Pérou : Pour la défense de la terre, de la culture et du corps féminin

Entretien avec Lourdes Huanca

, par Upside Down World , YGARZA George

Sous le régime Fujimori, la droite progressiste a été décimée. Les dissidents ont rapidement été qualifiés de terroristes et réduits au silence par la diffamation, la marginalisation ou les disparitions. Mais loin d’avoir été mis aux oubliettes, le parti péruvien de gauche est resté vivant en marge, car certains groupes clandestins d’étudiants, les communautés autochtones et les femmes ont continué à s’organiser. Après la chute de Fujimori, ces groupes sont descendus dans la rue pour ne plus jamais la quitter. L’une des premières organisations à voir le jour après la chute de Fujimori fût la FENMUCARINAP. Alors que les complexes et grotesques élections péruviennes font largement la une des journaux, j’ai décidé d’approcher cette organisation féministe afin d’avoir une perspective et une analyse de la société péruvienne du point de vue des mouvements de base.

Lourdes Huanca Atencio est la présidente de la Fédération nationale des femmes paysannes, artisanes, autochtones, natives et travailleuses salariées du Pérou : la FENMUCARINAP. Cette organisation, fondée en 2006, a pour but de défendre et de lutter pour les droits des femmes péruviennes. Cette mission implique la lutte pour le contrôle et la défense du corps féminin et pour l’émancipation politique, économique et sociale de la femme. Les communautés autochtones étant ancrées dans une vision ancestrale du monde, le principal combat a été celui pour leur subsistance à travers le maintien de leur souveraineté sur la terre, l’eau et les semences. Actuellement, la FENMUCARINAP est implantée dans 19 régions à travers le Pérou et compte sur plus de 126 000 membres.

Cette entretien a été mené en espagnol le 7 avril 2016, durant les derniers jours de campagne pour le premier tour des élections présidentielles et celles du congrès. L’entretien a été traduit par l’auteur.

George : pouvez-vous nous parler un peu de l’historique de la FENMUCARINAP et de son rôle ?

Lourdes : la FENMUCARINAP a été fondée le 18 août 2006. Notre principale mission, loin d’être facile pour une organisation essentiellement composée de femmes, est de veiller et de défendre le territoire du corps de la femme, souvent victime de viol. Notre mission consiste également à contribuer à l’émancipation culturelle, économique et sociale féminine car c’est sur nous [les femmes] que repose la société, et notre contribution ainsi que notre travail ne sont pas encore reconnus. Enfin, nous défendons aussi la souveraineté sur nos moyens de subsistance, c’est à dire la terre, l’eau et les semences parce que sans ces éléments une femme de la campagne n’a pas d’autre choix que celui de se déplacer vers la ville où elle finit par tomber dans l’extrême pauvreté. Le combat pour la reconnaissance est très dur car dans ce pays, comme dans d’autres pays d’Amérique Latine,il vient se heurter au patriarcat, au machisme et au sexisme.

La FENMUCARINAP s’implique aussi en politique, ce qui est actuellement dans les campagnes électorales. Durant le régime Fujimori et dans une certaine mesure encore aujourd’hui, quiconque (faisant partie des groupes marginalisés) osait s’exprimer politiquement était considéré comme un terroriste. L’objectif était d’insuffler la peur parmi les communautés autochtones alors que nous avions nous-mêmes subi des massacres en toute impunité. Malgré tout cela, nous continuons à briser les tabous en politique parce que nous comprenons combien c’est important et que si nous ne le faisions pas, notre organisation serait inutile. En plus de la défense de notre souveraineté alimentaire et de nos moyens de subsistance, nous demandons aussi l’accès à l’éducation pour nos enfants, une assurance santé complète afin que les hôpitaux et les cliniques nous soignent comme des êtres humains et que les soins de santé que nous recevons ne dépendent pas de nos moyens financiers.

L’une des façons d’accomplir notre mission est la création d’ateliers décentralisés. L’un des thèmes principaux traités dans nos ateliers est la mise en valeur de la forte contribution des femmes à l’économie. Il est important de comprendre la puissance de nos ressources et pour cela, il est impératif que nous comprenions les procédures judiciaires qui peuvent au moins nous éclairer sur la façon dont notre pays fonctionne.

