Refusons la criminalisation du chiffrement, garant de nos droits en ligne

Tribune

, par La Quadrature du Net

Cette tribune de la Quadrature du Net, signée par de nombreux signataires dont ritimo, dénonce la criminalisation du chiffrement des communications en France, dans l’Union européenne, au Royaume Uni et aux États-Unis alors qu’il est soutenu par de nombreuses institutions comme les Nations Unies, la CNIL, l’ANSSI, l’ENISA ou la Commission européenne.

Chiffrer ses communications est une pratique banale qui permet qu’une correspondance ne soit lue par personne d’autre que son destinataire légitime. Le droit au chiffrement est le prolongement de notre droit à la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantit à chacun le « droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Toute personne - militant, défenseur des droits humains, journaliste, avocat, médecin mais aussi parent, ami, et vous-même - qui souhaite protéger sa vie privée peut chiffrer ses communications. Dans le monde entier, le chiffrement est utilisé pour enquêter sur la corruption, s’organiser contre des régimes autoritaires ou participer à des transformations sociales historiques.

Le chiffrement des communications a été popularisé par des applications comme WhatsApp ou Signal. En 2022, ce sont ainsi plus de 2 milliards de personnes qui chiffrent quotidiennement leurs communications pour une raison simple : protéger sa vie privée nous renforce toutes et tous.

Pourtant, le droit au chiffrement est actuellement attaqué par les pouvoirs policiers, judiciaires et législatifs en France mais aussi dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. En tant que société, nous devons choisir. Acceptons-nous un futur dans lequel nos communications privées peuvent être interceptées à tout moment, dans lequel chaque personne est considérée comme suspecte ?

Le chiffrement des communications utilisé comme « preuve » d’un comportement clandestin... donc terroriste

La Quadrature du Net a récemment révélé des informations relatives à l’affaire dite du “8 décembre” dans laquelle sept personnes d’« ultragauche » sont mises en examen pour « association de malfaiteurs terroriste ». Ces informations démontrent, de la part de la police française, une volonté sans précédent de criminaliser l’usage des technologies de protection de la vie privée.

Des pratiques de sécurité numérique parfaitement légales et responsables - dont le chiffrement des communications qui est pourtant soutenu, et recommandé, par de nombreuses institutions comme les Nations Unies, la CNIL, l’ANSSI, l’ENISA ou la Commission européenne - sont criminalisées à des fins de mise en scène d’un « groupuscule clandestin » vivant dans « le culte du secret ».

Outre l’usage de messageries chiffrées, sont aussi incriminées des pratiques telles que le recours à des services comme Protonmail pour chiffrer ses e-mails, l’utilisation d’outils permettant de protéger la confidentialité de sa navigation sur internet (VPN, Tor, Tails), de se protéger contre la surveillance des GAFAM (/e/), le simple chiffrement d’ordinateurs personnels ou encore l’organisation de formations à la protection numérique (chiffro-fêtes).

Criminaliser le droit à la vie privée

Par la criminalisation du chiffrement et de pratiques répandues de sécurité informatique, la police française vise à construire un récit selon lequel les sept personnes inculpées vivraient « dans la clandestinité ». En l’absence d’un projet terroriste prouvé et avéré, cette soi-disant « clandestinité » devient la preuve de l’existence cachée d’un projet inconnu.

Nous, journalistes, activistes, fournisseurs de services tech ou simples citoyens attentifs à la protection des données à l’ère numérique, sommes profondément révoltés de voir qu’un tel amalgame entre la protection basique des données et le terrorisme puisse être alimenté par les services de renseignement et la justice antiterroriste française.

Nous sommes scandalisés que des mesures nécessaires à la protection des données personnelles et de la vie privée soient désignées comme des indices d’« actions conspiratives » de personne vivant supposément dans le « culte du secret ».

Nous dénonçons le fait qu’une formation classique et bienveillante au numérique, portant sur Tails, un système d’exploitation grand public développé pour la protection de la vie privée et la lutte contre la censure, puisse constituer un des « faits matériels » caractérisant « la participation à un groupement formé [...] en vue de la préparation d’actes de terrorisme ».

Le droit au chiffrement attaqué par-delà la France

Sous prétexte de terrorisme, le système judiciaire français incrimine des pratiques basiques de sécurité. Mais l’exemple français ne représente malheureusement pas l’unique tentative d’affaiblir le droit au chiffrement.

À Bruxelles, la Commission européenne a proposé en 2022 le règlement CSAR (Child Sexual Abuse Regulation). Au nom de la lutte contre la pédopornographie, ce texte veut obliger les fournisseurs de messageries chiffrées à donner accès à chacun de nos messages pour les vérifier.

De nombreuses voix se sont élevées contre cette proposition, parmi lesquelles celles de 130 organisations internationales. Elles dénoncent notamment l’absence de considération pour la mise en place d’autres moyens qui permettraient de lutter contre ces graves infractions de manière moins liberticide. De récentes fuites ont d’autre part révélé que des pays comme l’Espagne veulent purement et simplement interdire le chiffrement de bout en bout. En Grande-Bretagne, le projet de loi « Online Safety Bill » et, aux État-Unis, le projet « EARN IT » s’ajoutent à cette inquiétante guerre contre le chiffrement.

En tant que promoteurs et défenseurs des libertés fondamentales dans l’espace numérique, La Quadrature du Net et ses alliés continueront à utiliser et à créer des outils protégeant la vie privée. Nous refusons que les services de renseignement, les juges ou les fonctionnaires de police puissent criminaliser nos activités au motif qu’elles seraient « suspectes ».

Nous continuerons de nous battre pour un numérique émancipateur, libre et décentralisé afin de bâtir une société plus digne pour toutes et tous. Le combat pour le chiffrement est un combat pour un futur juste et équitable.

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