Énergie : Obama saura-t-il saisir l’opportunité ?

Bill McKibben

, par McKIBBEN Bill, Tomdispatch.com

 

Ce texte, publié originellement en anglais par TomDispatch, a été traduit par Mariana Amova, du traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Combien de fois ces dernières semaines avez-vous lu des titres comme celui-ci : « Le pétrole approche la Floride alors que les efforts pour arrêter la fuite se heurtent à des difficultés » ?

Encore une « difficulté » dans le Golfe du Mexique. Vous rappelez vous ce coffre de confinement de 100 tonnes et 4 étages qui a causé un fâcheux problème d’hydrates, ou cet entonnoir géant qui était censé récupérer une bonne partie du pétrole qui s’échappait de ce fichu puits mais qui a échoué ? Peu de gens se sont posés la question, parce que nous sommes passés très rapidement de "Top Kill" à "Junk shot" et maintenant à "Top Hat" (NDT : "Top kill" est le nom de l’opération qui consistait à placer un ensemble de valves au-dessus du système de prévention des fuites de pétrole qui a lâché lors de l’explosion initiale, "Junk shot" est le nom de l’opération qui consistait à injecter des balles de golf, des lambeaux de pneus, etc., toujours dans ce même système de prévention des fuites de pétrole, et "Top Hat" est le nom de l’opération consistant à placer un coffre de confinement plus modeste que le premier coffre au-dessus de la fuite) - avec à la fois une scie à diamants problématique et des cisailles qui ne coupent pas très proprement. Étrangement, alors que tout ceci se ramène à une histoire d’échecs répétitifs à 5000 pieds sous la surface de l’eau (plus de 1520m), les gros titres demeurent curieusement optimistes... Je soupçonne que les initiés de l’industrie du pétrole rigolent sarcastiquement aux dépens des péquenauds qui sont prêts à croire à n’importe quoi.

Le dernier espoir réside bien sûr dans le forage en diagonale de ces puits de secours à plusieurs milliers de mètres sous l’eau, lesquels, lorsqu’ils croiseront le puits de base, permettront de le boucher définitivement avec du ciment. Comme l’a dit Carol Browner, le conseiller en énergie de la Maison Blanche dimanche dernier : « Je pense que les Américains doivent savoir qu’il y aura des fuites de ce puits jusqu’à août, quand les puits de secours seront achevés ». Mi-août semble peut-être une attente bien longue, y compris pour ces puits de secours qui sont maintenant déclarés « en avance sur les délais », mais au moins – nous en sommes régulièrement assurés – ces puits règleront l’affaire. Mais quand même, réfléchissez-y un instant : si un puits de secours est une solution aussi radicale que cela, pourquoi BP est-il en train d’en installer deux (dont un ordonné par les fonctionnaires fédéraux) et commence à murmurer qu’il pourrait bien y en avoir un troisième ?

Dans ces conditions, qu’on nous permette un petit coup de chapeau à la dure réalité. Sur ces puits de secours, écoutez ce que dit David Rensink, président de l’Association américaine des géologues du pétrole et un vétéran des explorations offshore de l’industrie : « S’ils arrivent à toucher le puits en trois ou quatre coups, ils ont de la chance. » Ce n’est pas surprenant, vu que ce processus a pu être comparé au fait de « toucher une cible grande comme une assiette avec une perceuse ayant une mèche de plus de 2 miles (3,2 km) allant sous la terre ». Rensink suggère aussi que les chances de toucher la cible dès le premier coup sont comparables à celles de gagner au loto. Que nous apprend l’expérience historique dans ce domaine ? La dernière fois que l’on a réussi le forage d’un tel puits, c’était dans la mer de Timor dans l’Ouest de l’Australie, semaines à seulement 250 pieds (76,2 mètres) sous l’eau, et cela a pris 10 (et en plus, cela a provoqué un incendie du puits).