Le Pérou est un pays analphabète en matière de politique. Je ne devrais pas voter pour le candidat qui me dit les plus belles paroles ou qui est le plus présentable. Je devrais voter en fonction de ses propositions pour développer mon pays. Ainsi, ayant regardé toutes les propositions des candidats pour trouver celle qui prend en compte les communautés autochtones, nous avons trouvé que le meilleur candidat est Veronika Mendoza. Les autres candidats n’offrent que des miettes, juste assez pour retenir les foules. Mais avec Veronika Mendoza nous avons travaillé, coordonné et discuté ensemble dès le départ. Maintenant, on ne peut pas dire que nous sommes ancrés dans la politique, non, nous sommes dans un processus d’apprentissage.

Bien trop souvent, nous sommes considérés comme opposés au développement, comme si nous refusions tout développement. Nous voulons le développement. En même temps, nous encourageons une justice sociale. Nous ne pouvons pas refuser totalement l’exploitation minière. Voici deux exemples opposés, l’un du Nord et l’autre du Sud du pays : À Moquegua, d’où j’ai émigré pour m’installer à Tacna il y a de cela plus de 20 ans, on trouve la Southern Peru Copper Corporation qui s’est implantée il y a plus de 50 ans. Vous ne pouvez pas juste demander à cette entreprise de partir car elle est enracinée dans cette région. Ce que vous faites, c’est les confronter à la réalité en leur disant « Hé ! Vous devez me payer. Vous devez payer pour tous les dommages que vous avez causés à la terre parce que la terre C’EST la vie ». Vous devez exiger d’eux le respect des lois, et qu’ils cessent d’empoisonner et de tuer. Bien sûr, d’un point de vue plus radical, nous pourrions exiger la fermeture totale des mines mais combien de gens qui y travaillent seront laissés dans une situation incertaine ? Voilà pourquoi il est impératif d’analyser la situation en tenant compte du contexte social.

Maintenant, ce qui est différent dans la situation de la mine de Yanacocha c’est qu’elle pollue l’eau pour assurer son activité. Et qu’est-ce que l’eau ? C’est la vie. Sans elle nous ne pouvons pas vivre.

Ce sont différents conflits dans des contextes différents pour lesquels ils nous qualifient de rebelles, de terroristes, de « rouges », mais malgré cela nous continuons le combat.

Georges : Comment les différents mélanges d’origines ethniques, de classe, d’ethnicité et de genre viennent définir la situation des femmes Péruviennes aujourd’hui ?

Lourdes : Aujourd’hui, cette société est restée très raciste, c’est pourquoi nous nous sommes engagés dans un combat contre ce phénomène.

Disons que les beaux traits qui me caractérisent, et… les vôtres (George) auraient pu naître à l’étranger mais votre sang est péruvien et personne ne peut le nier. Nous devons être fiers d’être ce que nous sommes. C’est important de le reconnaître, et pas uniquement ici mais dans toute l’Amérique Latine.

Nous sommes victimes de multiples oppressions ; nous sommes des femmes et autochtones. Nous avions l’habitude de voir des entreprises publier des offres d’emploi à la recherche de femmes ayant une « belle apparence ». Mais, qu’est-ce que ces entreprises voulaient dire par là ? Lorsque nous entrons dans un restaurant, les membres du personnel nous regardent souvent de haut en bas comme si nous étions des étrangers. Il y a deux ans, l’un de nos compagnons s’est fait expulser d’un établissement parce qu’il portait un vêtement traditionnel.

Nous luttons pour que notre ethnicité ne disparaisse pas, de sorte que notre lignée ne s’éteigne pas. Nous continuons à travailler avec le ministère de la culture sur la loi sur les langues par exemple, dans le but de préserver nos langues traditionnelles.

