La Coupe du monde terminée, les travailleurs migrants qui l’ont rendue possible se demandent : quelle sera la prochaine étape ?

, par A l'Encontre, OpenDemocracy , ACHARYA Pramod

Depuis près de 12 ans maintenant, les préparatifs de la Coupe du monde de la FIFA 2022 au Qatar ont braqué les projecteurs sur l’utilisation et l’exploitation des travailleurs migrants dans l’économie mondiale actuelle. Des centaines de milliers de travailleurs se sont endettés auprès de recruteurs pour obtenir un emploi ; beaucoup n’ont jamais reçu ce qui leur avait été promis ; et des milliers ne sont revenus qu’après leur mort. Aujourd’hui, le spectacle est presque clos. La douleur, si bien décrite, est presque terminée.

Alors, pour les travailleurs migrants qui ont survécu, une question : où aller ensuite ?

Au Centre des Ressources Migratoires de Kathmandu, des candidat·es au visa font la queue pour partir à l’étranger. Crédit : Marcel Crozet / ILO (CC BY-NC-ND 2.0)

N’importe où sauf à la maison

A l’extérieur de sa hutte, dans les plaines du sud du Népal, Ramesh* fend du bambou pour fabriquer un panier destiné à être utilisé à la maison. Depuis son retour du Qatar, où il a participé à la construction d’un dépôt de bus, il effectue des tâches comme celle-ci, des travaux ménagers pour lesquels il n’est pas payé.

« Mon travail au Qatar n’était pas facile. C’était beaucoup plus difficile que de tisser des bambous. Mais au moins, je gagnais un peu d’argent là-bas », a déclaré le jeune homme de 27 ans. « J’avais espéré pouvoir rembourser les prêts et commencer à économiser de l’argent pour l’avenir. Mais cela ne s’est pas produit. »

Au Qatar, son salaire mensuel était de 1000 riyals (275 dollars). Il a qualifié ce montant de « minime » pour un travail aussi éreintant, mais a déclaré que gagner « quelque chose » là-bas était mieux que de n’avoir « rien » dans sa ville natale paupérisée. Aujourd’hui, il est de retour, endetté, renvoyé chez lui après moins d’un an de travail. Comme de nombreux travailleurs migrants, Ramesh avait contracté des prêts pour couvrir le coût du recrutement. Il a payé 155 000 roupies (1170 dollars) à un taux d’intérêt annuel de 36% pour se rendre au Qatar, dit-il. Avec l’argent qu’il a gagné pendant son séjour, il ne pourra rembourser que 120 000 roupies. Il pense que le seul moyen d’effacer sa dette est de trouver un autre emploi à l’étranger.

Le Népal regorge de travailleurs migrants de retour au pays qui, comme Ramesh, se retrouvent aujourd’hui dans des situations encore plus désespérées que lorsqu’ils sont partis. Selon le ministère népalais du Travail, plus de 116 000 travailleurs migrants népalais sont revenus du Qatar au cours des dix premiers mois de 2022. D’autres arrivent chaque mois. Le nombre de travailleurs se rendant au Qatar, quant à lui, a chuté de près de 45% au cours de la même période.

En réalité, il est faux de dire que les travailleurs migrants sont « revenus ». Le Qatar n’est peut-être plus la destination de prédilection, mais ils ne vont pas y rester longtemps. « Certains de mes amis sont déjà partis à l’étranger », a déclaré Ramesh. « J’essaie aussi d’y aller. Tout ce que nous voulons, c’est du travail et un salaire. Nous, les pauvres, ne pouvons pas rester à la maison en étant sans emploi. »

Le prix du travail

Le sud-est du Népal, où vit Ramesh, envoie plus de travailleurs migrants à l’étranger que toute autre partie du pays. En dehors de certains travaux agricoles, qui sont irréguliers et mal payés, il n’y a tout simplement pas beaucoup d’emplois locaux qui paient suffisamment pour vivre.

Les emplois sont trouvés à l’étranger, mais ils ont un prix. Il n’y a pratiquement aucune chance d’obtenir un visa sans payer des frais élevés aux recruteurs. Et sans ressources propres, les travailleurs pauvres n’ont guère d’autre choix que d’emprunter de l’argent et d’espérer que l’emploi à l’étranger soit payant à long terme.

Un travailleur népalais se trouvant actuellement à Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie, a déclaré qu’il avait payé 300 000 roupies (2270 dollars) pour s’y rendre après avoir été expulsé du Qatar. Il pensait qu’un travail de charpentier en Malaisie lui serait plus utile que l’agriculture de subsistance dans son pays. « Travailler à l’étranger est la seule option pour gagner sa vie dans mon village », a-t-il déclaré. « Beaucoup de jeunes comme moi cherchent des emplois à l’étranger. Cela pourrait être la Malaisie, ou le Qatar, ou n’importe où dans le Golfe. »

Le désespoir des travailleurs est visible à l’aéroport international de Katmandou, la capitale du Népal. Plus de 2100 travailleurs en partent chaque jour, selon les registres du Département de l’emploi étranger. Le même aéroport reçoit en moyenne 3 à 4 cadavres de travailleurs par jour, principalement en provenance des pays du Golfe et de Malaisie [voir les articles publiés sur ce site les 4 et 20 novembre 2022].

