Déclaration du Sommet des Peuples, Chili 2019

, par Minga Informativa de Movimientos Sociales

Entre le 2 et le 7 décembre 2019, avec des centaines d’organisations, hommes, femmes, peuples autochtones et d’ascendance africaine, communautés de migrant·es, paysans, paysannes, travailleurs, travailleuses, enfants et adolescent·es provenant du Chili, d’Amérique latine et du monde entier, nous avons pris part à l’étape principale du Sommet des Peuples, à l’Université de Santiago du Chili.

Au cœur d’une ville et d’un pays en état de rébellion face à un système néolibéral injuste et prédateur, et face à un État violent et abusif, l’Université publique, remplissant son rôle jusqu’au bout, nous a ouvert ses portes afin que nous puissions débattre de la crise planétaire et de ses multiples expressions sociales, environnementales, nationales ou territoriales, partager nos luttes, nos dénonciations, nos requêtes, et imaginer ensemble un autre monde possible.

Plus de 40 activités, dans des salles – panneaux, ateliers, assemblées, entretiens et autres— autogérées par les organisations participantes, deux espaces permanents – la Tente des Femmes et le Village de la Paix-, des activités artistico-culturelles avec leurs affichages ainsi que des séances plénières pour traiter les thèmes majeurs du Sommet des Peuples ont accueilli la participation active de près de 1500 camarades accrédité·es.

Deux femmes boliviennes participent au Sommet des Peuples de 2013 à Santiago du Chili, entourées des drapeaux autochtones Mapuche et de la Whipala, symboles de leurs peuples. Photo : Cintia Barenho (CC BY-NC-SA 2.0)

À partir de l’expérience fraternelle vécue et partagée pendant ces 5 jours, nous, les organisations du Sommet des Peuples, déclarons ce qui suit :