La lutte sera longue pour l’égalité sociale dans le système de justice pénale, le système de santé, et le système éducatif, et elle s’articule autour des langues. Par exemple, les gens qui viennent des provinces font face à de nombreuses difficultés. Les nouvelles générations sont souvent interdites de parler leurs langues maternelles à la maison non par honte, mais parce que leurs parents ne veulent pas qu’ils connaissent de difficultés en ville. Prenons l’exemple d’une personne originaire des Andes ou de l’Amazonie qui parle uniquement son propre dialecte et non l’espagnol, qui se rend au tribunal et qui ne comprend pas le juge. Le résultat est que beaucoup d’innocents finissent en prison. Avec la législation sur les langues, nous proposons que de multiples langues et dialectes soient reconnus au sein des institutions publiques. Les avocats commis d’office doivent être en mesure de parler la langue de leurs clients.

Maintenant, les universités exigent que les étudiants apprennent l’anglais. C’est une très bonne chose car cela offre de nombreuses opportunités et aide les gens à mieux se débrouiller dans l’avenir. Cependant, nous exigeons également qu’ils apprennent le quechua car ces professionnels doivent représenter leurs pays et pour ce faire, ils ne peuvent pas oublier leur culture. Nous ne pouvons pas oublier les traditions de nos ancêtres qui nous ont toujours appris à travailler non pas individuellement mais collectivement. Nous devons les préserver précieusement. Notre but dans la vie ce n’est pas de posséder deux véhicules garés devant notre maison. Nous voulons notre terre, notre eau et nos semences - et donc l’auto-détermination !

Nous affrontons de nombreux obstacles. L’actuel président, Humala, ne nous a pas traité de citoyens de seconde zone où « d’empêcheurs de tourner en rond » comme l’a fait Alan Garcia. Cependant, il a envoyé l’armée chez nous pendant qu’il faisait passer ses lois pour nous empêcher de faire entendre notre voix. Vous dites quelque chose à un officier ou vous vous retrouvez dans une bagarre et vous êtes aussitôt condamné à 8 ans de prison.

Georges : La loi sur l’impunité policière est toujours d’actualité, n’est-ce pas ?

(La loi sur l’impunité policière, également appelée loi 3051, déclare les forces de polices « exempts de toute responsabilité » si un civil est blessé ou tué au cours d’une manifestation pendant que la police était dans l’exercice de ses fonctions (Dearden & Independent, 2014))

Lourdes : Oui. Nous sommes encore dans l’attente d’un procès pour une douzaine de paysans et paysannes qui ont été tués.

Plus de 300 000 femmes ont été stérilisées de force. On nous a rendues responsables, nous les femmes, de l’augmentation de la pauvreté, c’est pour cette raison que nous continuons à nous battre. Maintenant que [Alberto] Fujimori est en prison, on nous demande de lui pardonner. Seul Dieu peut lui pardonner, ce n’est pas à moi de le faire. Il doit payer pour les crimes qu’il a commis ici et pourrir en prison. Qui est-il pour nous prendre notre fertilité ? De quel droit se sont-ils permis de dire que nous étions responsables de la pauvreté ? Certaines choses vous blessent au plus profond de votre âme. Des siècles s’écouleront mais les blessures resteront intactes. Voilà de quoi souffre notre communauté autochtone. J’imagine souvent comment cela se serait passé si l’on avait retiré les testicules à 300 000 hommes. Ce geste aurait-il été pardonné ? Nous sommes privées de nos droits parce que nous sommes des femmes rurales, parce que nous ne savons ni lire ni écrire.

Georges : Mais ils se sont trompés car des organisations comme la vôtre leur ont donné du fil à retordre…

Lourdes : C’est ce dont nous sommes fiers. Nous travaillons actuellement avec 126 000 femmes. Nous avons un congrès au mois d’août et nous irons de région en région à la rencontre des femmes en première ligne de ce combat pour la justice. Nous sommes fières de cette prise de conscience de la société qui s’est manifestée le 5 avril passé avec la mobilisation nationale contre Keiko Fujimori. La Place San Martin à Lima débordait de monde, plus de 50 000 personnes étaient présentes lors de cette manifestation. La conscience collective s’éveille enfin. Nous devons faire une analyse politique de ce phénomène et voir ce que cela signifie pour notre pays, et pour la mise en place d’une unité durable. L’unité est fondamentale si nous voulons bâtir un développement durable dans ce pays.

