Indonésie : un géant asiatique à la lisière de la démocratie

Le séparatisme de l’indomptable Aceh

, par CDTM 34

Le séparatisme reste un problème lancinant pour l’éclectique archipel indonésien. L’accession à l’indépendance du Timor oriental en 2002, territoire annexé par l’Indonésie en 1976, est un traumatisme pour les Indonésiens [1]. Jakarta craint un effet domino car, à la suite du Timor, d’autres provinces suivent le mouvement et reprennent leur lutte pour l’indépendance. C’est le cas d’Aceh, située au nord de Sumatra, qui devient le théâtre d’une lutte acharnée entre les indépendantistes et l’État.

Femmes soldats du Mouvement de libération d’Aceh. Photos de Kementerian Pertahanan Republik Indonesia.

Aceh, province rebelle

Les velléités séparatistes de la province d’Aceh n’ont rien de nouveau, Aceh s’est toujours démarquée par sa résistance face à l’envahisseur. La présence européenne en Indonésie remonte à 1562 et ce n’est qu’en 1903 que les Néerlandais se sont emparés de ce territoire, après 30 ans de guerre.
La religion musulmane s’est très tôt implantée en Indonésie [2] et, lorsque le pays accède à l’indépendance, les Acehnais auraient souhaité fonder une république islamique mais leur revendication n’est plus d’actualité après un nouveau découpage administratif qui intègre Aceh à une plus large province, Sumatra Nord.
En 1953 éclate une nouvelle révolte qui se mue rapidement en véritable guerre civile. Aceh redevient une province autonome en 1959. L’apaisement n’est que provisoire car la dictature de Suharto provoque un énorme mécontentement. En effet, l’Ordre Nouveau inaugure l’exploitation intensive des ressources locales et Aceh possède notamment d’importantes réserves de gaz naturel. Les Acehnais s’estimant spoliés par le gouvernement se révoltent et créent en 1976 le GAM, Mouvement pour un Aceh libre qui s’impose grâce à une forte adhésion populaire. La situation dégénère et en 1989 Aceh, déclarée zone d’opération militaire, devient la cible d’une très violente répression. En 1998, on déplore déjà plus de 12 000 morts. Ce n’est qu’après la chute de Suharto que la situation va pouvoir, non sans difficultés, s’apaiser.

Des années de violences et de longues négociations avant de déposer les armes

Suharto parti, on pouvait espérer la fin du conflit mais le soutien populaire au GAM est renouvelé par la révélation de crimes impunément commis par l’Ordre Nouveau. Habibie, dans une volonté d’apaisement, démilitarise la zone et offre à Aceh une autonomie spéciale qui permet notamment à la province d’appliquer partiellement la charia, alors que les indépendantistes exigent un référendum d’autodétermination.

Wahid, successeur de Habibie, demande au Centre Henri Dunant pour le dialogue humanitaire (HDC) d’intervenir. Dans le passé, cette ONG suisse a contribué à faire avancer les négociations pour en finir avec la guerre au Timor. Des négociations avec le GAM permettent l’instauration d’une pause humanitaire du conflit. Un premier accord de paix, signé à Genève le 9 décembre 2002, le Cessation of Hostilities Framework Agreement (CoHA), est très vite violé par les deux parties et le conflit reprend de façon spectaculaire. Le 19 mai 2003, la Présidente indonésienne, Megawati Sukarnoputri, fille de Sukarno, déclare la loi martiale à Aceh où elle déploie le nombre record de 35 000 hommes.
Une ONG finlandaise, Crisis Management Initiative (CMI), intervient à son tour dans la résolution du conflit. Jakarta et le GAM acceptent, le 22 décembre 2004, d’entamer un cycle de négociations sous la houlette de CMI à Helsinki. [3]

