Climat : choisir ou subir la transition ?

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Paris, COP21 : Un « accord historique » et une nouvelle façon de poser la question climatique

, par AUBERTIN Catherine, DAHAN Amy, DAMIAN Michel

23 ans après la signature de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) lors du Sommet de la terre de Rio en 1992, la 21ème conférence des parties (COP21) qui s’ouvre à Paris en décembre 2015 devrait marquer une rupture dans les négociations et dans le traitement de la question climatique.

La façon dont a été construite la question climatique n’est en effet plus tenable. L’objectif d’un accord historique « universel, ambitieux et contraignant » reste à l’ordre du jour, pourtant les organisateurs de la COP21 savent bien que tout se jouera dans un mouvement bottom-up, à partir des « contributions nationalement déterminées » (Intended Nationally Determined Contributions) de chaque pays, à la mesure de leurs moyens, de leurs priorités de développement, de l’appui de leur société civile, dans une démarche volontaire de participation à l’effort de lutte contre les dérèglements climatiques. Aux côtés de l’accord international et des contributions nationales, « l’agenda des solutions » constituera une autre pièce maîtresse, permettant à tous les acteurs non-étatiques -secteur associatif, maires des grandes villes, collectivités locales, industriels - de partager leurs initiatives en faveur du climat. Le cadrage initial de la question climatique va s’en trouver radicalement renouvelé.

Rappelons comment a été construite la question climatique -la définition du problème et sa gouvernance- par la CCNUCC, fortement inspirée par les travaux des scientifiques du GIEC. Le réchauffement climatique, a été présenté comme un problème de pollution mesuré en termes d’accumulation de gaz à effet de serre (GES) au moyen d’une unité unique équivalant à une tonne d’émissions de CO2. Les mécanismes de marché devaient permettre de réduire à moindre coût les émissions de GES par un système de marchandage de droits d’émission.

Drapeau des Nations Unies. Crédits : Brunurb

Une gouvernance technoscientifique globale

Cette vision physico-chimique globale s’est traduite par un objectif technique top-down : un accord multilatéral, orchestré par les Nations unies, portant sur des objectifs de réduction des émissions, « fardeau » à partager entre tous les États. Dans un premier temps, le protocole de Kyoto qui impose des réductions d’émissions aux pays développés, suivant le principe des « responsabilités communes mais différenciées » porté par la déclaration de Rio de 1992, dispense d’efforts les pays en voie de développement. Dans un deuxième temps, ce principe va cristalliser les oppositions Nord-Sud. Il a fallu du temps, l’enlisement de négociations et l’augmentation des émissions pour que le thème de l’adaptation entre en force en 2007 lors de la COP de Bali signalant par là, d’une part, la prise de conscience que l’objectif ultime d’atténuation ne se fera pas au rythme de l’adaptation naturelle des écosystèmes au changement climatique (article 2 de la convention) et, d’autre part, le réveil des pays en développement remettant en cause l’objectif d’atténuation qui représente un frein pour leur développement, alors qu’ils subissent en première ligne les dommages dus au réchauffement. Les thèmes de l’adaptation et de l’équité, fortement politiques, font ainsi tardivement leur apparition dans les négociations, rompant avec l’approche scientifique et technique de l’atténuation et renouvelant les contours de l’aide au développement.

Copenhague (2009) marque l’échec de cette approche top-down. Les pays du Sud s’opposent à la prolongation du protocole de Kyoto qui les concernerait après 2012. Ils proposent des engagements volontaires de réduction laissés à la responsabilité de chacun des États. Ils se rallient cependant à l’objectif commun de ne pas dépasser le seuil de réchauffement de 2°, sans doute sous la promesse d’un financement à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 qui couvrirait leurs efforts d’atténuation et d’adaptation. La COP 16 de Cancun décide de parvenir à un accord qui impliquerait tous les pays et crée le Fonds vert pour le climat. La « Plateforme de Durban », COP17 de 2011, s’accorde sur un engagement de tous les pays qui serait signé en 2015 et qui entrerait en vigueur en 2020. C’est donc à la COP21 de Paris que se décidera un accord dont la forme juridique reste à définir. On peut douter que celui-ci prenne pour tous la forme contraignante d’une troisième phase du protocole de Kyoto ; il s’appuiera vraisemblablement sur un système de contributions (le terme d’engagement ne serait même plus utilisé) volontaires et révisables.

