Total au tribunal : Les communautés ougandaises attaquent le géant pétrolier français : acte 2

, par Les Amis de la Terre, Survie

Les projets Tilenga et EACOP, développés par Total en Ouganda et en Tanzanie, sont devenus, selon les propres mots du PDG de la multinationale, « le symbole du combat anti-pétrole ». Si ces projets sont tristement devenus emblématiques, c’est en raison de l’ampleur des violations des droits humains qu’ils causent déjà, ainsi que des risques de dommages irréversibles pour l’environnement et le climat.
Ces projets sont également connus pour avoir fait l’objet de la toute première action en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, portée par les Amis de la Terre France, Survie et quatre associations ougandaises.

Après plus de trois ans de débats procéduraux dans le cadre de ce premier recours en référé [1], la bataille judiciaire contre Total en France reprend : 26 membres des communautés affectées par les projets Tilenga et EACOP en Ouganda, le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura et cinq associations françaises et ougandaises – AFIEGO, les Amis de la Terre France, NAPE/Amis de la Terre Ouganda, Survie et TASHA Research Institute - viennent d’assigner TotalEnergies en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance. Il s’agit cette fois-ci d’un recours visant à engager la responsabilité civile de Total et à demander réparation pour les violations des droits humains qui ont été causées depuis 2017.

Les demandeur·esses, représenté·es par Me Elise Le Gall, accusent Total d’avoir manqué à ses obligations de vigilance, et de leur avoir ainsi causé de graves préjudices :

  • les personnes affectées par les projets Tilenga et EACOP ont été privées de la libre utilisation de leurs terres avant même de recevoir une compensation, et ce pendant plus de trois ou quatre ans, violant ainsi leur droit de propriété ;
  • cela a conduit à la privation de leurs moyens de subsistance, et donc à des situations de graves pénuries alimentaires, voire de famine dans certaines familles, violant ainsi leur droit à une alimentation suffisante (les rares distributions alimentaires se sont révélées insuffisantes en qualité et en quantité) ;
  • à partir de 2022, les terres de certains villages ont été affectées par des inondations causées par la construction de l’usine de traitement (CPF) du projet Tilenga ;
  • seule une minorité de personnes ont pu bénéficier d’une compensation en nature [2], et pour les autres la compensation financière était largement insuffisante ;
  • la cession des terres à Total s’est faite dans de très nombreux cas suite à des pressions et intimidations, le consentement des personnes affectées était donc vicié ;
  • plusieurs demandeurs ont subi menaces, harcèlement et arrestations simplement car ils avaient osé critiquer les projets pétroliers en Ouganda et en Tanzanie et défendre les droits des communautés affectées.

Dans l’assignation, les demandeur·esses s’attachent à démontrer que la société TotalEnergies SE :

  • n’a pas identifié les risques relatifs à ces atteintes graves dans son plan de vigilance ;
  • n’a pas agi alors qu’elle était en mesure d’identifier ces risques avant leur réalisation et qu’elle a été alertée de leur existence ;
  • n’a pas mis en œuvre de mesures correctives une fois les violations survenues et alors même qu’elle avait été alertée de leur existence.

Ce recours sera jugé par le tribunal judiciaire de Paris, compétent pour toutes les affaires fondées sur la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.

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Les projets Tilenga et EACOP impliquent des déplacements massifs de populations : plus de 118 000 personnes sont affectées par des expropriations totales ou partielles de leurs terres.

Ces projets présentent également des risques de dommages irréversibles pour l’environnement et le climat. Ainsi, le projet Tilenga prévoit de forer plus de 400 puits de pétrole, dont un tiers dans l’aire naturelle protégée des Murchison Falls, sur le bord du lac Albert en Ouganda. Alors que les premiers forages sont imminents, les premiers travaux dans le parc naturel et pour la construction de l’usine de
traitement causent déjà des dommages.

S’il voit le jour, l’oléoduc EACOP sera le plus long oléoduc chauffé au monde. Il traversera des régions riches en biodiversité, passant par plusieurs zones protégées et corridors fauniques, menaçant des zones humides Ramsar. Un port pétrolier sera construit à Tanga, en Tanzanie, au plus près d’aires marines protégées, et alors que c’est une zone soumise aux risques de tsunamis et de cyclones.

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Notes

[1En octobre 2019, les Amis de la Terre France, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA
avaient assigné Total en justice en utilisant la procédure de référé, qui doit normalement permettre un processus judiciaire plus rapide au vu notamment de l’urgence d’une situation. Après une première bataille procédurale de deux ans sur le tribunal compétent, remportée par les associations, le tribunal judiciaire de Paris a déclaré le recours inadmissible en février 2023 au nom d’un motif procédural controversé. Cette action en justice n’a donc fait l’objet d’aucune décision sur le cœur du dossier, à savoir si Total respecte ou non son devoir de vigilance.

[2Les personnes bénéficiant d’une compensation en nature aussi appelée « terre contre terre », recevront une
nouvelle terre et une nouvelle maison construite par Total, alors que celles bénéficiant d’une compensation financière doivent elles-mêmes racheter une nouvelle terre et reconstruire une maison.

Commentaires

Voir le site de la campagne : Total, rendez-vous au tribunal
et Censure Total(e) : face aux procédures-bâillons, on ne se taira pas !

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