Le bambou est-il un arbre ou une plante ?

, par NARAIN Sunita

La définition du bambou est contestée car elle implique d’importantes conséquences économiques. Si le bambou est un arbre il appartient au Département des Forêts et peut être vendu aux enchères à l’industrie du papier, souvent à des prix défiant toute concurrence.

Si c’est une plante, il sera alors classé parmi les produits secondaires (ou « autres que le bois ») de la forêt et les habitants auront le droit de le couper pour le vendre ou créer de la valeur ajoutée en confectionnant des meubles ou des paniers.

La loi indienne sur les forêts (1927), bible des gestionnaires de forêts du pays, stipule que les « produits de la forêt » concernent ce qui est trouvé dans ou rapporté de la forêt. Cela comprend les arbres, les feuilles et les plantes qui ne sont pas des arbres. De plus, les arbres incluent les palmiers et les bambous. Le bois de construction (timber) est défini comme les arbres, tombés ou ayant été coupés. Au fil des années, les agents forestiers ont interprété ces dispositions de telle sorte que le bambou, étant un arbre, appartient à la catégorie des timber et se trouve donc sous le contrôle du département des forêts. Cette interprétation, passée de générations en générations de gestionnaires des forêts, a signifié que cet arbre, proche d’une plante, n’est pas inclus dans la liste des produits secondaires de la forêt.

Les produits secondaires de la forêt correspondent à tout ce qui a de la valeur en dehors du bois (timber). Des feuilles de tendu, utilisées pour confectionner les petites cigarettes indiennes (beedi), la résine ou le tamarin représentent ainsi des affaires de taille. Ce sont aussi les principales sources de revenus pour les populations vivant dans et autour des forêts du pays. L’idée est d’utiliser ces richesses écologiques pour construire le bien-être économique de ces populations généralement pauvres dans ces régions riches. Mais la politique forestière a délibérément travaillé à empêcher cette opportunité.

Ainsi, au cours des dernières années, les différents Gouvernements d’Etat ont nationalisé divers produits et les ont cédés à des fédérations, entrepreneurs et sociétés chargés de la récolte et de la vente. Les populations vivant dans les forêts n’ont pas le droit de vendre les produits secondaires de la forêt nationalisés, si ce n’est aux Gouvernements. Ces populations sont donc de simples travailleurs salariés qui effectuent la récolte pour les entrepreneurs et les départements des forêts.

B.D. Sharma, un ancien fonctionnaire qui a passé une grande partie de sa vie à faire campagne pour le droit des communautés tribales aux produits de la forêt, vous dira que de nombreuses tentatives ont été faites pour corriger cette aberration. En 1974, quand le sous-plan pour les tribus a été conceptualisé, il a été décidé que le récolteur serait le propriétaire du produit. Mais, alors que cette politique devait être mise en œuvre, les Gouvernements ont pris le contrôle des produits, condamnant les récolteurs à n’être que récolteurs.

Puis, en 1996, la loi centrale sur les panchayat dans les zones tribales répertoriées (PESA) a été promulguée. Elle ordonne aux Gouvernements d’Etat de s’assurer que, dans ces régions, les gram sabha (assemblées villageoises) disposent de « la propriété des produits secondaires de la forêt ». Mais, avant même que l’encre de la loi n’ai eu le temps de sécher, la bataille pour les ressources étaient à nouveau perdue.

Tout d’abord, le département des forêts s’y est opposé en affirmant que la PESA ne définissait pas ce qui constituait les produits secondaires de la forêt. Comme le souligne Sanjay Upadhyay, un avocat spécialisé dans ce domaine, il faisait référence au fait que la loi indienne sur les forêts ne définissait pas, à cette époque, les produits secondaires de la forêt. Par ailleurs, les Etats ont promulgué des lois pour contourner ces dispositions.

Le combat pour les produits autres que le bois ne s’arrête pas là. En 2006, la loi sur le droit des forêts (Forest Rights Act, FRA) définit pour la première fois les produits de la forêts autres que le bois et y inclut le bambou, les feuilles de tendu et de nombreux autres produits. Elle donne également aux populations tribales et aux autres habitants traditionnels des forêts le « droit à la propriété, à la récolte, à l’utilisation et à l’écoulement des produits secondaires de la forêt qui ont été traditionnellement récoltés à l’intérieur ou à l’extérieur des limites du village ». L’huile est maintenant sur le feu. Les populations tribales et les autres habitants traditionnels des forêts ont le droit à la fois de récolter et de vendre du bambou.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Ainsi que mes collègues ont pu constater lorsqu’ils ont parcouru les districts tribaux du pays, ce droit n’existe que sur le papier. Sur les 2,9 millions de réclamations au titre de la FRA, seuls 1,6% appartient aux droits de la communauté. Pire, aucun droit d’aucune communauté n’a pratiquement été reconnu pour les produits de la forêt autres que le bois. Mes collègues ont noté que ce manquement au droit était délibéré. Les Gouvernements, à travers les districts tribaux, se sont assurés qu’aucune information ne serait fournie aux populations sur l’existence de leurs droits. La technique était simple : le formulaire adressé aux habitants pour exiger leurs droits avait omis cette disposition.

Deux villages ont fait la demande. Menda Lekha et Marda, dans le district de Gadchiroli au Maharashtra, ont exigé les droits de la communauté sur les forêts et leurs produits. Leur droit a été reconnu. Mais, comme vous l’expliquera Mohan Hirabai Hiralal, un militant travaillant avec les villageois, ce droit légal n’est toujours pas plus valable qu’un bout de papier. Le département des forêts affirme maintenant que les habitants peuvent effectivement contrôler le commerce de bambou mais qu’ils ne peuvent pas emporter le bambou hors de la forêt. Les règles de transit concernant les produits de la forêt ne permettent le transport d’aucun produit à moins qu’il n’ait été « autorisé ». Le département d’Etat des forêts s’emploie à insérer des dispositions affirmant que les habitants ont des droits sur les produits secondaires de la forêt mais uniquement pour leur propre consommation.

Le département des forêts vous dira que ces contrôles sont nécessaires pour protéger les forêts. Mais les forêts de l’Inde constituent le lieu d’habitation de millions de personnes. La conservation des forêts exigera plus de bénéfices productifs. L’enjeu est d’utiliser la richesse verte, mais aussi de la régénérer et de la multiplier pour l’avenir. Installer une barrière autour des forêts et nier leur valeur en tant que moyen de subsistance de millions de personnes n’est pas tenable.

Espérons donc que cette fois-ci la définition du bambou sera définitive. Le bambou est bien une plante, et non un arbre, qui peut donner des millions de nouvelles pousses et offrir des millions de nouveaux emplois à la population indienne.

Source : Source : Down To Earth, 15 Décembre 2010

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