimination qui s’exerce à l’encontre des femmes maghrébines, lorsqu’on les oppose aux femmes originaires d’Europe centrale ou d’Asie, qui seraient plus à même de donner satisfaction dans les travaux domestiques.
Ces discriminations à l’encontre des femmes migrantes les atteint physiquement dans leur vie de tous les jours ; elles les atteint aussi dans leur dignité et peuvent leur faire perdre confiance en elles et les affecter moralement.

Travail précaire

Rechercher un travail, pour les femmes migrantes, est compliqué et difficile. D’une façon générale, en Europe, le chômage est plus élevé pour les femmes que pour les hommes. La crise économique de 2008 à aggravé cette tendance qui concerne aussi les populations de migrants en général. Sur le marché du travail, les femmes originaires du Maghreb subissent comme les autres femmes migrantes, et plus que les hommes, les conséquences des difficultés économiques. En conséquence, elles accomplissent des travaux non déclarés et elles ont recours à l’économie informelle et précaire.

En Europe, le travail domestique est le secteur le plus occupé par les femmes immigrées notamment maghrébines. Cette situation est plus nette encore dans les états d’Europe du Sud où l’insuffisance des services publics (garde d’enfants, soins aux personnes âgées et aux malades) provoque une augmentation de la demande de main d’œuvre immigrée.

Lien entre prostitution et migration

La prostitution est traditionnellement le deuxième emploi caractérisé par une très forte présence féminine. Ce phénomène s’est amplifié ces dernières années, particulièrement en ce qui concerne les femmes maghrébines. Elles représentent 8,6% des prostituées étrangères sur la voie publique à Paris. Elles sont particulièrement nombreuses à Marseille, où elles constituent 19% des étrangères prostituées de rue et 40% des prostituées étrangères en général. La plupart d’entre elles ont pour clients des hommes qui partagent avec elles l’expérience de la trajectoire migratoire et celle de la précarité. Elles travaillent souvent pendant la journée parce qu’elles sont responsables d’une famille. Trop souvent, la prostitution est liée à la question de la traite des jeunes femmes qui sont enlevées dans leur pays d’origine. Il y a un lien fort entre prostitution et migration : la prostitution alimente l’économie mafieuse de la traite et l’exploitation des femmes étrangères.

La question de la prostitution des femmes étrangère n’est pas assez connue et étudiée et les politiques sociales les concernant sont tout à fait insuffisantes. Là aussi l’invisibilité de leur situation et de leurs activités y est pour quelque chose.