Georges : Pouvez-vous en dire davantage sur les hégémonies - sociale, politique et économique - qui freinent les femmes et les populations autochtones dans ce pays ?

Lourdes : Avec le néolibéralisme nous avons de grandes entreprises exportatrices qui envoient des produits bien emballés à l’étranger ; mais il faut se demander qui elles emploient. Dans les provinces quelque 70 pour cent de ces travailleurs sont des femmes, et c’est en les exploitant aux dépens de leur santé que ces entreprises s’enrichissent. En 2008, des syndicats ont vu le jour là où ils étaient auparavant interdits. Les conditions étaient atroces ; il n’y avait qu’un sanitaire pour 2 hectares de terrain. Le personnel n’avait que 5 minutes pour s’y rendre, parfois à plusieurs centaines de mètres, sous peine de déduction sur leur salaire. Il n’y avait pas de pause déjeuner, alors que le travail commençait à 4 heures du matin pour ne pas se terminer avant 18 ou 19 heures. Voilà ce qui se passe dans ces grandes sociétés capitalistes. Dans certaines d’entre elles, les femmes qui travaillaient tantôt dans les chambres froides tantôt à l’extérieur n’étaient pas autorisées à porter de pull, ce qui les rendait souvent malades. Ces femmes ne disposent pas d’assurance et, parce qu’elles travaillent jusqu’à 18 heures, n’ont pas la possibilité d’aller au dispensaire pendant les heures d’ouverture. De plus, étant femmes, il leur faut également composer avec le harcèlement sexuel. Tout cela est le fait de ces grandes entreprises qui prétendent générer de la prospérité.

Qu’est-ce que ces accords de libre-échange signifient pour le peuple ? Ils signifient le déplacement, ils signifient l’augmentation de la pauvreté et la marginalisation des communautés autochtones.

Monsanto, par exemple, veut introduire des semences génétiquement modifiées. Un récent moratoire a réussi à suspendre leur entrée dans le pays. S’ils parviennent à leurs fins, nous deviendrons des consommateurs, qui ne dépendront plus que de leurs produits. Par exemple, leurs semences ont une durée de vie de 2 ans au maximum, ce qui impacte les femmes paysannes. Nous vivons en plantant, en faisant pousser et en récoltant les meilleures semences puis en répétant le processus ; Monsanto interdirait cette autonomie. Il est important de ne pas laisser accéder au pouvoir un président qui donnerait le feu vert à cette entreprise. Si c’était le cas, et que Monsanto obtenait l’autorisation d’opérer dans le pays, la pauvreté monterait en flèche. En ce moment, nous avons le pouvoir précisément parce que nous avons la main tant sur nos ressources alimentaires que sur nos logements. Mais nous nous opposons à un néolibéralisme qui détruit Pachamama ; elle réagit comme on pouvait s’y attendre, et elle a le pouvoir de causer de grands dommages, comme cela arrive actuellement avec le changement climatique.

L’éducation néolibérale débouche sur de nombreux métiers, mais leur thème central est le soi - c’est moi en premier, en deuxième et en troisième. On ne vous apprend qu’à générer des profits comme un robot. Ces universités enseignent de façon à garder les gens en milieu urbain sans qu’ils ne reviennent jamais dans leurs provinces d’origine. C’est d’autant plus facile que beaucoup de gens chez nous pensent à tort que la seule façon de sortir d’un cycle de pauvreté et de voir nos enfants réussir mieux que nous est de les envoyer à la ville. Mais pourquoi n’ouvrons-nous pas de bonnes écoles à la campagne ?

Georges : Les femmes sont souvent les premières touchées et les premières à faire face aux changements économiques. La féminisation de la pauvreté amène les femmes en première ligne pour mettre en place, par exemple, des cuisines communautaires, ou travailler dans l’économie parallèle - des traditions issues des zones rurales. Qu’est-ce qui rend ces femmes des régions si efficaces dans ces initiatives ?

Lourdes : Sans vouloir nous jeter de fleurs, nous les femmes, de par notre vécu et notre nature même, nous avons ce sixième sens. Quand nous voyons une personne nous ne voyons pas un étranger, mais un membre de la famille. Une mère qui a soif, par exemple, pensera d’abord à ses propres enfants avant d’étancher sa propre soif.