Le choc provoqué par le tsunami

Le 26 décembre 2004, Aceh est frappé par un tsunami d’une extrême intensité qui ravage la province, détruit la moitié de la capitale et cause environ 168 000 morts. Cette catastrophe fait l’objet d’une intense médiatisation, l’aide internationale afflue, l’urgence est son acheminement vers les populations sinistrées. Le temps n’est plus à la guerre mais à la survie. Le GAM déclare unilatéralement le cessez-le-feu.
Cette catastrophe n’est pas à l’origine du processus de paix mais l’accélère. Après des négociations qui débutent à Helsinki en janvier 2005, excluant totalement l’indépendance, un accord est conclu le 15 août 2005, entre le GAM et le gouvernement indonésien : le Memorandum of Understanding (MoU).
Cet accord marque un tournant dans l’histoire d’Aceh qui renonce à ses revendications indépendantistes. Le GAM obtient en contrepartie l’autorisation de devenir un parti officiel, l’amnistie de ses anciens combattants et une aide pour leur réinsertion. Aceh gagne surtout une grande autonomie dans la gouvernance de sa province.

L’intervention internationale dans la résolution du conflit

Plusieurs acteurs de la société civile internationale ont joué un rôle efficace pour aboutir à un accord qui a mis fin à plusieurs décennies de guerre violente entre le gouvernement indonésien et les Acehnais. Après les deux ONG européennes, HDC et CMI, intervenues de façon déterminante dans le processus de paix, c’est au tour de l’Union européenne et de l’ASEAN de superviser, ensemble, la mission de contrôle de la mise en œuvre de l’accord, Aceh Monitoring Mission, avant de quitter l’Indonésie et de laisser entrer en scène l’ONG Interpeace. Celle-ci est restée présente jusqu’aux élections de 2009 pour veiller au bon respect de l’accord et au maintien du dialogue entre les belligérants.

Une paix fragile

La guerre est terminée à Aceh qui retrouve une stabilité appréciable. Toutefois, tous les problèmes ne sont pas résolus. L’application de l’accord de paix ne satisfait pas complètement les Acehnais qui constatent que le gouvernement n’a pas tenu toutes ses promesses ; les militaires restent très présents sur leur territoire, alors que le gouvernement avait promis la démilitarisation de la province ; la situation sociale et économique est précaire et l’inégale répartition de l’aide internationale après le tsunami crée des dissensions au sein des populations.

En avril 2007, les Acehnais réagissent violemment contre le plan du gouvernement de partage des revenus pétroliers et gaziers qu’ils considèrent, à juste titre, comme une arnaque, l’Etat ne respectant pas ses engagements. En 2012, pour réprimer les manifestations, le gouvernement procède à un large déploiement de forces de l’ordre à Aceh.

Grâce à l’autonomie qui lui a été conférée dans le but d’apaiser les tensions, la province a obtenu le droit d’appliquer partiellement la charia, ce qui est pourtant totalement contraire au Pancasila. La charia acehnaise, jusque là assez modérée, semble se durcir d’année en année. Les Acehnais doivent se plier à de nombreuses obligations et interdictions : le ramadan doit être respecté par tous, l’homosexualité, les relations sexuelles hors mariage et les jeux d’argent sont interdits. Une police et des tribunaux religieux ont été mis en place et des châtiments, dont le plus commun est la flagellation, sont appliqués à ceux qui ne respectent pas la loi.

La charia s’impose à tous les citoyens acehnais quelle que soit leur religion. En février 2018, des chrétiens sont flagellés pour avoir joué à un jeu jugé contraire aux lois islamiques. L’application de la charia aux non-musulmans est très alarmante car elle met en péril le précaire équilibre de l’union nationale indonésienne.

Notes

[1En 1976, l’annexion par l’Indonésie de la partie orientale de l’île de Timor, ancienne colonie portugaise située à l’extrême Est de l’archipel, marque le début d’une guerre sanglante entre l’occupant et la résistance timoraise. Lors du référendum d’autodétermination imposé par l’ONU en 1999, 78,5 % des Timorais optent pour l’indépendance. Le Timor oriental devient officiellement indépendant en 2002.

[2En 1292, Marco Polo visite le sultanat d’Aceh qui se dit musulman depuis trois siècles.

[3En 2008, le prix Nobel de la paix est attribué à Martti Ahtisaari, ancien président finlandais, dirigeant de CMI, pour son rôle actif dans les négociations.