Comment le changement climatique affecte les modèles de migration : exemples de la Bolivie, du Sénégal et de la Tanzanie

Par Cecilia Tacoli

, par IIED

Cet article fait partie d’un dossier intitulé Il n’y a pas que le changement climatique : mobilité, vulnérabilité et transformations socio-économiques dans les zones écologiquement fragiles de Bolivie, du Sénégal et de Tanzanie, initialement été publié en anglais, et traduit par Virginie de Amorim, Lætitia Petit et Agnès Carchereux, traductrices bénévoles pour rinoceros.

Cette partie décrit les conclusions issues d’études de cas menées dans trois pays, la Bolivie, le Sénégal et la Tanzanie, chacun d’entre eux subissant petit à petit les impacts du changement climatique. Au sein de chaque pays, des endroits spécifiques ont été choisis dans des zones représentant une variété de changements environnementaux, comme décrit ci-dessous. La méthodologie utilisée était qualitative et, autant que possible, basée sur des discussions de groupes, ainsi que sur des entretiens avec des informateurs clés. Cela a permis aux équipes des trois pays d’engager d’autres acteurs (fédérations paysannes en Bolivie, associations d’agriculteurs au Sénégal, et organisations de jeunes en Tanzanie) dans la recherche et les discussions, et grâce à eux de stimuler les débats locaux. De plus, tandis que la migration est généralement perçue comme un choix personnel, l’ouverture de discussions sur les perceptions et les expériences ont facilité l’exploration des déterminants et des impacts les plus collectifs de la mobilité, et leurs relations avec les changements environnementaux ainsi qu’avec d’autres facteurs.

En Bolivie, les recherches se sont concentrées sur deux régions. La première est la province de Norte Potosi, relativement éloignée, l’une des régions les plus pauvres du pays et du continent, avec 71 % de ses terres touchées par la désertification et 98 % de sa population considérée comme pauvre. L’exode pour quitter la province est élevé, d’une moyenne de 15 % avec des pics allant jusqu’à 50 % dans certaines communautés. L’autre région est la municipalité de San Julián dans la province de Santa Cruz, située dans les basses terres de l’est de la Bolivie. San Julián est le fruit d’un programme de réinstallation mis en œuvre par le gouvernement bolivien à la fin des années 1990.

Au Sénégal, quatre zones ont été retenues. La commune rurale de Gandiole, sur la côte sud de la ville de Saint Louis, est un village traditionnel de pêcheurs et d’agriculteurs, réputé pour ses légumes, notamment ses oignons, et proche du parc national de la Langue de Barbarie, une oasis naturelle qui abrite plusieurs espèces d’oiseaux et qui est également une attraction touristique. Ce village connaît actuellement des changements dramatiques de son environnement et l’exode y devient de plus en plus important. En revanche, la municipalité de Ross-Bethio, en amont du delta du fleuve Sénégal, est un centre en pleine croissance avec une économie dynamique et diversifiée centrée sur le développement de l’agriculture irriguée et qui attire des migrants d’autres régions du Sénégal et des pays voisins. La troisième zone est celle de Ngueye-Ngueye dans la région de Diourbel, au cœur du bassin de l’arachide, où l’agriculture pluviale et l’élevage nomade sont les principales activités. Le dernier endroit choisi est la ville d’Ourossogui, au nord-est du pays, sur les rives du fleuve Sénégal, et l’une des régions les plus touchées par la sécheresse. Néanmoins, Ourossogui est un centre en pleine croissance avec une économie dynamique et diversifiée largement dominée par les envois de fonds des migrants internationaux qui ont commencé à migrer vers l’Afrique centrale et de l’ouest au milieu des années 1950.

En Tanzanie, les recherches se sont portées sur les expériences et les perceptions de jeunes hommes Massaï, un groupe de migrant en rapide croissance. Des interviews et des discussions de groupes se sont tenues dans la capitale économique du pays, Dar es Salaam, ainsi que dans la ville à croissance rapide d’Arusha, au pied du Kilimandjaro et bordant les terres d’élevage traditionnelles des Massaï, et enfin dans le village Massaï de Monduli, ainsi que dans les zones rurales autour d’Arusha.

3.1 Migration et mobilité dans des environnements fragiles : contexte

Il ne doit pas être surprenant que la migration et la mobilité aient longtemps été un élément clé des moyens de subsistance des populations vivant dans des environnements fragiles où le risque est omniprésent. Dans les Andes boliviennes, l’agriculture de subsistance était traditionnellement assurée par des membres d’une même famille dans différentes zones écologiques, à différentes altitudes, afin de produire diverses cultures. Cela représentait une police d’assurance en cas de mauvaise récolte, et les échanges au sein d’un groupe familial élargi assuraient un accès à un régime alimentaire varié. De plus, les agriculteurs diversifiaient leurs revenus en travaillant dans les mines pendant la saison agricole creuse. Cependant, même les activités agricoles impliquent souvent une mobilité : entre octobre et mars, les femmes se déplacent durant 3 à 6 mois pour la transhumance de leurs cheptels, surtout des lamas, tandis qu’il n’est pas rare que les terres cultivées soient situées à plus de 3 heures de marche du village. Lors des périodes de travaux agricoles intensifs, les agriculteurs vivent dans des cabanons installés sur leur exploitation.

