Adriana Vieira : « Les solutions à la crise climatique sont dans les territoires »

, par Capire , PESSOA Bianca

Une militante de la MMF au Brésil parle de l’exploitation capitaliste de la nature et des solutions féministes à la crise climatique.

Marche des Marguerites, août 2019.
Des femmes rurales brésiliennes défilent avec, sur leurs grandes robes, écrit : "Résistance" ; "Biodiversité" ; "Foi, paix et amour" ; "Solidarité" ; "Agroécologie" ; "Agriculture familiale", etc.

Adriana Vieira est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio Grande do Norte, au Brésil. Son activisme a commencé dans la communauté rurale où elle vivait, dans la ville de Baraúna, en participant aux activités du Conseil communautaire : « J’ai commencé à participer à un groupe de jeunes qui organisaient la bibliothèque de l’école et, plus tard, à participer à l’Union Rurale. À partir du travail au syndicat, nous avons commencé à participer à la commission des femmes. C’était au moment de la mobilisation pour la première action internationale de la Marche en 2000. » Adriana a participé à toutes les actions depuis lors : « ma trajectoire de lutte est très liée à celle de la Marche Mondiale des Femmes ».

Au cours de l’interview, Adriana parle de l’exploitation capitaliste de la nature, des impacts de cette exploitation sur la vie des femmes et des nombreuses stratégies des femmes pour défendre leurs territoires et leur biodiversité.

Comment voyez-vous la crise climatique au Brésil aujourd’hui, compte tenu des revers des six dernières années de coup d’État et de gouvernements d’extrême droite ? Que faut-il faire pour changer la relation prédatrice avec la nature ?

En fait, ce que nous voyons, ce sont des termes — « crise climatique », « crise environnementale », « urgence climatique » — pour désigner quelque chose auquel nous devrions donner d’autres noms : exploitation du capitalisme, exploitation de la nature et exploitation de la vie et des biens communs. En d’autres termes, il est beaucoup plus simple de comprendre ce que signifie cette crise climatique. Cela a à voir avec une crise du capitalisme, qui a besoin de générer davantage de profits, et qui a donc besoin de créer des noms et même de créer les crises elles-mêmes.

Au Brésil, au cours des six dernières années, il y a eu une très grande cession de la nature, avec une privatisation des biens communs, qu’il s’agisse de la forêt, de l’eau — y compris celles qui sont souterraines — et des services d’eau et d’énergie. L’énergie solaire et éolienne est considérée comme une énergie propre, renouvelable et écologique, mais si on l’appréhende du point de vue de la vie des personnes qui se trouvent sur les territoires où elles sont déployées, on est loin du compte. Certaines installations représentent la mort de la biodiversité locale. C’est aussi une destruction de la culture et des connaissances, car les populations sont expulsées de ces lieux, y compris par le biais de la militarisation. Les gens ne peuvent pas se déplacer librement, ils ne peuvent pas élever des poules, ils ne peuvent pas élever des moutons. Il y a une très grande destruction dans l’environnement, en particulier dans les environs où ces énergies soit-disant vertes sont installées.

D’autres problèmes liés au climat sont, par exemple, la création de parcs naturels et de conservation, qui perturbent souvent aussi la vie locale. Pendant longtemps, les populations traditionnelles, autochtones, quilombola, riveraines et agricoles familiales ont pris soin de la nature. Malgré la destruction impulsée par le capitalisme, la nature n’est entretenue dans des bonnes conditions que parce que ces populations en prennent grand soin. Elles prennent soin du sol quand elles vont chercher les graines, elles font attention à ne pas toutes les prélever, elles laissent un peu de graines car la forêt a besoin de rajeunir, elle a besoin de renaître. Lorsqu’elles vont chercher le miel des abeilles, les femmes n’emportent pas tout, car elles considèrent que les abeilles ont besoin de se nourrir, et qu’il est important pour elles de perpétuer la biodiversité locale — y compris, à certains endroits, de replanter des plantes que l’énergie éolienne a détruit. Dans certaines plantations de caatinga, les femmes replantent pour que les abeilles puissent polliniser et augmenter la production de miel. Il ne s’agit pas seulement de nourrir les femmes, d’obtenir le miel pour soi-même, mais de garder les abeilles en vie.

Qu’ont enseigné les femmes populaires des mouvements et des territoires sur la coexistence avec la nature et la nécessité d’une transition juste ?

Récemment, nous sommes allées faire une activité dans un groupe de femmes apicultrices à Baraúna, ma ville, et nous avons commencé à parler de l’histoire des femmes et des groupes, et aussi de l’histoire des abeilles. Nous avons vu qu’il y a une très grande analogie entre la lutte et la vie des femmes et la vie des abeilles. Une des camarades dit que nous sommes comme des abeilles : si on en dérange une, on les dérange toutes. Dans cette analogie, il y a aussi un antagonisme qui est complémentaire, car les abeilles n’aiment pas le bruit, le « vacarme » les désorganise au travail, car elles ont leur propre langage. Les abeilles ont donc besoin de silence pour travailler et maintenir la biodiversité. Au contraire, nous, les femmes, nous avons besoin de bruit et d’agitation pour que la vie continue, pour nous garder en vie. Nous, les femmes, devons toujours être vigilantes, toujours bruyantes, toujours faire entendre notre voix.