Partout où nous nous trouvons, nous nous organisons. Dans notre propre organisation, nous avons des paysannes, des artisanes, des autochtones et des salariées. Et bien que nous soyons issues de milieux très différents, il y a un sentiment de camaraderie qui nous rassemble toujours. Cela nous donne force et courage. C’est cela qui fait qu’on nous considère comme des rebelles.

Vous avez mentionné les cuisines collectives. Nous avons également un système de distribution du lait. Le gouvernement nous donne seulement 18 pour cent des fonds nécessaires pour soutenir ces projets. Le reste est fourni par les femmes qui cuisinent sans être payées alors qu’elles aident à lutter contre la faim. Maintenant, nous essayons de nous développer parce que nous avons la capacité de faire croître l’économie ; mais il ne faut pas nous endormir sur nos lauriers. La femme trouve toujours un moyen d’aider les autres. Nous voyons les choses de façon plus collective et agissons pour le bien commun. Cela se voit tout autant en politique, qu’à l’Université et dans les marchés de rue.

Cette organisation n’est pas exclusivement rurale, elle concerne la ville également. Quand quelqu’un organise une réunion, des dizaines de membres sont présentes. Des femmes de différentes régions se rassemblent alors, elles aident sur les aspects matériels, préparent les repas. En travaillant ensemble, nous enseignons la notion de collectivité. Parfois, nous rencontrons des professeurs et d’autres professionnels qui ne sont pas habitués à travailler de leurs mains ; mais ils comprennent rapidement que lorsque nous sommes rassemblées, nous travaillons ensemble pour atteindre nos objectifs : nous sommes ici pour nous nous développer.

Un autre aspect important est le bonheur des femmes – au plus intime. Les femmes rurales, et même celles de la ville, ne connaissent pas le mot orgasme. Celles d’entre nous qui en ont fait l’expérience savent que c’est une grande chose à vivre avec un partenaire. Que ce n’est pas réservé à l’homme, qui vous utilise comme un objet sexuel, jouit et c’est tout. Les femmes doivent s’aimer elles-mêmes et aimer leur corps. Nous devons apprendre que nous ne sommes pas simplement là pour donner du plaisir, porter et élever des enfants.

Quand sourions-nous ? Quand apprend-on à se connaître ? Ce sont des sujets dont nous discutons avec les femmes de la campagne. Certaines ne se sont jamais dévêtues devant leurs maris parce que les hommes se satisfont d’un rapport express et s’arrêtent là.

Georges : Pour revenir à la question de l’exploitation minière, quelles sont les pistes ou alternatives, guidées par des philosophies sociales hors État, qui cherchent à mettre fin à l’hégémonie de l’extractivisme dans certaines régions ?

Lourdes : Le principal problème avec l’exploitation minière est l’eau.

Ceux d’entre nous qui affrontent les grandes entreprises sont peu nombreux. Nous ne pouvons pas compter sur les ONG parce que certaines d’entre elles ont été influencées par l’argent provenant des sociétés d’exploitation minière.

Ces entreprises minières recherchent des profits faciles.

Notre idéologie est bien sûr considérée comme étant de gauche. Aujourd’hui, la gauche est fragmentée en un million de morceaux - elle est fichue. Frente Amplio a tenté de former une coalition, mais nous n’avons pas réussi à y faire adhérer la majorité de la gauche.

A Cajamarca nous avons Goyo (Gregorio Santos) qui est en prison. Bon, quiconque veut se présenter à la présidence est le bienvenu ; mais il faut se demander quelle est la meilleure voie à suivre pour notre pays. L’égoïsme divise les organisations d’une manière qui rend plus difficile de les ramener ensuite ensemble.

Si nous ne nous rassemblons pas, nous abandonnons notre pays aux autres. Cela se complique quand de nombreuses ONG proposent des subventions. C’est pour cette raison que la FENMUCARINAP ne travaille pas avec la Banque mondiale. C’est sur le tas que nous apprenons à reconnaître ceux que nous pouvons considérer comme nos alliés.