La région des Andes, pas seulement la Bolivie mais aussi les pays limitrophes comme l’Équateur, a connu un exode à grande échelle, allant des zones rurales vers des centres urbains et des destinations internationales (Gray 2009). En Bolivie, la migration interne a représenté une part importante des politiques de développement régional depuis 1955, et l’installation de nouveaux villages dans les basses-terres tropicales sous l’égide du Conseil National pour la Colonisation a été une stratégie déterminante pour la redistribution de la population et la croissance agricole. Entre 1950 et 1976, la population vivant dans les montagnes a baissé de 10 % alors que celle des basses-terres a augmenté de 3,85 % par an. Cette tendance est même devenue plutôt prononcée et, dans le recensement de 2001, la province de Potosi a subi une émigration (mouvement à long terme) de plus de 46 000 personnes, tandis que la principale région de destination, la province de Santa Cruz dans les basses-terres de l’est a connu une immigration de plus de 90 000 personnes. Depuis les années 80 et 90, la migration internationale vers l’Argentine, le Brésil, les États-Unis, et depuis peu, l’Espagne, s’est accélérée et selon des récentes estimations, 2,5 millions de Boliviens, soit 25 % de la population totale, vivent à l’étranger (Nijenhuis 2010). En 2007, on estimait à 6,6 % du PIB les afflux d’envois de fonds internationaux (UNDP 2009). La population s’est également déplacée vers les centres urbains, et alors qu’il y a 30 ans, 64 % de la population était rurale, désormais 62 % de la population vit dans des centres classés comme urbains.

En Afrique sub-saharienne, la migration saisonnière a également longtemps fait partie des moyens de subsistance. Sous la domination coloniale, les agriculteurs de subsistance n’avaient souvent pas d’autres choix que de travailler dans des plantations pour pouvoir gagner de quoi payer leurs impôts ; en effet, le but premier de l’imposition était dans beaucoup de cas, de fournir de la main d’œuvre agricole salariée pour les cultures destinées à l’exportation. Dans certains pays comme au Burkina Faso et au Ghana, la migration interne et transfrontalière vers les zones côtières datant d’avant la colonisation, ainsi que la migration rurale-rurale, formant souvent mouvement circulaire, sont encore prédominantes (Henry et al. 2004 ; Van Der Geest 2009). Au Sénégal, les modèles de migration varient selon les lieux. Les Sénégalais ont une longue tradition de mobilité, et historiquement le pays a également été une destination phare pour les migrants venant d’autres zones de la région. Jusque dans les années 90, le mouvement était majoritairement interne ou vers les pays africains ; depuis, cependant, la migration internationale, notamment vers l’Europe, a été idéalisée pour devenir la seule voie vers la réussite, et ce malgré les épreuves que doivent endurer beaucoup de migrants. Les transferts financiers à la fois internationaux et nationaux sont devenus une composante clé des budgets des ménages, et les envois de fonds internationaux sont un élément substantiel de l’économie sénégalaise, contribuant à hauteur de 8,5 % du PIB en 2007 selon les estimations (UNDP, 2009).

Les éleveurs nomades d’Afrique de l’est sont un groupe traditionnellement mobile qui a longtemps développé des stratégies afin de faire face à des environnements incertains, incluant la mobilité des familles ou de certains de ses membres pour la production pastorale, les transhumances saisonnières ou les déplacements vers les marchés. Toutefois, la baisse des précipitations et les sécheresses plus fréquentes ont accentué la pression sur les ressources pastorales, poussant les éleveurs hors de leurs routes migratoires traditionnelles. Des années de marginalisation politique et économique, des politiques de développement inappropriées contraignant la mobilité, un accès beaucoup plus réduit aux services de base comparé aux moyennes nationales, ainsi que des opportunités limitées pour la diversification des revenus sont autant de facteurs contribuant à l’augmentation du nombre de jeunes migrant vers les centres urbains (Hesse et Cotula 2006 ; Oxfam International 2008). La migration internationale n’est pas aussi persuasive en Tanzanie qu’en Bolivie et au Sénégal, et en 2007 on estimait que les envois de fonds internationaux représentaient seulement 0,1 % du PIB.

3.2 Changements environnementaux perçus dans les zones des études de cas

Les migrations et la mobilité sont affectées à la fois par des événements météorologiques extrêmes et un lent début de dégradation et de désertification des terres. Cette étude se concentre principalement sur les impacts du lent début de changement climatique, même s’il est important de noter que dans de nombreux cas, il y a des liens forts avec des événements météorologiques extrêmes. Ces derniers peuvent être décrits comme des événements précipitateurs de deux manières : premièrement leur impact sur les ressources naturelles n’est pas limité à la durée de l’événement mais dure sur une période beaucoup plus longue. Deuxièmement, et peut être le plus important, leur impact négatif sur les économies locales est tel qu’il exige des changements radicaux de longue durée dans la façon dont sont construits les moyens de subsistance. Généralement cela implique une réduction du rôle des ressources naturelles en tant que source primaire de revenus et de subsistance.

