Écofascisme(s), de quoi parle-t-on ?

Introduction

De la nécessité de clarifier les discours

, par CIDES , ROUQUETTE-CORIAT Cécile

Contraction des ressources planétaires, fin de l’abondance, hausse des prix de l’énergie et des matières premières, souveraineté alimentaire, souveraineté énergétique, sobriété… Derrière ces préoccupations socio-économiques d’actualité, qui fissurent le mythe de la croissance et remettent au goût du jour la planification en politique, c’est de l’habitabilité de la Terre qu’il est en fait question. L’épuisement en cours des ressources, des métaux à l’eau, l’érosion de la biodiversité, l’empilement des pollutions et l’accélération du dérèglement climatique (et son lot de catastrophes) sont en effet tels que la prochaine décennie s’annonce comme celle d’un grand tournant [1].
Dans ce contexte qui mêle urgence écologique, crises socio-économiques et démocratiques, l’exercice de prospective peut être salutaire. Alors imaginons… Imaginons nos démocraties face à une situation d’extrême urgence socio-écologique et tirons les fils des signaux faibles (venus de l’extrême droite) pour voir où ils pourraient nous mener.

Envisager l’impensable

Dans un scénario d’emballement en chaîne des catastrophes écologiques et de crise aiguë du marché des matières premières, quelles pourraient être les réactions d’un gouvernement démocratique ? L’expérience récente de la gestion de la pandémie de Covid-19 nous invite à envisager l’instauration d’un « état d’urgence écologique », éventuellement assorti de l’établissement rapide d’une planification – idée revenue à la mode en matière de politique écologique [2] – et, pourquoi pas, de quotas (pour l’eau, le CO2…). Poursuivons. Si ce gouvernement organisait soudainement l’allocation des ressources et régulait drastiquement les flux (physiques comme migratoires, façon confinement), qu’adviendrait-il de la démocratie ? Barbara Stiegler [3] recensait récemment les atteintes démocratiques dues à la gestion française de la pandémie dans son tract De la démocratie en pandémie, et une rapide prise de recul historique nous en donne une vague idée. Ajoutons à cette dystopie la poussée internationale continue des populismes et le succès des partis néo ou post-fascistes en Europe, et il devient facile d’imaginer l’enterrement de la démocratie, déjà chancelante, et l’avènement d’un État vert autoritaire, voire écofasciste.

Bien que l’éventualité d’un état d’urgence écologique ou l’avènement d’un totalitarisme sous couvert de nécessité écologique semble encore impensable à la majorité, les tensions grandissantes autour des ressources et les bouleversements écologiques en cours obligent à envisager leur possibilité. À ce titre, la dernière poussée du terme « écofasciste » dans les discours et les médias interpelle. La notion d’écofascisme peut-elle servir à qualifier ou, du moins, à éclairer cet effort de prospective ? À défaut de mieux, envisager la possibilité d’une réponse écofasciste au contexte critique actuel et regarder en face les signaux faibles est peut-être une manière de faire valoir ou d’entrevoir des scénarios démocratiques du futur. Alors scrutons rapidement les signaux faibles.

Scruter les signaux faibles venus des marges
Actuellement, un mouvement marginal, composé de minorités actives, semble en germe à l’extrême droite de l’échiquier politique français comme européen, ou occidental plus globalement. Bien que l’agenda de l’extrême droite française soit encore en phase avec le carbofascisme capitaliste [4], émergent dans l’Hexagone des écolieux se disant ZID (zones identitaires à défendre), ou s’épanouissent des revues cathos-écolos comme Limite qui fédèrent des décroissant·es traditionalistes [5], pendant que des suprémacistes blancs mixent défense de l’environnement et théorie du Grand remplacement dans leur discours [6]. Parallèlement, des ingénieur·es aux intentions écologiques louables se questionnent sur l’efficacité de la démocratie parlementaire française comparativement au régime chinois [7]... Aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande, les premiers attentats commis sur motivations mêlant écologie et identité ont retenti, donnant une couleur (le brun) à ce que pourrait être une définition de l’écoterrorisme [8] ; le vrai, aux antipodes des actes légitimes de désobéissance civile qui défrayent la chronique depuis quelques mois [9].

De la nécessité d’éclaircir les discours et les concepts
Face à ces signaux mêlant vert et brun, quelques voix se sont dernièrement élevées en France pour inviter le mouvement écologiste à clarifier son discours et à penser – a minima – sa rhétorique face à une forme d’écologie d’extrême droite en gestation, qui mûrit son argumentaire, ses idées et voit éclore quelques bastions. Car, non, pour certains, l’écologie ne serait pas « naturellement de gauche ». Et l’emballement des crises (sociale, démocratique, économique, écologique) est, comme l’histoire nous le rappelle, un terreau fertile aux replis comme aux interprétations et solutions politiques simplistes et dangereuses. Mais que recouvre ce terme d’« écofascisme », alors que l’insulte « (éco)fachos » est dégainée, souvent abusivement, pour discréditer n’importe quel adversaire ? Comment définir l’écofascisme ? Sous quelles formes se manifeste-t-il ? Comment le dénoncer pour enrayer dès à présent les scénarios du pire ?