Après le départ de Monsanto, les paysans burkinabè veulent reconquérir leur autonomie semencière

, par Observatoire des multinationales

Si Monsanto a décidé de quitter le Burkina Faso, les sociétés cotonnières maintiennent leur main-mise sur les semences de coton. Des milliers de producteurs de coton burkinabè entrent aujourd’hui en résistance pour reconquérir leur autonomie.

Afin de préserver la qualité et la couleur du coton, celui-ci doit être bien sec. Les femmes qui font la récolte secouent régulièrement le coton afin qu’il puisse bien sécher. © Wouter Elsen

Les paysans burkinabè ne parlent pas tous négativement de Monsanto et du coton transgénique, mais tous regrettent le monopole des sociétés cotonnières et de l’Union des producteurs sur le business des semences. Les premiers résultats de la thèse du burkinabè Edouard Sanou concernant l’impact socio-économique du coton OGM sur la population agricole, confirme nos impressions [1] : la quasi-totalité des paysans disent n’avoir jamais été consultés ni informés sur l’introduction des OGM tout en déclarant avoir des expériences positives avec ces variétés. Le coton transgénique requiert moins de traitements de pesticides – deux aspersions sur les six nécessaires en conventionnel – et son rendement n’est pas inférieur au coton conventionnel (à lire également, le reportage de Basta ! en 2013 au Burkina Faso).

Pourtant, si rien ne change, les paysans devront continuer à travailler jour après jour sous un soleil de plomb, sans aucune emprise sur la semence. Même une fois Monsanto parti. Avec le maïs, le coton est en effet la seule culture de rente au Burkina Faso : elle permet aux paysans d’épargner pour payer l’école et les soins de santé. Un « luxe » auquel n’ont pas accès ceux qui pratiquent la seule agriculture dite « de subsistance ». « Avec l’argent du coton, je peux envoyer les seize enfants à ma charge à l’école », illustre Bazabo Bognana.

Les paysans obligés de racheter leurs propres graines

Face à des paysans « condamnés » à produire du coton, les entreprises cotonnières se sont appropriées tout un système de multiplication des semences. Traditionnellement, les paysans au Burkina Faso produisent et améliorent eux-mêmes leurs graines pour des cultures comme le maïs, les haricots, le sésame et le sorgho. Mais pour le coton c’est impossible. Les semences ne sont pourtant pas « terminator », c’est à dire impossibles à resemer. Mais les entreprises cotonnières abusent de l’impossibilité à séparer manuellement les graines de la fibre – toutes contenues dans la capsule de la plante – pour le faire elles-mêmes dans leurs usines d’égrenage. Elles commercialisent ensuite le coton sur le marché, et expédient une partie des graines vers des usines d’huile. Le reste est revendu aux agriculteurs comme semences.

« Ils reçoivent les meilleures semences issues de leur production, assure Georges Yameogo de la société burkinabè des fibres textiles (Sofitex). Le processus de la multiplication des semences est sûr et correct, garanti par l’Institut national d’expérimentation et de recherche agricole (INERA). » Mais la séparation industrielle de la fibre et de la graine donne lieu à beaucoup de corruption et d’abus. Certains paysans travaillant dans les usines de la Sofitex concluent un accord avec les chefs de l’usine et reçoivent gratuitement, à la fin de leur période de travail, des semences de bonne qualité.

De plus, contrairement à ce que dit Georges Yameogo, le cycle de reproduction de la semence ne recommence pas chaque année. « Si je reçois des semences de 1ère ou 2ème génération, j’ai de la chance : il y aura beaucoup de graines dans mon coton et le poids par hectare sera bon, détaille Mohamed Traore. Mais souvent je reçois des semences de 3ème, 4ème voire même 5ème génération. Ces semences produisent toujours de la fibre, mais presque plus de graines. Vu que la Sofitex paie mon coton au poids, je suis perdant puisque j’ai travaillé et investi autant que si j’avais eu des bonnes semences. »

Pour Mohamed Traore le coton est devenu le symbole de la lutte paysanne. Avec ses collègues et compagnons, il sensibilise les paysans aux abus de l’union des cotonculteurs et des sociétés cotonnières. © Wouter Elsen

Pour Mohamed Traore le coton est devenu le symbole de la lutte paysanne. Avec ses collègues et compagnons, il sensibilise les paysans aux abus de l’union des cotonculteurs et des sociétés cotonnières. © Wouter Elsen

Un paysan de Dédougou, qui souhaite rester anonyme, ajoute : « J’achète un sac de semences OGM à la Sofitex. Une fois les cultures prêtes, l’entreprise vient chercher mon coton et récupère jusqu’à 15 fois le nombre de graines que j’ai semées ! Il est faux de dire que la plupart des semences partent à l’huilerie après la deuxième multiplication. Je connais des gens à l’usine. Ils m’ont dit que les graines sont simplement revendues. » Les paysans se retrouvent obligés de racheter leurs propres semences à des prix excessifs !