Nous faisons partie de cette biodiversité et, par conséquent, il est très important que nous restions en vie, protégées de la violence patriarcale et aussi de la violence du capitalisme, qui nous expulse, nous tue, nous impose une charge de travail domestique si importante qu’elle détruit notre santé et raccourcit notre vie.

La nature a la capacité de nous apprendre, que ce soit des abeilles, que ce soit d’une plante, le temps qui se ferme, le soleil qui se lève plus tôt. Nous, les femmes, développons nos capacités d’agir en observant la nature et en apprenant d’elle. Cet apprentissage crée une possibilité de prendre soin de la nature, car la nature et la biodiversité prennent soin de nous.

Il existe plusieurs initiatives institutionnelles internationales qui promeuvent de fausses solutions pour le climat et garantissent le rôle de premier plan des grandes entreprises. Comment faire face à cette situation ? Et quelles alternatives existent ?

Nous, dans les mouvements, ne tomberons pas dans le piège de croire que les grandes entreprises ont la solution. Il est de notre devoir de faire comprendre à la société que la solution à cette crise climatique ne réside pas dans les grandes entreprises, l’agro-industrie ou le capitalisme. Nous voyons des catastrophes majeures liées à la présence de ces entreprises dans divers endroits : à Brumadinho, à Alagoas, dans le nord-est avec l’énergie éolienne. Les grandes entreprises détruisent parce qu’elles n’habitent pas sur place, elles ne s’inquiètent pas si elles ne vont pas bien respirer, si le bruit de la tour éolienne va vous déranger quand vous allez dormir, ou si la lumière ne va pas vous permettre de vous concentrer.

Les solutions se trouvent en fait dans les territoires, soit avec les femmes qui y produisent du miel à Baraúna, à Mossoró, soit avec les femmes qui organisent les cuisines communautaires – ce qui implique toute la question du jardin communautaire, de la plantation de l’agriculture familiale pour se nourrir, tout en socialisant le travail de soin. Pour nous, à la Marche Mondiale des Femmes, la solution est de se concentrer sur les territoires.

Avec quels programmes et stratégies féministes devrions-nous commencer l’année 2024 ? Comment pouvons-nous renforcer le féminisme populaire, la justice environnementale et la souveraineté alimentaire dans notre région et dans le monde ?

Il faut examiner ce que nous avons construit sur la Marche des Margaridas (Marguerites) au cours des deux dernières années. Nous avons construit un processus très intéressant à partir des territoires. Les femmes se sont penchées sur leurs territoires, réalisant ce que signifie vivre sans violence, ce que signifie avoir la souveraineté alimentaire — qu’il ne s’agit pas seulement de sécurité alimentaire, ce n’est pas seulement le droit de manger, c’est le droit de choisir quoi manger et le droit de choisir de manger sans poison. Le programme de la Marche des Margaridas donne de bonnes indications sur la marche à suivre non seulement pour 2024, mais à long terme. Nous discutons de la souveraineté alimentaire, de la protection des territoires contre les énergies renouvelables, de l’exploitation minière, de l’imposition de crédits carbone qui finissent par installer des parcs naturels de conservation qui sont des musées d’arbres pour l’appropriation du carbone. Les femmes ont les réponses qu’elles ont elles-mêmes construites et discutées dans les 27 États du Brésil.

Ce programme suggère également des possibilités de reproductions de ces idées et de ces sources d’inspirations dans le monde. Nous avons, par exemple, une production plus proche de chez nous, non pas parce que les femmes doivent s’occuper du travail domestique et en même temps de la production, mais parce que beaucoup n’ont pas de terre à planter sans être autour de la maison. Cette politique d’arrière-cours productives ici au Brésil est une bonne politique à mettre en œuvre dans d’autres endroits où il n’y a pas une grande étendue de terres. Il y a aussi le programme de semences créoles, dont nous nous occupons pour qu’elles s’adaptent au sol et restent vivantes tout au long des cultures.

D’un point de vue économique, certaines initiatives d’approvisionnement des gouvernements locaux qui favorisent l’agroécologie et qui privilégient l’agriculture familiale peuvent être une bonne source d’inspiration pour d’autres endroits dans le monde. Partout, les gouvernements doivent acheter, et il y a de l’agriculture familiale et de l’agroécologie partout aussi. Relier cette demande du gouvernement à ce qui est fait depuis les territoires est un bon programme, qui construit la possibilité d’une bonne vie, de la durabilité de la vie à partir de l’alimentation et de l’agroécologie, et qui doit également être lié au débat sur la protection des femmes contre la violence du capital et du patriarcat.

Vous pouvez écouter l’interview dans son intégralité en portugais ci-dessous :