Baloutchistan : Région pakistanaise insoumise

Face à la répression gouvernementale, une opposition baloutche morcelée

, par CIIP

Depuis 1947, les politiques du gouvernement pakistanais à l’égard de la province du Baloutchistan, tentant de soumettre la population plutôt que de développer la région, sont responsables de tensions qui se traduisent par une crise majeure régulièrement dénoncée par les ONG auprès de la communauté internationale.

Enlèvements, tortures, assassinats

Selon Voice of Baloch missing Persons (VBMP = la Voix des Disparus du Baloutchistan), les disparitions forcées de jeunes activistes et intellectuels baloutches ont commencé en 2002 pour prendre de l’ampleur à partir de 2005. Depuis, les organisations pakistanaises et internationales de défense des droits humains ont enregistré de nombreuses violations graves des droits humains de la part des forces de sécurité, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, des disparitions forcées (près de 15000 personnes disparues selon VBMP), des déplacements forcés…

En juillet 2011, dans son rapport “We Can Torture, Kill, or Keep You for Years” Enforced Disappearances by Pakistan Security Forces in Balochistan ("Nous pouvons vous torturer, vous tuer, ou vous garder durant des années", enlèvements des forces de sécurité pakistanaises au Baloutchistan), Human Rights Watch fait état des exactions des paramilitaires ("Frontier corps").
Le 10 mars 2014, une conférence organisée à Genève par l’UNPO (Unrepresented Nations and Peoples Organization), intitulée "Human Rights and Security Perspectives for Balochistan and Pakistan Post-2014", révèle les principales inquiétudes des intervenants concernant les enlèvements, tortures et assassinats des opposants politiques.
Considéré par Reporters Sans Frontières comme un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, le Pakistan fait régulièrement parler de lui pour les harcèlements à l’égard des médias, dont de nombreux cas sont liés au Baloutchistan [1].

Dans son rapport 2017, la Commission des droits de l’Homme pakistanaise (HRCP) dénonce la multiplication des exécutions extra-judiciaires et des disparitions forcées. Alors que celles-ci étaient auparavant cantonnées aux provinces du Baloutchistan, du Khyber-Pakthunkhwa et aux zones tribales, le rapport souligne qu’"elles sont devenues en 2017 un problème national, des blogueurs, activistes et journalistes ayant été pris pour cibles partout au Pakistan" et déplore "les violations des droits humains par les forces de sécurité" [2].

Émergences de groupes sectaires

Si les enlèvements et assassinats de la part des Frontier Corps (troupes paramilitaires aux frontières), mais aussi de l’Inter-service Intelligence (ISI, service de renseignement pakistanais) sont la préoccupation majeure des ONG, d’autres problématiques émergent.
Des groupes terroristes et organisations sectaires se sont servis du conflit baloutche pour s’implanter dans la région au cours des années 2000 : factions talibanes (afghanes et pakistanaises) - sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), Lashkar-e-Janghvi (LeJ), Imamia Student Organization (ISO), Sipaj-e-Muhammad Pakistan (SMP) - et Al-Qaïda" [3]. Ces organisations sont responsables d’un grand nombre d’exactions au Baloutchistan, avec l’appui de l’armée et des services de renseignements pakistanais selon les insurgés baloutches, pour faire obstacle au mouvement nationaliste baloutche.
Il semblerait que des groupes aient prêté allégeance à l’État islamique (EI) qui devient un nouvel acteur du conflit au Baloutchistan.

Conséquences pour le mouvement nationaliste baloutche

Le mouvement nationaliste baloutche comprend plusieurs composantes. Si toutes défendent les droits politiques, économiques et sociaux des Baloutches, certaines revendiquent une plus grande autonomie dans le cadre de la Constitution fédérale pakistanaise (National Party, Balochistan National Party), alors que d’autres luttent pour l’indépendance d’un "grand Baloutchistan" (Baloch Republican Party, Baloch National Movement). Mais l’augmentation des exactions et la politique répressive a radicalisé les positions, exacerbé les conflits et les divisions. Diverses factions et unités, divers groupes armés sont dispersés dans toute la province.

Si l’insurrection armée a reçu le soutien populaire au milieu des années 2000 en raison de la répression exercée par les autorités pakistanaises à l’encontre de la population, au fil du temps de plus en plus de groupes armés ont émergé rendant impossible une coordination. En raison d’attaques de Pakistanais non-baloutches, de critiques et contestation du patriotisme et/ou de l’engagement en faveur de la "cause nationale", les groupes armés se sont mis à dos les partis politiques baloutches plus modérés et nombre d’observateurs soulignent des dissensions au sein du mouvement nationaliste et de l’insurrection baloutche qui pourraient témoigner d’un déclin [4]. Toutefois la recrudescence des affrontements en 2018 entre les combattants baloutches et les forces armées pakistanaises attestent de la persistance des revendications nationalistes.

Selon Ulrich Bounat "Si le tableau à court terme reste sombre, un scénario positif à moyen terme est possible. Un accord de paix avec les Baloutches permettrait à l’exécutif local de gagner en légitimité, de stabiliser la région et aux structures de forces de s’appuyer sur les militants baloutches pour déloger les groupes djihadistes, sur le modèle des milices d’auto-défense qui ont permis de vaincre plusieurs guérillas comme Sendero Luminoso au Pérou. Toutefois, conclure un tel accord nécessitera un Etat pakistanais bien plus fort qu’aujourd’hui, où quelques centaines d’extrémistes déterminés peuvent bloquer la capitale et exiger la démission d’un ministre. C’est tout l’enjeu, tant pour la stabilité du Baloutchistan que pour celle de l’ensemble du sous-continent" [5]