Low tech : face au tout numérique, se réapproprier les technologies

Sommaire du dossier

L’Atelier Paysan : produire des technologies appropriées au service de l’agroécologie paysanne

Quelques questions à Fabrice Clerc, cogérant de l’Atelier Paysan, une coopérative d’auto-construction paysanne résolument engagée dans une démarche de réappropriation technique pour des agroéquipements adaptés à l’agroécologie paysanne.

Qu’est-ce l’Atelier Paysan ? Quelles sont vos activités ?

L’Atelier Paysan est une coopérative d’intérêt collectif à but non lucratif qui accompagne des paysan·nes dans la conception et la fabrication de machines et de bâtiments adaptés à une agroécologie paysanne.

Nous menons plusieurs types d’activités, à commencer par les Tournées de Recensement d’Innovations Paysannes (dites TRIPS). Partout en France, nous allons de fermes en fermes recueillir et documenter des adaptations, astuces et inventions mises en place par des paysan·nes sur leurs machines et leurs bâtiments agricoles.

Nous accompagnons également des dynamiques participatives de recherche et développement. À partir de besoins identifiés par des producteur·rices, les ingénieurs et l’architecte de la coopérative produisent avec ces groupes paysans les cahiers des charges, plans et prototypes des outils. Après test et validation collective, les plans et tutoriels sont publiés intégralement sous licence libre et téléchargeables gratuitement sur le site Internet de l’Atelier Paysan où il est également possible de retrouver les chroniques des TRIPS réalisées dans les fermes.

Nous proposons enfin des formations à l’auto-construction pendant lesquelles les paysan·nes apprennent à travailler le bois et métal et fabriquent des outils adaptés à leur activité.

Quel est le rapport de votre coopérative avec les technologies ?

Le projet même de l’Atelier Paysan repose sur une interrogation de la technologie et de son usage en agriculture : les agroéquipements aujourd’hui disponibles répondent-ils réellement aux besoins des paysan·nes ? Favorisent-ils leur autonomie ou, à l’inverse, la restreignent-ils ? À quelle agriculture sont-ils adaptés ? À qui le progrès technique bénéficie-t-il ?

Et malheureusement, les technologies agricoles n’échappent pas au rouleau compresseur de l’industrialisation de l’agriculture à l’œuvre depuis plus d’un demi-siècle. Règles de propriété intellectuelle et industrielle, normes adaptées à l’agriculture industrielle, prix exorbitants et complexification des outils et procédures sont autant d’éléments qui tendent à restreindre les capacités de prise de décision des paysans et paysannes en ce qui concerne leur agroéquipement.

À l’Atelier Paysan, nous partons du principe que les paysan·nes sont assez bien placé·es pour répondre de manière pertinente aux défis du développement agricole : les agriculteur·trices innovent par eux-mêmes sur leurs fermes. Mieux ! En groupe, en réseau ou avec l’appui d’un animateur technique, ils et elles savent élaborer collectivement des réponses adaptées. Nous portons l’idée que les choix techniques doivent être faits avec, par et pour les agriculteur·rices, et plus globalement, que la technique doit être investie collectivement pour se mettre au service de celles et ceux qui l’utilisent. Nous mesurons toute l’importance des réseaux socio-techniques de producteur·rices, à la fois dans la production et le partage de savoirs. Cette prise paysanne sur les choix techniques peut alors être un vecteur de l’autonomie paysanne.

Au-delà des dynamiques de construction sur le terrain, nous cherchons également à faire émerger une analyse politique sur la technologie en agriculture et à construire du rapport de force sur ces questions. Nous avons ainsi élaboré avec les structures du pôle Inpact (Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale) un plaidoyer pour la souveraineté technologique des paysan·nes. Nous travaillons par ailleurs en ce moment avec des chercheur·ses en sciences sociales autour de la machine agricole pour comprendre et documenter la mécanisation de l’agriculture en France depuis 1945.

Et le low tech, dans tout cela ?

Cette question des low tech fait directement écho aux technologies appropriées que nous souhaitons promouvoir et développer. En apprenant à travailler le métal et le bois, les paysan·nes augmentent leur capacité à fabriquer et réparer leur matériel et réduisent leur dépendance aux expert·es extérieur·es à la ferme. Ils et elles se dotent d’outils, machines et bâtiments moins chers, appropriés à leurs besoins et appropriables. En moyenne, on estime qu’auto-construire ses outils revient à diviser par deux ou trois les investissements financiers pour s’équiper en comparaison aux prix du marché (quand les outils existent, car ils sont bien souvent peu ou pas adaptés à des exploitations à taille humaine ou conduites en bio). Des outils, machines et bâtiments agricoles simples, pratiques et économiques mais aussi « vivants », évoluant au gré des améliorations par une communauté de paysan·nes. Nous pensons que les machines et les savoirs paysans associés sont des communs, librement diffusables et modifiables. D’où la diffusion sous licence libre sur notre site Internet des plans et tutoriels des machines ainsi que la création d’un forum en ligne, espace d’échanges très fécond entre les auto-constructeurs et auto-constructrices.

Concernant l’aspect environnemental que l’on retrouve aussi dans les low tech, nous travaillons sur des outils moins dépendants des énergies fossiles, notamment le pétrole, avec du matériel pour la traction animale mais aussi des outils à assistance électrique pour se passer du tracteur sur certaines tâches. Plus largement, les paysan·nes engagé·es dans de l’auto-construction à nos côtés proposent des solutions techniques et agronomiques adaptées à une agro-écologie paysanne de proximité, résiliente et écologique. Nous avons par exemple élaboré depuis dix ans de nombreux outils de travail du sol et de gestion de l’enherbement, deux enjeux clefs en agriculture biologique. Nous essayons aussi d’encourager le bricolage et l’auto-construction de machines à partir d’outils déjà existants pour leur donner une seconde vie.

Pour en savoir plus sur l’aventure, rendez-vous sur le site Internet de l’Atelier Paysan. Voir aussi le plaidoyer pour une souveraineté technologique du Pôle Inpact et le Manuel 369 consacré à l’Atelier Paysan, texte de Sarah Petitbon et dessins de Louise Drulhe, 2019.