La croyance dans un marché autorégulateur

Conformément au contexte néolibéral de l’époque, la solution du problème qui structure le protocole de Kyoto, repose sur la croyance à l’autorégulation du marché. Elle renvoie à la théorie néoclassique appliquée aux problèmes d’environnement. Les émissions de CO2 sont considérées comme des « externalités économiques », des déchets liés à l’activité humaine qu’il convient de rendre visibles dans les prix, de les faire entrer dans le marché, c’est-à-dire de les internaliser, soit : définir des droits de propriété (distribution de permis d’émission), permettre à des marchés de révéler leurs prix grâce au jeu de l’offre et de la demande, et en faire ainsi des marchandises. Le « signal prix » ainsi lancé est censé modifier le comportement des entreprises et les conduire à user des technologies à basse utilisation de carbone. Ces choix accusent la dématérialisation de l’économie : une marchandise immatérielle (la tonne de CO2 non émise) régie par un système de prix qui ouvre sur des spéculations financières. Les causes des émissions, le modèle de croissance et de mode de vie basé sur l’énergie fournie par les sources fossiles, n’ont pas été frontalement interrogées. L’unité « équivalent CO2 » a également permis de ne pas réfléchir sur les modes de production des,différents gaz à effet de serre. Ces choix se révéleront inefficaces. Privilégiant une approche financière, ils ne permettent pas de penser la question en termes de production, d’innovation technologique et de consommation. C’est pourtant aux modifications des processus de production, à l’introduction de techniques économes en énergie et aux accords sur des normes moins polluantes que l’on doit les principaux succès de la baisse des émissions de GES. L’attention portée aux modes de consommation permettrait de redonner un rôle aux initiatives locales et à la société civile, et de mieux prendre en compte les échanges de carbone dans les échanges internationaux. C’est-à-dire de comptabiliser les émissions non seulement sur leur lieu de production, mais aussi sur leur lieu de consommation. Le contenu en carbone de la production des biens manufacturés chinois ou des matières premières agricoles brésiliennes devrait ainsi être imputé aux pays importateurs.

La construction de la suprématie du risque climatique

Les négociations de la CCNUCC et les travaux du GIEC, ont érigé le risque climatique comme le problème environnemental ultime, prenant le pas sur les réalités sociales, localisées et quotidiennes qu’affrontent nos sociétés (crise économique, santé publique, inégalités...) et sur toutes les autres questions d’environnement (la biodiversité, la désertification). Les négociations sont restées longtemps indépendantes des questions du commerce international (les normes de l’OMC et les accords binationaux et régionaux), des politiques de l’énergie, de la géopolitique (l’après 11 septembre, les guerres au Moyen-Orient, la croissance de la Chine et des pays émergents) et de l’économie en général. Cela a conduit à des situations ubuesques : alors que les négociations s’enlisaient sur de délicates formulations des engagements, les accords internationaux, comme les négociations sur le Traité de libre échange transatlantique (TTIP) et les politiques nationales, comme le recours à l’exploitation du charbon et du gaz de schiste, entérinaient des stratégies allant à l’encontre de la nécessaire transition énergétique.

Le protocole de Kyoto n’a par ailleurs pas anticipé les bouleversements géopolitiques.
A l’horizon 2030 la majorité des émissions seront le fait des États-Unis et de la Chine, deux pays qui ne font pas partie des pays engagés dans le protocole. Du fait de la croissance des pays émergents, l’Europe émettra alors moins de 5% des émissions mondiales. Les catégories onusiennes de pays développés et pays en développement ne sont plus opérationnelles pour rendre compte des pays émetteurs.

Tout en niant les questions géopolitiques, cette vision climato-centrée, plaçant en haut de la hiérarchie des priorités la réduction des émissions de gaz à effet de serre avant les enjeux du développement, n’a pas permis d’associer les sociétés à des débats politiques sur les enjeux du changement climatique, ni d’articuler gouvernance globale, politiques publiques et initiatives locales. Les approches territoriales, menées parallèlement aux négociations, par exemple par les associations des grandes villes du monde et les divers mouvements citoyens, permettent de donner une autre vision de l’expertise et de l’action et d’inclure les questions d’aménagement du territoire, d’accès à l’énergie durable, de santé publique, de lutte contre la pauvreté, etc. Les politiques qui ont un impact sur les réductions des GES ne peuvent être dissociées d’autres enjeux nationaux, régionaux, locaux ; elles nécessiteront des arbitrages avec d’autres enjeux, comme celui des droits des pays à exploiter leurs ressources naturelles, y compris leurs rentes charbonnières ou pétrolières. Le concept de co-bénéfices des politiques climatiques occupe une place croissante au sein des négociations.

La Conférence de Paris devrait permettre de sortir du cadrage initial de la question
climatique qui a fait perdre tant de temps pour agir. Les politiques climatiques ne peuvent plus reposer sur la seule légitimité de la science. Il s’agit aujourd’hui d’impliquer tous les acteurs, industriels, chercheurs, mouvements sociaux, dans des politiques multi-objectifs et de donner une plus grande place aux questions d’innovation élargie, de partenariat technologique, de solidarité, de manière de produire, de consommer.

La question reste ouverte de savoir si les contributions nationales et l’agenda des solutions, forcément hétérogènes, permettront de répondre aux enjeux et d’être cohérents avec l’objectif de non dépassement des 2°. La conférence scientifique Notre avenir commun sous le changement climatique organisée à Paris à l’Unesco en juillet 2015 a rappelé que, s’il est désormais trop tard pour empêcher le réchauffement de notre planète, il est toujours temps de limiter les dégâts.