Georges : Enfin, la femme péruvienne a un riche héritage et une histoire fascinante. Qu’est-ce que cette génération peut apprendre du passé et que promet l’avenir pour la femme péruvienne ?

Lourdes : En tant que femmes, nous devons honorer nos grands-mères et grands-pères qui nous ont appris à être nous-mêmes. Ils étaient peut-être illettrés mais ils nous ont enseigné la dignité ; ils nous ont appris à défendre nos droits ; ils nous ont appris à travailler. C’est la raison pour laquelle nous, les femmes péruviennes, sommes créatives et allons toujours de l’avant.

Micaela Bastides, María Parado de Bellido, Bartolina Sisa, nous devons citer toutes nos héroïnes. On parle de Tupac Amaru ! Mais étaient-ils seuls ? Manuelita Saenz se battait aux côtés de Simon Bolivar. Comment nous souvenons-nous de ces femmes ? Comme les femmes de ces hommes puissants ? Mais ces hommes ne seraient pas ce qu’ils sont sans ces femmes tout aussi puissantes qui souvent étaient les cerveaux des opérations et ont travaillé dans l’ombre.

Alors, où allons-nous ? Prendre le pouvoir. Nous ne cherchons pas à ce qu’on nous donne du pouvoir par charité, mais parce que nous le méritons et devrions être reconnues pour notre travail. Notre ascension ne devrait pas être remise en question parce que nous sommes des femmes. C’est ce qui arrive à Mme Mendoza en ce moment, sa compétence est contestée. Mais comment peut-on remettre en question notre compétence alors que nous avons pour bagage l’expérience de la gestion de nos foyers où nous sommes à la fois éducatrices et médecins. Par conséquent, nous sommes parfaitement aptes à devenir des dirigeantes.

Pour les plus jeunes générations des femmes, nous leur apprenons à ne jamais courber l’échine. Si votre père est paysan ou votre mère autochtone, il faut vous sentir fières d’eux. Il faut vous sentir fières que ce sang qui coule à travers vos veines est un sang de lutte.

Le devoir des jeunes est d’honorer leurs aînés. Les femmes doivent se rendre dans les provinces et parler avec les gens de la campagne ; cela aide à grandir et à se développer en tant que personne. Sans qualités de dignité et de compassion nous ne ferons que devenir des robots et des outils du projet néolibéral. Nous devons faire nôtre la sagesse de nos aïeules, de nos mères et l’appliquer au développement de notre pays pour ne pas oublier nos villages et tisser un avenir d’espoir. Nous devons tresser ensemble les expériences de la campagne et de la ville. Il est important d’apprendre tout ce que nous pouvons des femmes. Nous ne minimisons pas nos hommes, mais les femmes font toujours passer la famille avant elles-mêmes.

Nous devons aussi croire en Pachamama et la respecter via une cosmovision collective. Nous devons exprimer notre force et nous considérer comme égales. Votre formation universitaire n’est pas supérieure à l’Université de la vie dont j’apprends tous les jours - cela fait de moi une battante. J’ai gagné mon doctorat dans la rue en bloquant des autoroutes et j’ai obtenu mon master quand ils m’ont jetée en prison parce que je défendais mon territoire. Ces deux expériences, l’intellectuelle et la non-intellectuelle, sont complémentaires. C’est comme un attelage à deux bœufs dans un champ. Il faut la paire, un jeune et un plus âgé. Le plus âgé guide parfaitement l’attelage, tandis que le jeune bœuf fournit la force. Nous devons voir la vie de la même manière : respecter nos aînés et respecter les jeunes. Si notre mère mâche des feuilles de coca, nous devons respecter cela. Respecter nos cosmovisions, c’est une belle chose.

George Ygarza est un doctorant qui étudie les défis radicaux de la société contemporaine dans la droite ligne du mouvement des « Subaltern Studies » inspirées par Gramsci. Il a participé à de nombreux mouvements de justice sociale, depuis OCCUPY (Mouvement d’Occupation) jusqu’à des actions plus récentes contre les violences policières. Il est membre fondateur du nouveau collectif nommé North Jersey Grassroots Action et toujours actif en son sein.