Laissez le pétrole dans le sol d’Afrique

, par Oilwatch Africa

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Pambazuka, a été traduit par Abel Page, traducteur bénévole pour rinoceros.

 

À travers le continent, « le pétrole est corrélé à la subjugation impériale, à l’autoritarisme local et à de flagrants abus des droits humains », écrit Oilwatch Africa. Citant des exemples des conséquences dévastatrices que la faim mondiale d’énergie a eu sur les écosystèmes et les communautés dans les régions pétrolières, cette organisation militante appelle le monde à commencer à se sevrer de son addiction au pétrole en « investissant davantage dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, de meilleurs transports publics et de petits projets énergétiques décentralisés ».

À travers l’Afrique, le pétrole est corrélé à la subjugation impériale, à l’autoritarisme local et à des abus flagrants des droits humains. Il n’y a désormais plus le moindre doute sur l’absence absolue de garantie quant à la sûreté des industries extractives. Un accident peut menacer l’écosystème tout entier. C’est désormais un fait avéré pour de nombreuses communautés africaines de régions pétrolifères que la découverte de pétrole dans une communauté est synonyme de déclaration de guerre contre cette celle-ci.

Au cours des dernières années, une demande forte en énergie a mené à une multiplication de l’exploration et des forages de nouveaux puits pétroliers onshore et offshore à des endroits où il n’aurait pas été rentable de prospecter quelques années auparavant. Rien n’est sacré dans cette quête haletante pour de nouveaux gisements : forêts vierges, lieux sacrés, environnements écologiquement fragiles, et même sites protégés reconnus internationalement ne sont pas épargnés par l’étreinte du pétrole. Pour de nombreuses communautés africaines, leur situation désespérée est encore aggravée par la diminution des réserves pétrolières facilement accessibles dans les régions au Nord, les conflits sans fin au Moyen-Orient, la renationalisation en cours des biens pétroliers en Amérique du Sud et Centrale, le réveil de la Russie, l’appétit grandissant de la Chine, des Tigres Asiatiques et de l’Inde pour le pétrole.

Le désir de mettre la main sur de plus en plus de réserves pétrolières conduit à l’exploration et au développement de champs pétroliers et gaziers en Erythrée, Ethiopie, Somaliland, Puntland, Somalie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, Mozambique, Madagascar, Malawi, Maurice, Comores, Seychelles et la côte de Durban en Afrique du Sud.

La découverte de pétrole et de gaz dans des quantités commercialisables met souvent les élites au pouvoir de beaucoup de pays en Afrique dans l’enthousiasme et dans leur hâte de commencer la production et d’accéder à l’aubaine de la rente pétrolière, peu d’attention est portée aux coûts environnementaux et sociaux de l’extraction pétrolière. Pendant un siècle d’exploration pétrolière et de développement en Afrique, mis à part les élites, la situation de la majorité des gens a empiré à cause de l’impact négatif du pétrole.

L’environnement marin et côtier nigérian est très riche en biodiversité. Le delta du Niger est la troisième plus vaste zone humide au monde et contient 7 000 des 9 000 kilomètres de mangroves africaines. Le delta du Niger est considéré comme l’une des dix plus importantes zones humides au monde. Les scientifiques au Nigéria affirment que 60% des poissons et autres espèces marines péchés en Afrique de l’Ouest et autour du Golfe de Guinée ont leurs zones de reproduction dans les mangroves du Delta [1].

Le delta du Niger a été systématiquement et à maintes reprises détruit par des années de marées noires, de rejets d’eaux usées toxiques non traitées dans la mer, de brûlage de gaz et de mise en décharge imprudente de matériaux radioactifs dans l’environnement. Cette véritable terre nourricière pour les poissons et autres espèces marines qui peuplent certains des océans africains nourrit plus de 30 millions de personnes dans le delta du Niger, qui dépendent de l’environnement pour leur survie, et des millions d’autres en Afrique de l’Ouest. Dans un rapport de 2007 compilé par la Fondation de Conservation Nigériane, WWF UK, des représentants d’agences gouvernementales du Nigéria, des chercheurs et des groupes de la société civile comme Environmental Rights Action Nigeria, il a été estimé qu’en 2007, plus de 1,5 million de tonnes de pétrole brut ont été déversés dans l’environnement du delta du Niger. En volume, c’est l’équivalent d’une marée noire de l’Exxon Valdez par an pendant 50 ans. De plus, les statistiques du ministère des ressources pétrolières au Nigéria montrent qu’en 30 ans (1970-2000), il y a eu plus de 7 000 marées noires enregistrées dans le delta du Niger [2].