Comme lors de la crise des otages en Iran en 1979, les Américains comptent déjà les jours jusqu’au « soulagement » dans le drame intitulé, comme à l’époque, « L’Amérique prise en otage », « Désastre dans le Golfe, jour XX », comme le logo du journal de NBC l’indique typiquement. Alors bon, continuez à compter si vous voulez, mais ne comptez pas sur ça (il y a même des rapports selon lesquels un puits de secours peut empirer la situation) ! Quelle que soit la solution pour arrêter l’écoulement en provenance du puits (un sur 4000 que compte le Golfe du Mexique), s’il y en a une, le problème est bien sûr le pétrole lui-même. Nous les humains, comme BP, « perdons pied » de plus en plus quand il s’agit d’énergie fossile. Comme le montre avec clarté Bill McKibben, contributeur régulier de TomDispatch et auteur du remarquable nouveau livre Eaarth : Making a Life on a Tough New Planet (recensé par Rebecca Solnit sur ce site), ceci pourrait être LE moment de forcer les États-Unis à se poser la question de son futur en matière d’énergie et de commencer à élaborer un vrai projet pour un avenir sans BP et sans forages pétroliers en haute mer. On peut toujours espérer.

Une opportunité comme il s’en présente rarement. Obama va-t-il s’attaquer aux puissants intérêts énergétiques en actes aussi bien qu’en mots ?

Voici le président Obama le 31 mars en train d’annoncer son projet de lever le moratoire en place depuis plusieurs années sur l’exploitation de pétrole offshore : « Vu nos besoins en énergie, et en vue de soutenir la croissance économique, de créer des emplois et de sauvegarder la compétitivité de nos entreprises, nous devons développer nos sources traditionnelles de combustibles tout en accélérant la production nationale de nouvelles sources d’énergie ».

Et voilà le président le 26 mai, alors que la pression politique commence à monter autour la marée noire que BP semble incapable d’arrêter : « On ne sera pas capable de maintenir ce type d’usage de l’énergie fossile. La planète ne peut pas le supporter. » Tout de même, a -t-il rapidement ajouté, pas besoin de dramatiser : « Nous n’allons pas accomplir la transition à l’après-pétrole dans un an, ni même dans dix ans. »

Et le voici encore mercredi dernier [le 2 juin], après qu’une énième solution de fortune à 5000 pieds sous les eaux du Golf de Mexique ait mal tourné, et que la vraie colère contre la médiocre prestation de l’administration ait atteint son point culminant : « Le temps est venu d’accélérer activement la transition vers un futur sans énergie fossile. Le temps est venu pour cette nation, une fois pour toutes, de se lancer dans un avenir énergétique propre. »

La question est : Qui est le vrai Obama ? A-t-il été véritablement transformé par l’accident pétrolier dans le Golfe du Mexique ou essaie-t-il simplement d’apaiser la colère du public par un discours plus musclé ? Je pense que la réponse à cette question est aussi obscure que l’eau au large de Mobile (ville côtière de l’Alabama, sur le Golfe du Mexique). On ne peut pas savoir, parce que jusqu’à aujourd’hui il ne s’agit que de mots – le plus près qu’il se soit approché de propositions concrètes est sa promesse que nous n’allons PAS pouvoir nous passer de pétrole dans la décennie à venir.

Ce qui est bien sûr vrai. D’ici 10 ans, on utilisera toujours du pétrole – beaucoup de ceux qui viennent d’acheter de nouvelles Ford cette année les conduiront encore en 2020. Exxon existera encore. Mais le réalisme ne devait pas forcément empêcher le président de dire bien plus que ce qu’il a choisi de dire. S’il avait voulu, il aurait pu déclarer : « D’ici 10 ans, l’Amérique utilisera la moitié du pétrole qu’elle utilise aujourd’hui, et produira dix fois plus d’énergie solaire. » Cela aurait été stimulant. Cela aurait mis quelque chose dans la balance.