La multiplication des semences est un business florissant pour les sociétés cotonnières. En principe, 28 % des recettes des semences OGM vont à Monsanto mais il n’y a pas beaucoup de contrôle. « C’est une question de confiance, souligne Georges Yameogo de Sofitex. On envoie des rapports à Monsanto. Ils peuvent venir faire des prélèvements dans les champs. » Ce que confirme l’ancien employé de Monsanto : « C’est une simple déclaration de leur part. La Sofitex fait ce qu’elle veut, il n’y a aucun contrôle. Des montants énormes partent dans les poches des responsables. »

« La réponse ne se trouve pas chez les bio-ingénieurs mais chez les paysans »

Pour que les paysans se réapproprient cette étape cruciale de la culture du coton, s’attaquer aux seules multinationales ou aux OGM ne suffit pas. Le débat sur les semences transgéniques ne relève pas tant d’une discussion technique ou scientifique que politique. « Pour l’instant, il y a peu de consensus entre agronomes sur la définition des "bonnes semences" , constate Lodewijk van Dycke, doctorant au centre des communications, nouvelles technologies et propriété intellectuelle à Leuven en Belgique. Les bonnes semences dépendent de beaucoup de facteurs : le sol, le climat, l’accès à d’autres technologies, la culture locale, l’enseignement, l’information. »

« Cela dépend également de quel objectif on souhaite atteindre avec ces semences. Voulons-nous produire davantage ? Voulons-nous plutôt des récoltes sûres ? Voulons-nous des cultures qui nourrissent davantage ? Voilà des questions politiques porteuses de valeurs. La réponse à ces questions ne se trouve pas chez les bio-ingénieurs. Elle ne se trouve pas non plus chez Monsanto ou d’autres entreprises parce qu’ils ne recherchent que leur propre intérêt commercial. La réponse se trouve chez les paysans. Nous devons aspirer vers une démocratie plus participative qui accorde de plein droit la parole aux paysans. Ce n’est que par la suite que l’on peut juger le rôle positif ou négatif de Monsanto et de Sofitex, des OGM et d’autres formes de biotechnologie. »

Seul un dialogue démocratique accru avec les paysans permettra de découvrir quelles semences conviennent dans quelles circonstances. Afin de susciter ce dialogue, ce ne sont pas seulement les entreprises et les politiques, mais aussi les chercheurs et ONG qui doivent être associés au débat sur les biotechnologies agricoles. Il est indispensable d’investir dans la formation des paysans, et de pouvoir renforcer leur prises de participations dans les entreprises qui gèrent les semences. L’expérience négative avec les OGM au Burkina Faso a également fait réfléchir l’ancien employé de Monsanto, qui s’oppose à la ligne officielle de l’entreprise : « Ce n’est pas la biotechnologie qui va résoudre la faim dans le monde, c’est le fait de mettre cette technologie à la disposition des agriculteurs, le fait d’avoir un système agricole qui puisse absorber cette technologie. »

Le début d’une lutte paysanne pour se réapproprier leur filière

Les cultivateurs de coton, en réflexion depuis plusieurs mois, sont désormais prêts à se lancer dans la lutte. Soutenus par des structures telles que l’organisation pour la démocratie et la jeunesse (ODJ) ou la coalition contre la vie chère (CCVC), ils arpentent le pays à la rencontre des paysans : « On se réunit tôt le matin, chacun cotise pour le carburant des motos et on visite cinq à six villages par jour, témoigne Mohamed Traore. On parle et on écoute les paysans. »

Les carnets de revendication adressés à l’Union des producteurs et à la Sofitex les aident à élargir la mobilisation : ils exigent que le prix du coton couvre au moins leurs investissements. Ils réclament également des audits des entreprises cotonnières et de l’Union, et veulent l’implication des paysans dans le cycle du coton depuis la semence jusqu’au produit commercial. La combativité de Mohamed et de ses compagnons est contagieuse. Le groupe grandit rapidement et l’indignation est forte. Ce qui est important est que leur vision dépasse leur propre champ de coton. « La meilleure solution, dit Mohamed Traore, c’est de produire notre coton ici, d’égrainer ici et de tisser notre coton ici. Le combat a commencé partout. »

Lire l’enquête sur le site de l’Observatoire des multinationales.