Un impact supplémentaire lié au changement climatique, bien que souvent négligé, est le déplacement de la population. Ce déplacement résulte d’une infrastructure dont le but est de limiter l’utilisation d’énergie générée par des ressources fossiles et/ou de préserver l’eau pour l’agriculture et d’autres utilisations, par exemple des barrages ou des interventions visant à atténuer les impacts des changements environnementaux dans d’autres régions. Cette section décrit les impacts des changements environnementaux comme ils ont été rapportés par les correspondants au sein des régions des cas d’études plutôt que par des mesures objectives. Cela parce que les perceptions subjectives et les attentes influencent fortement les stratégies de subsistance, y compris les décisions de partir.

Dans la région du Norte Potosí, en Bolivie, les communautés ont tracé le début d’une spirale de changements environnementaux et de migration conséquente à la sécheresse catastrophique de 1982-83. La production agricole a diminué de 30% et une grande partie du bétail a été perdue. Depuis le début des années 1980, plus de 100 hectares dans la région du cas d’étude ont été perdus à cause de la dégradation des terres, exacerbée par des changements dans les modèles de précipitations, qui sont en moyenne d’environ 500 mm par an, mais qui sont devenues irrégulières avec des averses moins fréquentes mais plus fortes. Avec un temps plus doux, les cultures qui sont traditionnellement uniquement plantées dans les vallées, sont plantées plus haut dans les montagnes, même si elles ont un rendement plus faible et d’importante variations d’année en année. La zone entre les vallées et les hautes montagnes est donc aujourd’hui surexploitée, contribuant ainsi à une augmentation de l’érosion du sol. Des enceintes pour protéger les cultures et les accès à l’eau de plus en plus rare, limitent en retour les espaces disponibles pour les prairies, et le bétail est également affecté par des maladies comme le Chagas, qui est aujourd’hui présente à des altitudes de plus de 3500 mètres.

L’autre région de Bolivie, San Juliàn, est au contraire une zone écologique subtropicale à moins de 250 mètres au-dessus du niveau de la mer, comparé aux 2800-4000 mètres d’altitude de la région du Norte Potosí, avec des précipitations moyennes d’environ 1000-2000 mm par an. Zone à l’origine d’une grande densité forestière, elle a été choisie par le gouvernement à la fin des années 1960 comme région de réinstallation. Des migrants furent alloués 50 hectares de terres qui ont été graduellement défrichées. Avec le temps, certains émigrés sont retournés dans leurs régions montagneuses natales, dont le Norte Potosí, frustrés par le manque de soutien dans leur adaptation à un nouveau climat et à des pratiques agricoles différentes. La zone a cependant continué d’attirer des migrants qui ont soit racheté les terres de ceux retournant chez eux, soit repris les parcelles abandonnées. Depuis les années 1990, un système de ventes des terres s’est développé et l’achat est devenu l’unique accès possible à la terre. Alors qu’il en a résulté une baisse du nombre d’immigrants, le défrichement de la forêt a continué. La raison principale en est le déplacement graduel de l’agriculture de subsistance et l’importance croissant de l’agriculture commerciale mécanisée, plus particulièrement dans la production de soja, et la consolidation des parcelles. Les principaux changements environnementaux observés lors des 20 à 30 dernières années sont les inondations, les vents forts, des modèles imprévisibles de précipitations et une résistance accrue des anciennes et nouvelles variétés de parasites.

En Tanzanie, les hommes Maasaï décrivent la saison sèche prolongée de 1997, qui a été suivie par les inondations liées à El niño en 1998, comme un tournant dans leur mode de vie traditionnel. Alors que ces événements ont affecté les cultures et aggravé l’érosion du sol, les apparitions associées de maladies de bétail comme la fièvre de la Vallée du Rift ont décimé les troupeaux et ont été plus dévastatrices encore pour les éleveurs nomades. Ceci a été suivi par trois années de précipitations peu abondantes entre 2000 et 2002, ce qui affecta sévèrement les troupeaux. La sécheresse revint en 2009-2010, rendant difficile l’accès à l’eau et aux pâturages. Le taux de mortalité du bétail était si élevé que selon les propres mots des Maasaï, il était possible de se réveiller le matin pour trouver 5 à 10 animaux morts pendant la nuit. A cause des épidémies répétées de maladies mortelles, le bétail est devenu de plus en plus faible, et sa résistance est d’autant plus diminuée par le besoin de se déplacer plus loin pour trouver des pâturages. Simultanément la déforestation pour la production de charbon de bois et la médecine traditionnelle, toutes deux devenues des sources additionnelles de revenus pour beaucoup, a eu pour conséquence des vents forts et un accroissement de l’érosion du sol touchant les fermes et les pâturages.