  1. Nous réitérons notre engagement auprès des peuples du Chili et des autres pays latino-américains qui se sont dressés contre les injustices structurelles, l’usurpation et la privatisation des biens communs, la précarisation sociale, la violence structurelle contre les femmes, le racisme systémique et la violation des droits par le système néolibéral ; et nous exigeons justice pour les cas de décès et de violations des droits humains perpétrés par l’État en réponse à ces mobilisations.
  2. Nous soutenons la demande des mouvements sociaux et des assemblées territoriales qui exigent au Chili une véritable Assemblée Constitutive, composée intégralement de citoyens et de citoyennes sans privilégier les partis politiques et prenant en compte la parité de genre ainsi que des quotas significatifs pour les peuples autochtones.
  3. Nous ne concevons pas un processus constitutionnel élaboré selon les règles d’un système politico-électoral qui a été le pilier du modèle néolibéral chilien, et dont la classe politique s’est à nouveau montrée soumise aux intérêts des multinationales, avec l’approbation, à la Chambre des Députés, la loi dite « anti-saqueo » (« anti-saccage ») qui inclut des articles criminalisant ouvertement les mouvements légitimes de protestation sociale.
  4. Nous soutenons les aspirations des organisations et communautés du Chili à instaurer une constitution politique dotée des principes de la pluri-nationalité, du féminisme, et de la reconnaissance des droits de la nature.
  5. Dans le cadre des négociations climatiques de la COP25 de Madrid :
    — Nous condamnons le maintien à la présidence de la COP du Gouvernement de Piñera, responsable d’assassinats, de tortures, de viols, de mutilations, de blessures, d’humiliations, d’arrestations arbitraires et autres violations aux droits humains commises par des agents de l’État.
    — Nous rejetons l’adoption de fausses mesures face au changement climatique, qui ne font qu’aggraver la crise et renforcent le modèle qui la génère, comme le marché du charbon, l’énergie hydroélectrique et autres énergies exploitées par des grandes entreprises, les puits que constituent les monocultures d’arbres et d’agro-carburants, l’énergie industrielle à partir de la biomasse forestière, l’incinération, la géo-ingénierie et la fracture hydraulique ou fracking.
    — Nous exigeons que soient prises des mesures concrètes afin d’éviter la mainmise des entreprises sur les négociations, et afin que les grandes entreprises et les pays les plus pollueurs réduisent de façon drastique leurs émissions à effet de serre et paient pour les dommages et les préjudices causés, en particulier dans les territoires les plus vulnérables.
    — Nous appelons à une plus grande visibilité de la migration climatique et au développement de politiques migratoires axées sur les droits humains.
    — Nous appelons à promouvoir de manière concrète une « transition équitable » et des solutions véritablement durables, en dehors des marchés et de l’extractivisme, lesquelles doivent être basées sur la souveraineté territoriale, sur les usages, cultures et économies locales, sur des conditions de travail et de vie décentes, ainsi que sur l’échange solidaire entre les peuples et les communautés.
  6. Nous rejetons le développement de l’extractivisme par les gouvernements et les organismes internationaux, en collusion avec les multinationales, qui conçoit l’ensemble des territoires comme des potentielles zones de sacrifice, et prospère en détruisant les écosystèmes, en déplaçant des communautés ou en affectant leur mode de vie et leur économie locale. Cela comprend entre autre l’incitation et les subventions publiques au développement de l’industrie des minéraux métalliques ou non métalliques, aux plantations forestières, à l’agro-industrie et à l’élevage conventionnel, lequel exerce une grande cruauté à l’égard des animaux.
  7. Nous revendiquons les exigences des peuples autochtones et afro-descendants et nous y souscrivons, notamment en ce qui concerne la démilitarisation de leurs territoires- en particulier celui du Wallmapu-, la restitution de leurs terres ancestrales et le plein exercice de leurs droits politiques, sociaux et culturels.
  8. Citant la déclaration de la Tente des Femmes, « nous revendiquons l’économie féministe en tant que stratégie de résistance et de transformation pour la vie des femmes et de leurs communautés, en tant que forme de reconnaissance et de valorisation des savoirs, des travaux domestiques et des soins nécessaires à la vie, lesquels, dans ce système capitaliste, incombent aux femmes ».
  9. Nous célébrons la détermination et la participation active des jeunes et des enfants dans les différents endroits de ce Sommet et nous reconnaissons le rôle central qu’ils et elles ont joué en dénonçant la crise et en encourageant des changements structurels.
  10. Nous exigeons la nationalisation de l’eau au Chili, la protection effective et intégrale des glaciers, la restitution des terres aux paysans et paysannes et l’incitation à créer, dans les territoires et auprès des politiques publiques, des modèles agro-écologiques, exempts d’OGM et de pesticides chimiques, basés sur la souveraineté alimentaire et sur la récupération et l’échange de produits et de semences, et donnant la priorité à la préservation, régénération et restauration écosystémique.
  11. Nous exigeons et encourageons les politiques communautaires visant à créer des villes plus justes et plus amicales, qui harmonisent la relation ville-campagne, qui permettent un accès universel aux services de base, qui encouragent une planification territoriale largement participative, et qui mettent en œuvre des politiques « zéro déchet » et des systèmes de mobilité urbaine durable.
  12. Nous exigeons la transformation radicale des modèles énergétiques, sur des critères de souveraineté, de suffisance et de solidarité, par le biais de systèmes de production décentralisée à partir de sources d’énergie diverses et non polluantes à base communautaire.
  13. Nous rejetons la signature de traités de libre-échange et d’investissements bénéficiant aux multinationales et qui portent atteinte aux droits sociaux, à l’économie locale et à la souveraineté alimentaire.
    Nous exigeons le retrait définitif du TPP11 du parlement.
  14. Nous appelons à créer des mouvements et du dialogue en Amérique latine et au niveau international, en intégrant des organisations de justice environnementale et climatique, de féministes, de peuples autochtones et afro-descendant·es, de migrant·es, de paysan·nes ouvrier·es, de jeunes, d’enfants, pour mettre fin au modèle de privatisation des biens communs et développer des paradigmes alternatifs comme le « bien-vivre » ou autres, émanant des cosmovisions des peuples.
  15. Pour conclure, et citer la déclaration du Village de la Paix, « nous invitons à co-créer collectivement une façon d’entrer en relation avec la nature, ainsi qu’en relation les uns avec les autres avec conscience et bienveillance. (…) Nous avons compris la nécessité d’intégrer les droits de la nature et de tous les êtres vivants qui maintiennent le tissu planétaire, en tant que composantes de nos vies et des lois des peuples. »

Santiago, le 7 décembre 2019
« Sauvons la terre, changeons le système »

Lire le texte original en espangol sur le site Movimientos.org