Il aurait pu, autrement dit, faire ce que John F. Kennedy a fait quand il s’est trouvé avec un projet sur 10 ans. Dans un appel spécial au Congrès en mai 1961, JFK a insisté pour que l’Amérique s’engage complètement pour atteindre le but : « avant la fin de la décennie, faire marcher l’homme sur la Lune et le faire retourner sain et sauf sur Terre. » Il exigea du Congrès « un engagement ferme sur une nouvelle ligne de conduite, qui durera des années et aura des coûts très lourds ».

Un an plus tard, à peu près à la même étape de son mandat qu’Obama aujourd’hui, Kennedy prit la parole à l’Université Rice, peu après avoir visité des laboratoires de la NASA de la région. À cette occasion, il prononça un grand discours. (Si vous pensez qu’Obama a une équipe de « plumes » talentueuse, comparez ses molles remarques en Californie au discours de Kennedy, plus court mais un petit bijou.) Voilà le propos central de ce discours :

« Nous avons choisi d’aller sur la Lune avant la fin de cette décennie, parmi d’autres choses, non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile, parce que cet objectif nous permettra de nous organiser et de mesurer le meilleur que nos énergies et de nos aptitudes, parce que nous acceptons ce défi, et que ne nous voulons pas le reporter. »

Maintenant, faisons la liste des différences : Kennedy avait la Guerre froide pour l’aider, ainsi qu’une économie en pleine croissance et une forte majorité au Congrès. Obama préside à une économie fragile, un Congrès divisé, et doit faire face à une droite complètement folle laquelle, à la dernière Convention républicaine, s’est réunie autour du slogan « drill, baby drill ».

Ce n’est pas tout : le défi qu’Obama doit relever est encore plus difficile. La mission Apollo était techniquement complexe, mais en un sens complètement opposé au défi énergétique actuel : la mission sur la Lune requérait de focaliser notre énergie sur trois hommes et une fusée, alors que la révolution énergétique exige en fait que nous atterrissions tous sur une nouvelle planète où nous n’aurions plus besoin de l’énergie fossile dont dépend aujourd’hui notre économie. Alors, avantage Kennedy. Enfin, il n’y avait pas d’intérêts organisés s’opposant activement à l’aventure spatiale – en fait, les grandes entreprises avaient plutôt tendance à se mettre en rang pour obtenir une part du gâteau.

Également, comme le signalait récemment Andy Revkin dans le New York Times, « il y a toutes les raisons de penser qu’un président contemporain devrait être capable d’expliquer clairement que l’époque décisive de l’histoire humaine où nous nous trouvons, où des aspirations illimitées se heurtent aux limites de la nature, requiert un effort soutenu et de grande ampleur. »

Surtout que Kennedy se lançait dans un pari osé, que personne n’exigeait que l’homme aille dans la Lune, et que le fait de ne pas essayer n’entraînait pour lui aucun risque de sanction. (Beaucoup de gens pensaient qu’il aurait mieux valu dépenser l’argent sur la Terre.) Obama, lui, n’a pas le choix. Le futur de la planète (et son propre legs à la postérité) seront, à long terme, fonction de la manière dont il aura répondu au défi du réchauffement global, qui est clairement le problème le plus grave auquel l’humanité ait jamais dû faire face.

Mais oublions la Guerre froide. La semaine dernière, de nouvelles données satellite ont montré que la fonte des glaciers de l’Arctique a déjà dépassé cet été son record de 2007. Nous sommes au milieu d’une « guerre de la chaleur », et nous sommes en train de la perdre. Globalement, nous venons de connaître l’hiver le plus chaud jamais enregistré, et il semble plus que certain que 2010 va battre le record de l’année la plus chaude. Chaque semaine semble amener de nouvelles annonces d’inondations records : mai a commencé avec une folle inondation à Nashville et fini avec une autre au Guatemala. La semaine dernière furent signalées les températures les plus chaudes jamais enregistrées en Asie et en Asie du Sud-est.