Parfois, le pari est payant. Il y a des travailleurs au Népal qui ont amélioré leur situation financière en travaillant à l’étranger. Mais pour beaucoup, avoir une vie décente dans leur pays après avoir travaillé de longues périodes à l’étranger reste un rêve lointain.

Kamal, 37 ans, a passé 14 ans à travailler sur des chantiers de construction au Qatar. Il est tombé malade à plusieurs reprises pendant son séjour. Il a développé une pression artérielle élevée, a été témoin de la mort et des blessures de ses collègues. Il a dû faire face à d’innombrables retards de salaire. Il s’est déplacé à Al Dafna, Al Khor, Al Wakhra et Lusail City pour faire de longues journées de travail sur des chantiers de pipelines et de routes. Il est retourné au Népal en avril 2022.

La principale chose qu’il a à montrer pour tout ce travail est une maison d’un étage, aux murs de briques, dans le sud-est du Népal. Il a épuisé ses économies pour la construire. Maintenant, pour continuer à payer les factures, il envisage de repartir à l’étranger. « Je dois payer l’éducation de mes filles. Je dois payer les factures médicales », a-t-il déclaré. « Je veux travailler pendant encore cinq ans. Si d’ici là je peux faire quelques économies, je pourrais simplifier le reste de ma vie. »

Kamal se sent humilié par la façon dont les travailleurs sont traités au Qatar, mais il affirme qu’il y retournerait s’il le pouvait. « J’ai déjà suffisamment travaillé là-bas. Je veux rester à la maison », a-t-il déclaré. « Mais je ne peux pas gagner de l’argent ici. Alors qu’est-ce que je peux faire ? »

La coutume népalaise de la dot, qui a été rendue illégale mais qui est encore largement pratiquée, ajoute une pression sur Kamal pour qu’il continue à travailler. « Je dois avoir des économies pour les mariages de mes trois filles », dit-il. « Dans cette région, le mariage de chaque fille coûte au moins 500 000 roupies. »

Quel est le prix à payer ?

Ce genre de pressions économiques éclaire la décision des travailleurs migrants de passer des années de leur vie à l’étranger, loin de leur famille. En 12 ans de vie conjugale, Upendra n’a passé que quatre ans avec sa femme. Coincé entre la pauvreté et les dettes, il a travaillé auparavant en Inde et en Arabie saoudite. Aujourd’hui, il est au Qatar, car les revenus de ses précédents emplois ne suffisaient pas à rembourser les prêts. « Ma famille me manque tellement. Si ma situation financière était bonne, je n’aurais jamais pensé à venir ici », a déclaré Upendra. « Les gens ont vu des gratte-ciel au Qatar. Ils ont vu de beaux stades. Mais qui comprend ce que les travailleurs vivent ici ? C’est au-delà des mots. »

Comme des dizaines de milliers d’autres travailleurs migrants népalais au Qatar, Upendra s’est occupé du pelletage, du transport et du nettoyage sur les chantiers de construction de stades et d’autres infrastructures. Même dans la chaleur extrême de l’été, il a continué à travailler avec un accès limité à l’eau et au repos. Il dormait sur un matelas trouvé dans un tas d’ordures dans un camp de travail confiné. Il s’est toujours senti trompé et exploité par son employeur. Mais il dit qu’il n’avait qu’un pouvoir limité sur ses conditions de travail et de vie là-bas, et qu’il n’avait pas de meilleures options au Népal.

« Nous, travailleurs non éduqués et non qualifiés, ne pouvons pas obtenir de meilleurs emplois », a-t-il dit. « C’est la vie des travailleurs migrants. Nous savons que nous sommes exploités. Mais malgré tout, nous ne pouvons pas abandonner. »

C’est une perspective que Prem connaît bien. Sa jambe a été lacérée par une meuleuse alors qu’il travaillait sur un complexe d’appartements construit pour les visiteurs de la Coupe du monde. Il n’a pas pu travailler pendant cinq mois et a utilisé un fauteuil roulant pour se déplacer. L’entreprise l’a renvoyé chez lui, mais il a choisi de retourner au Qatar dès qu’il s’est rétabli.

« Honnêtement, je ne veux pas travailler ici. Mais je ne veux pas non plus voir ma famille souffrir », a-t-il déclaré par téléphone depuis un camp de travail au Qatar. « Qu’est-ce que je peux faire ? Qui s’occupera de ma famille si je ne gagne pas d’argent ? »

A maintes reprises, en rapportant ces histoires pour openDemocracy, j’ai entendu des travailleurs migrants décrire leur travail à l’étranger comme quelque chose qu’ils sont contraints de faire. Pourtant, presque dans le même souffle, ils disaient aussi vouloir continuer à travailler à l’étranger pour gagner leur vie. C’est un dilemme insoluble et inévitable auquel sont confrontés de nombreux travailleurs migrants. Et cela signifie que, même si de nombreux travailleurs encore au Qatar détestent leur travail là-bas, ils ont peur de le perdre. Et ils se demandent où ils iront ensuite. (Article publié par openDemocracy, le 19 décembre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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Commentaires

*Les noms des travailleurs ont été modifiés.

Cet article, initialement paru sur le site d’A l’Encontre le 19 déc 2022, est republié ici avec l’autorisation de l’éditeur.