Au Sénégal, les sécheresses sévères des années 1970 et du début des années 1980 sont également décrites comme des événements ayant introduit des changements significatifs dans les modes de subsistance locaux. Il est estimé que les précipitations ont diminué de 30-40% lors des dernières décennies et que la déforestation et la désertification sont significatives dans toutes les régions étudiées. Plus récemment la construction d’infrastructures, y compris des interventions visant à diminuer la pression exercée par les impacts du changement climatique, a également affecté les modes de subsistance ruraux. En 1986, la construction du barrage de Diama, ayant pour objectif de bloquer l’intrusion d’eau de mer au sein des zones irriguées des bassins du fleuve Sénégal a eu pour conséquence la salinisation des sols de la zone côtière en aval (UN/WWAP (United Nations/World Water Assessment Programme) 2003). Cependant, l’initiative la plus destructrice pour l’environnement côtier à proximité du delta du fleuve Sénégal a été l’ouverture d’une brèche en 2003, au sud de la ville de Saint Louis, pour limiter les dégâts sur les zones urbaines causés par des inondations fréquentes. La brèche était sensée relâcher les eaux du fleuve rapidement. D’une largeur initiale de 4 mètres, la brèche s’étendit cependant rapidement jusqu’à plus de 800 mètres, pour atteindre en 2006, environ 1500 mètres (Durand et al. 2010), causant l’érosion des terres cultivables et la salinisation des sols. Le cas d’étude de Gandiole a été fortement affecté par ces deux interventions. Jusqu’à récemment, les moyens de subsistance de 80% de sa population dépendaient de la pêche et de l’agriculture, notamment les fruits et les légumes, profitant de la proximité de la ville de Saint Louis. Cependant la salinisation des sols et des courants forts en mer ont compromis ces deux activités.

3.3 Réponses au changement climatique et transformations non-environnementales

Dans toutes les régions des cas d’études, les moyens de subsistance ont changés, parfois radicalement, en réponse à la fois aux changements environnementaux et aux impacts de transformations socio-économique, culturelle et politique plus larges. Alors que dans certaines régions de nouvelles opportunités économiques ont émergé et permis à la population de s’adapter de manière plus effective aux impacts des changements environnementaux ; dans la plupart des cas, des transformations non-environnementales ont en effet rendu plus difficile le recours à des stratégies de subsistance bien établies. Il est certain que les sécheresses désastreuses du début des années 1980 qui, autant en Bolivie qu’au Sénégal, ont marqué le début d’un cycle de dégradation environnemental intensifié, ont été aussi dévastatrices parce qu’elles ont eu lieu à un moment de bouleversements économiques et sociaux majeurs.

En Bolivie, le programme d’ajustement structurel mis en œuvre depuis 1986 à la suite d’années de désordre politique et économique, comprenant la fermeture des mines, a résulté en une perte massive d’emplois pour les mineurs ainsi que les employés des industries associées. Dans les zones minières comme le Norte Potosí, cela a grandement affecté la base économique locale et réduit les opportunités d’emplois saisonniers dans les mines, une stratégie traditionnelle de diversification des revenus des paysans. Les prix internationaux des produits miniers, et plus particulièrement de l’étain, ont chuté vertigineusement dans les années 1980, ne commençant à remonter qu’en 2004. A ce moment là, les mines détenues par l’Etat avaient été transférées à des coopératives de mineurs qui ne pouvaient offrir que des investissements extrêmement limités conduisant à l’auto-exploitation et à des conditions de travail dangereuses. En effet, il n’est pas inhabituel pour des mineurs de s’engager dans l’agriculture saisonnière afin de joindre les deux bouts. Néanmoins, de meilleurs prix internationaux pour les produits miniers ont quelque peu revitalisé l’économie locale et après une décennie de déclin, les villes locales ont repris leur croissance offrant des opportunités, bien que limitées, d’emplois non-agricoles à la population des zones rurales environnantes.

Au sein du secteur agricole, des conditions environnementales changeantes ont permis à l’agriculture de se développer dans des zones de hautes altitudes où elle était auparavant impossible. Des températures plus chaudes et une meilleure rétention de l’eau dans les montagnes signifient désormais qu’il est possible de faire pousser des pommes de terre à des altitudes aussi hautes que 4000 mètres voire plus. L’érosion du sol dans les vallées inférieures, cependant, a sévèrement affecté l’agriculture, et alors que certaines cultures peuvent maintenant être produites à des altitudes supérieures à 3000 mètres, il en résulte une surexploitation et une plus grande dégradation du sol. De plus, malgré des efforts d’amélioration des routes et du système de transport, les coûts de transport, particulièrement pour les produits agraires, sont toujours élevés et dissuadent les agriculteurs d’exploitations isolées de vendre plus qu’une part minimale de leurs récoltes. Dans un tel contexte, la migration a été et reste un élément important des stratégies de subsistance.

Une proportion substantielle de migrants s’est déplacée vers les centres urbains - Cochabamba, La Paz et Santa Cruz – et finissent souvent dans le secteur urbain informel, alors que d’autres sont allés dans des régions telles que San Julián dans la province de Santa Cruz ; mouvement initialement encouragé par des programmes de réinstallation sponsorisés par l’Etat. L’augmentation de la mécanisation de l’agriculture dans les plaines, le coût élevé de la terre et l’accroissement de la diversification de la base économique du village ont réduit le rôle de l’agriculture en tant que principal secteur d’emploi (mais pas sa proportion dans les revenus locaux), alors que cela élargit les opportunités d’emploi dans les secteurs non agricoles. Parmi les migrants arrivés depuis 2000, l’agriculture est une activité moins courante – au moins en tant qu’agriculture familiale – alors que le commerce, la construction et toutes sortes de services sont les activités principales. Malgré le succès économique de San Julián et son rôle de destination dans les migrations, c’est également une source de migrants vers une diversité de destinations, comme cela est décrit dans la prochaine section.