Pour le moment, Obama ne s’est pas donné beaucoup de peine à propos du changement climatique : à peine quelques phrases dans quelques discours. Aujourd’hui, la catastrophe causée par la fuite du pétrole dans le Golfe lui offre la meilleure occasion qui se présentera jamais à lui de se mettre au travail. Le président pourrait se rendre sur la côte de Louisiane et dire : « Bien que très grave, cette catastrophe n’est que le symbole visible du désastre bien plus important qu’on cause tous les jours simplement en brûlant du charbon, du gaz et du pétrole. Même si le liquide noir qu’on voit arriver sur ces côtes avait fini dans les réservoirs à essence de nos voitures, il n’en aurait pas moins causé des dommages importants. Le pétrole est sale de toute façon, de la première goutte à la dernière boulette qui s’échoue sur nos plages. »

Le président dispose déjà du théâtre d’actions dont il a besoin pour infléchir le cours de l’histoire, ce qui requiert davantage que de simplement soutenir le projet de loi sur l’énergie et le climat déposé le mois dernier par les sénateurs John Kerry et Joe Lieberman – un exemple caricatural de politique avançant à pas de nain. Comme cela s’était passé avec sa réforme du système de santé, l’administration et ses représentants ont déjà contacté à l’avance les industries qui risquaient de s’agiter et ont essayé de passer des marchés avec elles.

De même que les grandes entreprises pharmaceutiques savaient qu’elles ne se verraient pas imposer des prix négociés pour les médicaments, les grands pétroliers et les grandes entreprises d’électricité ont reçu toutes les assurances nécessaires que leur modèle économique ne serait pas remis en cause.

Le problème de fond est le suivant : même en faisant abstraction de toutes les contreparties et de toutes les failles législatives, nous nous acheminons avec ce projet de loi vers une réduction à l’horizon 2020 de 4% des émissions de dioxydes de carbone par rapport au niveau de 1990. Cela vous donne des frissons ? Obama ne propose pas de solutions réelles à des problèmes réels : il est en train de cocher des lignes sur une liste d’objectifs à remplir. Il a maintenant sa loi sur le système de santé, et il aura peut-être sa loi sur l’énergie (bien que cela paraisse de moins en moins sûr). Mais nous n’avons pas besoin de lois, nous avons besoin de réponses réelles.

Je ramène tout cela à Obama, bien qu’il soit clair qu’il ne peut y arriver tout seul. Il aura besoin d’un mouvement pour réaliser de véritables progrès. Mais là est la tragédie : il a déjà un mouvement. Il a été élu parce que des millions d’entre nous lui ont envoyé de l’argent, ont été frappé aux portes, sont restés debout sur des tas de neige avec des pancartes. Il a sous lui une armée prête à marcher (quoiqu’elle commence à se rouiller un peu et à montrer des signes de démoralisation).

Et il n’y a pas qu’ici. Tout autour du monde, notre organisation 350.org a réussi à organiser des manifestations géantes l’année dernière – 5 200 d’entre elles dans 181 pays, ce que Foreign Policy (magazine américain) a qualifié de « plus grande manifestation globale jamais organisée ». Nous l’avons fait à la manière de Kennedy, en rassemblant les gens autour d’un objectif exigeant – à savoir 350 parties par million de dioxyde de carbone , ce qui constitue, selon les scientifiques de la NASA, le maximum qu’on puisse avoir dans l’atmosphère sans encourir des risques. Comme nous avons déjà dépassé cette limite (nous en sommes à 390 parties par million), nous devons faire encore plus d’efforts que nous n’avions jamais imaginé. Il faut vraiment que nous nous passions de pétrole d’ici une décennie !

Mais pour avoir une chance, nous avons besoin d’un leader. Nous avons besoin que quelqu’un se lève pour dire les choses comme elles sont, d’une manière suffisamment convaincante et poignante pour nous entraîner sur une nouvelle voie. À ce moment de l’histoire, sur cette planète d’environ 7 milliards de personnes, il y a exactement une personne qui pourrait jouer ce rôle. Pour l’instant, il reste dans l’indécision.

Copyright 2010 Bill McKibben, reproduit avec autorisation