Pérou : la fin de l’ère Fujimori ?

, par ALAI

Le 5 juin 2016, le Pérou a élu son nouveau président, le très néolibéral Pedro Pablo Kuczynski (PPK), vainqueur face à Keiko Fujimori, la candidate de droite et fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori, actuellement emprisonné pour crime contre l’humanité. PPK l’a emporté avec 50.12% des voix, c’est-à-dire avec 41 438 votes de plus. Une très courte différence qui illustre l’histoire d’un pays divisé et marqué par un conflit armé de 20 ans, entre 1980 et 2000.

Au cours de cette élection, caractérisée par plusieurs irrégularités et la disqualification de deux candidats, beaucoup voyaient déjà gagnante la candidate de Fuerza Popular, et le retour à l’ère Fujimori. Très présente aux côtés de son père durant ses dix années au pouvoir (1990-2000), candidate à l’élection présidentielle de 2011 face à Ollanta Humala, Keiko Fujimori s’était remise en campagne dès sa défaite. Sa politique clientéliste et son discours sécuritaire ne manquaient pas de faire référence à l’héroïsme de son père qui a mis fin au conflit avec le Sentier Lumineux. Elle n’a cessé de nier la responsabilité de son père dans la mort de dizaines de milliers d’innocents et a gardé nombre de ses conseillers au sein de son équipe.

Sa victoire était sans compter sur le refus de 50% de la société péruvienne de replonger dans les heures les plus sombres de son histoire. Les mobilisations citoyennes contre le possible retour de la dictature fujimoriste ont rassemblées des milliers de péruviens autour du slogan No a Keiko, pour rappeler, l’importance de "voter avec sa mémoire" pour dire non à un narco-État, aux violations des droits humains et à la corruption généralisée.

Ces mobilisations se sont renforcées après l’accès de Keiko Fujimori au deuxième tour avec l’appel du Frente Amplio à voter PPK. Au nom de la mémoire nationale, cette coalition de gauche, représentée par Verónika Mendoza, a appelé ses nombreux partisans à voter pour le candidat de l’élite, celui du secteur privé.
PPK se trouve désormais à la tête d’un pays profondément déchiré et il devra composer avec un congrès plus qu’hostile : les fujimoristes en ont la majorité absolue, avec 73 sièges sur 130. PPK et son parti, Peruanos por el Kambio (Péruviens pour le changement), ne représentent que la troisième force politique avec 18 parlementaires, derrière le Frente Amplio de Verónika Mendoza qui possède 20 sièges (les autres sièges étant détenus par trois groupes centristes).

Verónika Mendoza, qui s’est lancée dans la campagne seulement cinq mois avant la présidentielle, est parvenue à attirer un nombre de voix record en quelques mois et semble vouloir incarner une autre démocratie et les profonds changements socio-économiques dont le pays a besoin, tout en amorçant un processus de reconstruction de la gauche péruvienne.

Des changements qui seront difficilement mis en place par PPK, dont le parcours est caractérisé par les privatisations, le soutien au secteur privé, et les politiques extractivistes. S’il est vrai que la démocratie est sortie vainqueur de cette élection, le néolibéralisme l’est tout autant. Le Frente Amplio et les mouvements citoyens de base devront y faire face en transformant ce large mouvement de contestation en une proposition alternative concrète.

En savoir plus en lisant l’article de Gerardo Rénique, en espagnol, publié par Alai le 6 juillet 2016 : Enterrando al Fujimorismo