Les Maasaï du nord de la Tanzanie retrace le début de changements profonds dans leurs moyens de subsistance aux apparitions sévères de peste bovine du début des années 1980, une période de forte crise économique pour le pays. Un autre facteur non-environnemental important se recoupant avec de longues sécheresses a été l’augmentation de la valeur de la terre et les conflits d’intérêts entre les différents exploitants dans les régions Maasaï depuis le milieu des années 1990. Sous le Land Act de 1999, les pâturages traditionnels ont souvent été classés comme inoccupés ou inutilisés, tombant ainsi sous le contrôle exclusif du gouvernement central qui avait donc la possibilité de les allouer à des investisseurs privés ou étrangers pour de l’agriculture commerciale à grande échelle. La diminution constante de pâturages et la sécheresse concomitante ont eu des effets dévastateurs sur le mode de vie des éleveurs nomades. En conséquence, depuis 1998, les MaasaÏ ont eux-mêmes commencé à cultiver. Cela était initialement réalisé dans des zones ouvertes, mais avec la mise en place du Village Land Act en 2001, des désaccords avec les agriculteurs sédentaires et les conseils de village contrôlant les allocations locales des terres, y compris l’allocation de droits à des investisseurs externes (non étrangers) en contrepartie d’une compensation, sont devenus fréquents, forçant souvent les agriculteurs Maasaï à se déplacer vers d’autres régions. Un changement si profond dans l’utilisation des terres provoque également des conflits au sein des Maasaï eux-mêmes.

Une autre raison du déclin de l’élevage nomade est le prix extrêmement bas du bétail. Lors des deux dernières années, le prix est passé d’environ US$ 250 à tout juste US$ 30 par tête, en partie à cause d’un excédent dans le marché provoqué par les éleveurs nomades anxieux de vendre leurs bêtes avant que les maladies et la malnutrition ne les tuent. Les migrations de jeunes hommes vers les villes sont devenues de plus en plus importantes, tout particulièrement depuis 2000, avec un pic en 2009-10. En conséquence, le changement environnemental, les maladies des troupeaux et la diminution de l’accès aux pâturages sont des facteurs clés dans la détermination des transformations des moyens de subsistance Maasaï, et la diversification dans l’agriculture et la migration. Cependant, cela reste des moyens primaires d’accroître la taille d’un troupeau et d’acquérir des polices d’assurance pour la perte d’animaux étant donné que l’élevage nomade reste le but premier de la vaste majorité des Maasaï.

Au Sénégal, les opportunités d’emploi dans les secteurs non agricoles dans la majorité des cas d’études sont très limitées. Les villes d’Ourossogui et de Ross-Bethio sont les exceptions. Au sein des autres sites, l’agriculture pluviale et la pêche restent les activités les plus importantes, et malgré l’expansion des micro-crédits en soutien aux entreprises à petite échelle, y compris le commerce, certaines activités de transformations et de production, et à Gandiole, des activités liées au tourisme, ne sont pas réellement suffisantes pour soutenir les moyens de subsistance locaux. Dans les villages les plus pauvres, comme Ngueye-Ngueye, les migrations ont traditionnellement été une façon de joindre les deux bouts lors de la saison sèche, et sont de plus en plus devenues un mode de vie pour la plupart des foyers. A Ngueye-Ngueye, les habitants retracent l’augmentation des migrations à la chute des prix internationaux de l’arachide dans les années 1990. Cela étant, les migrations sont un élément important des moyens de subsistance dans les villes prospères également qui, à la fois attirent et envoient des migrants. En effet, la ville de Ourossogui tient sans aucun doute sa croissance tant aux petites implantations rurales qu’aux petits centres urbains dynamiques et aux investissements des migrants. La prochaine section décrit les modèles spécifiques de migration dans les régions des cas d’étude, comment ils ont changé avec le temps, et les facteurs clés expliquant ces changements.

3.4 Migration et modèles de mobilité : durée, destination et composition

La conception et la mise en place de politiques dépendent d’éléments essentiels : le caractère temporaire, saisonnier ou de longue durée des migrations, la destination et le type de migrants. Il est également indispensable de mieux comprendre le rôle joué par la mobilité et la migration dans le cadre des stratégies de subsistance adaptatives. En effet, la durée, la destination et le type de migrants sont étroitement liés aux activités économiques dans la région d’origine ainsi qu’aux différentes opportunités de génération de revenus dans la région de destination.

3.4.1 Migration saisonnière entre zones rurales et transformations dans les agricultures familiale et commerciale

La mobilité saisonnière, qu’elle implique des mouvements entre zones rurales ou bien entre zones rurales et centres urbains, est ici définie comme un déplacement qui a lieu durant la saison agricole creuse, lorsque les tâches agricoles sont peu nombreuses, voire inexistantes. C’est évidemment le cas pour l’agriculture pluviale. La mobilité saisonnière implique notamment d’importants flux de migration du bassin arachidier du Sénégal et des Andes boliviennes. Deux facteurs jouent un rôle dans la migration saisonnière : premièrement, le manque d’opportunité financières non agricoles dans les villages d’origine et deuxièmement, le fait que l’agriculture est toujours considérée comme un élément important de subsistance, et ce malgré le fait que la migration est nécessaire pour compléter les revenus et, dans certains cas, pour littéralement joindre les deux bouts. L’exemple des Andes boliviennes illustre bien ce phénomène : les agriculteurs qui ont accès aux terres de montagne (à plus de 3 500 mètres d’altitude) où les changements environnementaux ont jusqu’alors conduit à une augmentation des opportunités agricoles, sont susceptibles de migrer de manière temporaire. A l’opposé, les agriculteurs dont les terres sont situées dans les vallées (entre 1 650 et 3 000 mètres) ont été plus durement touchés par la dégradation et l’érosion des sols et sont davantage enclins aux migrations permanentes.

Le haut degré de mobilité saisonnière des agriculteurs des zones d’agriculture pluviale explique la dépendance quelque peu surprenante vis-à-vis de l’activité agricole salariée chez les agriculteurs vivant dans des zones ayant un meilleur accès à l’eau, même lorsque l’agriculture familiale est le premier mode de production. Cette situation est visible à Gandiole au Sénégal, où travailleurs saisonniers originaires de zones à l’intérieur des terres viennent travailler au moment de la saison creuse dans leur région d’origine, généralement dans le cadre d’un métayage. L’intérêt d’embaucher des ouvriers salariés à Gandiole s’explique par la combinaison entre émigration, qui concerne souvent les hommes plus jeunes, et l’existence d’activités non-agricoles génératrices de revenus à la fois dans le village et dans la ville voisine de Saint Louis. Ainsi, malgré le manque d’activité agricole, les agriculteurs peuvent compléter leurs activités d’agriculture familiale par les revenus des activités non agricoles et par les envois de fonds. Les éleveurs nomades masaï qui se sont tournés vers l’agriculture embauchent aussi souvent des ouvriers, mais cela s’explique essentiellement par leur connaissance insuffisante - et leur aversion – de l’agriculture non mécanisée.

De manière moins surprenante, les migrants saisonniers représentent une part importante de la main d’œuvre dans les zones irriguées de production commerciale à grande échelle telles que la ville de Ross-Bethio dans le Delta du fleuve Sénégal. Les relations de travail supposent généralement des salaires quotidiens ou mensuels. De plus, la ville offre des opportunités de travail temporaire dans les activités de transformation telles que le décorticage du riz.

Cela dit, les migrants saisonniers ne cherchent pas toujours un emploi dans le domaine agricole. C’est en particulier le cas des femmes. Le nombre de femmes quittant le village lors de la saison sèche a fortement augmenté ces derniers temps dans les villages pauvres tels que celui de Ngueye-Ngueye. Les femmes se rendent généralement dans les villes locales mais aussi dans les plus grandes villes, où elles travaillent en tant que domestiques, lavandières ou vendeuses à la sauvette. La migration saisonnière est désormais si bien établie parmi les femmes que dans les foyers polygames, elles migrent souvent chacune à leur tour : une femme s’occupe de la famille une saison, et lors de la saison suivante c’est une autre femme qui reste. En revanche, les femmes des Andes boliviennes sont moins susceptibles de migrer car elles sont responsables du bétail du foyer et se déplacent plutôt dans les pâturages à des altitudes plus élevées ou restent dans le village. De la même manière, les femmes masaï en Tanzanie migrent peu à cause de leur importante charge de travail au sein du foyer, qui comprend non seulement la reproduction mais aussi l’entretien de la maison, la gestion de la production et de la commercialisation du lait, ainsi que les soins aux animaux malades.

3.4.2 La migration temporaire des zones rurales aux zones urbaines, forme de stratégie de diversification des revenus et d’accumulation de capital

La migration temporaire depuis les zones rurales est aussi motivée par les revenus faibles et précaires de l’agriculture, mais elle est liée de manière moins directe aux calendriers agricoles saisonniers, et est peut être définie plus justement comme une répartition des tâches au sein des foyers : un ou plusieurs membres du foyer se déplacent alors que les autres continuent de travailler dans la région d’origine. En conséquence, ce type de migration est de durée variable et a plutôt tendance à être dirigée vers les centres urbains, que ce soit les villes locales ou les grandes villes - même si les zones agricoles irriguées sont aussi généralement des destinations typiques. Les villes où les envois de fonds de migrants internationaux ont alimenté les booms de la construction et la diversification de l’économie locale, comme Ourossogui au Sénégal et Cochabamba en Bolivie, sont d’importantes destinations pour les jeunes hommes travaillant dans la construction et les jeunes femmes travaillant en tant que domestiques. Les hommes masaï en Tanzanie ne connaissent pas la même situation : leurs opportunités de travail sont limitées au poste de gardien ou de coiffeur et, dans la ville d’Arusha, à la fonction de courtier dans le commerce de la pierre de tanzanite. Dans tous les cas, les contacts sociaux semblent jouer un rôle beaucoup plus important que dans le cadre de la migration saisonnière vers les zones rurales, et les réseaux familiaux et amicaux de la même région d’origine sont essentiels à l’entrée sur le marché du travail urbain. Cela permet d’expliquer la migration d’un nombre croissant de jeunes, notamment de jeunes garçons qui sont parfois âgés de 14 ans, en Tanzanie ainsi qu’en Bolivie.

La migration temporaire ne touche pas seulement les résidents des villages les plus pauvres. En effet, des villages plus dynamiques connaissent généralement des flux d’immigrants ainsi que d’émigrants. San Julián, dans les plaines boliviennes, a été construit par des migrants provenant des provinces montagneuses, notamment Norte Potosí, et continue à attirer de nouveaux arrivants. L’immigration s’inscrit généralement dans la durée, alors que l’émigration du village est surtout temporaire. La ville voisine (à 150 km) de Santa Cruz est la destination principale chez les jeunes, hommes et femmes confondus. Ils y trouvent du travail en tant que travailleurs du bâtiment et domestiques. Travailler dans les villes constitue un élément important du statut social, ce qui reflète la tendance, chez les jeunes générations, à quitter l’agriculture pour se rapprocher des services et de l’industrie. La migration transfrontalière de familles entières vers l’Argentine pour des périodes allant de trois mois à un an est également fréquente, alors que la migration internationale vers l’Espagne reste peu habituelle en raison de son caractère coûteux. Il convient aussi de remarquer que les propriétaires de terres se déplacent rarement hors de Bolivie.

3.4.3 Liens entre migration internationale et mobilité interne

La migration internationale vers l’Europe est la forme de migration la plus répandue au Sénégal. Ce n’est pas simplement une question de chiffres, c’est surtout une question de rêves et de perceptions collectifs de ce qui constitue la réussite personnelle et familiale. Ces dernières années, le coût du passage des migrants sans-papiers a chuté de manière drastique avec l’usage des pirogues. Bien que cette solution soit relativement peu coûteuse en termes économiques, elle est cependant extrêmement dangereuse et de nombreux migrants potentiels se perdent au milieu de la mer. Cela attire grandement l’attention des médias au Sénégal comme en Europe et conduit les gouvernements à essayer de limiter cette migration, sans grands résultats.

Clairement, la migration internationale, comme toutes les formes de mobilité, est influencée par un mélange complexe de facteurs, dont le changement climatique a tendance à faire partie. Cependant, c’est aussi simplement un des multiples types de mobilité et de destination, et ce n’est certainement pas une forme de déplacement qui implique les groupes les plus pauvres - particulièrement les habitants des localités les plus touchées par le changement climatique. S’il y a un facteur risquant d’accroître la migration internationale, c‘est l’existence de réseaux sociaux qui facilitent les déplacements en fournissant des ressources financières et des informations clés, ce qui renforce l’idée selon laquelle les conséquences du changement climatique n’auront pas tendance à produire de larges flux de migrants internationaux (voir aussi Massey et collaborateurs, 2007).

Il existe néanmoins, un lien important entre migration internationale et migration interne car les envois de fonds et les investissements des migrants internationaux, notamment dans les zones urbaines, constituent un moteur essentiel de croissance économique, plus particulièrement dans les plus petites villes où la terre est moins chère. Cette situation, à son tour, créé des opportunités de travail pour les migrants internes, particulièrement dans le domaine de la construction et du travail domestique, bien qu’elle augmente également souvent la polarisation sociale et la compétition pour la terre et les autres ressources rares.

3.5 L’impact de la migration et de la mobilité sur les moyens de subsistance

Sous toutes ses formes, la migration a un impact important sur les moyens de subsistance dans les régions d’origine. Voici les paroles d’un vieil homme à Gandiole : "Je ne regrette pas que mes enfants soient partis. Si nous avions su, nous les aurions envoyés là-bas depuis longtemps". Dans toutes les zones des trois pays, les foyers les plus vulnérables ont été identifiés de façon unanime comme ceux qui ne bénéficient pas d’envois de fonds de la part de proches ayant émigré.

Dans les zones les plus vulnérables, les envois de fonds sont un élément essentiel de sécurité alimentaire. Dans de nombreux cas, les migrants qui s’installent dans des villes locales envoient de la nourriture plutôt que de l’argent. A Ngueye-Ngueye, le bus qui va à la ville transporte à son retour au village des sacs de riz envoyés par les migrants à leurs proches. A Norte Potosí, les migrants vers les villes minières locales envoient des produits alimentaires transformés tels que le sucre et le riz, et en échange ils reçoivent des produits traditionnels de la part de leurs proches. Cette préférence pour l’envoi de nourriture et non d’argent a été remarquée dans la région nord du Ghana (van der Geest 2009). La principale raison est que les produits transformés sont généralement moins coûteux dans les villes que dans les villages ruraux, où parfois ils ne sont pas même disponibles, surtout dans les villages éloignés et peu accessibles. Ce qui est probablement le plus frappant est que dans ces situations, la migration est une réponse à une extrême vulnérabilité et est essentielle à la satisfaction des besoins les plus basiques. Les migrants des zones très pauvres travaillent généralement à des postes qui n’exigent pas de qualifications ou en tant qu’ouvriers agricoles salariés, et leurs revenus sont parmi les plus faibles : dans le Delta de la rivière Sénégal, les ouvriers gagnent environ 40 euros par mois.

En règle générale, les envois de fonds sont essentiellement utilisés pour la consommation du foyer, puis pour l’amélioration du logement. L’investissement est généralement limité à cause des faibles revenus de la plupart des migrants. Cependant, lorsqu’il y a investissement, il semble suivre des modèles spécifiques. Le premier modèle est que l’investissement en agriculture est très limité dans les zones où les ressources naturelles sont durement réduites et les marchés sont éloignés - par exemple Norte Potosí et Ngueye-Ngueye au Sénégal. Quelques quantités d’argent peuvent être utilisées pour embaucher des ouvriers salariés, mais cela ressemble davantage au remplacement d’un atout (le travail) plutôt qu’à l’acquisition d’un nouvel atout. Ce modèle a été constaté dans le Delta du Mékong au Vietnam (Hoang et collaborateurs, 2008) et au nord de la Tanzanie (Diyamett et collaborateurs, 2001) et est lié à la diversification croissante des revenus et au déclin progressif des revenus provenant de l’agriculture dans les budgets des foyers.

En revanche, dans les zones ou l’agriculture commerciale est la base de l’économie locale, l’investissement en agriculture représente un usage important des envois de fonds et, dans certains cas, un des principaux motifs de migration. A San Julián, les fonds envoyés constituent la majeure partie du capital nécessaire à la mécanisation et à l’achat de pesticides. Comme cela a été mentionné auparavant, ces changements de pratiques d’agriculture sont au moins en partie provoqués par les modifications environnementales. Chez les Masaï du nord de la Tanzanie, l’achat de bétail est l’une des principales utilisations des envois de fonds et une réponse aux lourdes pertes de ces années passées. Cependant, les envois de fonds contribuent également à la diversification relativement récente qui a touché l’agriculture avec le paiement des ouvriers salariés et l’acquisition de machines. En d’autres termes, les envois de fonds contribuent grandement à soutenir l’adaptation aux changements environnementaux à l’échelle locale dans le secteur agricole.

De par leurs diverses origines économiques, un grand nombre de jeunes migrants provenant de San Julián projettent de revenir une fois qu’ils auront obtenu l’indépendance financière et les moyens d’acquérir de la terre, de construire une maison au centre du village ou de monter une affaire. De manière similaire, les investissements des migrants dans la ville de Ourossogui au Sénégal sont importants, particulièrement par rapport aux investissements dans les villages ruraux. Dans les Andes boliviennes, les migrants préfèrent aussi investir dans des centres urbains plutôt que dans des zones rurales. En général, les migrants prennent des décisions rationnelles d’investir dans des lieux où des activités économiques ont la possibilité de prospérer, plutôt que dans des zones où le manque de dynamisme économique prévaut et constitue en soi un motif de migration.

3.6 Points clés

La migration et la mobilité ont longtemps été des stratégies de subsistance essentielle dans les environnements fragiles, souvent encouragées par des politiques gouvernementales, à la fois de manière explicite ou comme conséquence involontaire d’autres politiques.

Tous les lieux étudiés se situent dans des zones touchées par des modifications environnementales à long-terme (désertification, dégradation des sols, déforestation) plutôt que par des événements climatiques extrêmes. Cependant, dans la plupart des lieux, les résidents identifient un événement déclencheur - une sécheresse particulièrement sévère, une maladie épidémique du bétail, l’impact involontaire des infrastructures - comme le point critique qui provoque des modifications drastiques des moyens de subsistances locaux. Dans tous les cas, ce sont les facteurs socio-économiques qui rendent les événements environnementaux déclencheurs si catastrophiques.

La migration saisonnière est importante dans les zones rurales les plus pauvres et est souvent essentielle pour joindre les deux bouts. Elle est largement déterminée par le manque d’opportunités locales non agricoles mais aussi par la persistance d’agriculture (pluviale) comme élément clé de subsistance. Elle est également stimulée par la demande d’ouvriers agricoles saisonniers salariés dans les fermes familiales de différentes zones écologiques, où l’émigration crée des pénuries de main d’œuvre mais les envois de fonds sont utilisés pour payer les travailleurs embauchés. La migration temporaire a souvent plutôt tendance à se diriger vers les centres urbains. La migration internationale est avant tout liée à l’accès aux réseaux sociaux ; il est donc peu probable que les conséquences du changement climatique produisent de larges flux de migrants internationaux. Cependant, les investissements des migrants internationaux dans les centres urbains, notamment les petits centres, permettent de créer des emplois qui attirent les migrants internes.

Bien que les femmes aient plus tendance à se déplacer vers les centres urbains et à s’engager dans des activités non agricoles (services domestiques, commerce...), leur décision de se déplacer ou non dépend grandement de la nature de leurs responsabilités dans les foyers agricoles. Les centres urbains attirent également de jeunes garçons qui peuvent s’appuyer sur les réseaux sociaux.

Dans l’ensemble de ces trois pays, les foyers les plus vulnérables sont ceux qui ne bénéficient pas d’envois de fonds. Dans les zones plus pauvres, les envois de fonds se font souvent sous forme de nourriture plutôt que d’argent, et contribuent à la sécurité alimentaire des foyers. Dans l’ensemble, les envois de fonds soutiennent la consommation. L’investissement dans l’agriculture est peu important dans les zones dont les bases de ressources naturelles sont épuisées et disposant d’un accès limité aux marchés, mais il est plus important dans les zones dominées par l’agriculture commerciale. Cependant, dans de nombreux cas, les migrants préfèrent investir dans des centres urbains.