L’agence nationale de détection et de réponses aux marées noires, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont identifié plus de 2000 sites de fuites qui nécessitent une dépollution. Certaines de ces fuites se sont passées il y a plus de 40 ans. La marée noire Ebubu, de 1970, n’a pas été nettoyée, et Shell, le groupe impliqué dans ce désastre, a vigoureusement fait appel d’un jugement de la haute cour fédérale qui imposait le paiement de 40 millions USD de compensation en 2001 [3].

Alors que les réserves pétrolières s’amenuisent et que l’accès au nouveau pétrole devient difficile, en raison des facteurs cités précédemment, les compagnies pétrolières se déplacent vers des zones vierges, fragiles écologiquement et potentiellement conflictuelles pour mener des campagnes de prospection. Dans le Golfe du Mexique, BP s’attaqua à du pétrole situé à sept kilomètres sous la surface de la mer. Cela a été considéré comme une nouvelle avancée technologique, qui permettrait que le pétrole continue de couler à flot, jusqu’à il y a un peu plus d’un mois, lorsque la plateforme pétrolière explosa, tuant 11 personnes. Cette marée noire retient l’attention internationale et déjà, le Président des États-Unis, sous le feu des critiques pour ne pas avoir été assez sévère en matière de régulation, a annoncé l’ouverture d’enquêtes civiles et criminelles et a promis de traîner toutes les personnes impliquées dans ce désastre devant la justice. Cela malgré le fait que plus de 20 000 personnes et 1 300 bateaux aient été mobilisés pour rejoindre l’effort de dépollution et de nettoyage [4].

La prospection se poursuit aujourd’hui dans des régions tout aussi fragiles écologiquement, telles la Vallée du Rift et le lac Albert en Ouganda, qui, avec le lac Victoria, est la source du Nil. Une marée noire aux alentours du lac Albert affecterait tous les pays qui se partagent le Nil, jusqu’à l’Égypte. Les revenus mirifiques que l’Ouganda espère tirer de ses puits pétroliers ne seraient pas suffisant pour gérer une marée noire sur le Nil causée soit par une défaillance d’équipement, soit des attaques rebelles - compte tenu des tensions dans cette région des Grands Lacs.

Greg Campbell, un reporter indépendant, était au Nigéria en 2001 ; les citations suivantes, issues de son article paru dans le magazine In These Times, représentent sa propre description du processus de nettoyage des marées noires au Nigéria :

« Shell, le plus gros opérateur au Nigéria… revendique le fait de se conformer aux plus hauts standards de pratiques de nettoyage des marées noires, mais même une visite expéditive dans le delta montre que ces standards sont bien en-dessous des autres pays… Au bord de l’autoroute ralliant la ville de Biseni, deux anciennes marées noires distinctes ont rendues la jungle noire… Le Chef Diekivie Ikiogha, le directeur du Bureau d’Etat des pollutions et de l’environnement de Bayelsa, dit : « Nous avons beaucoup de fuites ; rien que sur ce site, nous avons eu trois marées noires ». Cependant, alors qu’Ikiogha est le représentant du gouvernement en charge de pénaliser Shell pour la marée noire et assurer le nettoyage, il est également le sous-traitant mandaté par Shell pour faire le nettoyage… Ses opérations de nettoyage consistent en quatre hommes torses nus, récupérant le pétrole à la surface de la rivière polluée à l’aide de Frisbees. Il déclare que la majorité du pétrole a été récupérée précédemment avec des mousses absorbantes et des couvertures. » [5]

La force d’innovation des gens dans plusieurs pays africains riches en pétrole a été remplacée par une mentalité de recherche de rente ; le gouvernement et la gouvernance sont devenus un jeu à somme nulle avec des connivences au plus haut niveau et des cliques usant de moyens vicieux et criminels pour obtenir le pouvoir, et des moyens pires encore pour le conserver. Des dizaines de milliers de vie continuent d’être perdues dans des guerres qui ont pour origine la lutte pour maintenir le contrôle sur les revenus émanant des industries extractives. La corruption a été élevée à une forme d’art, et cela s’est répercuté sur les personnes ordinaires, nombre d’entre elles exhibant une mentalité de chien de garde, gênant le progrès de processus et procédures même très simples, ou les rendant presque impossibles à atteindre à moins de s’être fait graisser la patte.

La plupart de ces problèmes ont mené à une mobilisation de masse des peuples Ogoni dans le delta du Niger au début des années 1990, pour la cessation des activités pétrolières sur leurs terres, arguant que cela rendait leur vie intolérable. Ken Saro-Wiwa, le meneur du processus de construction de ce mouvement, a été tué sur décision judiciaire afin de réduire au silence une idée dont l’heure était venue. 20 ans après, les peuples Ogoni sont toujours aussi déterminés que dans les années 90 à préserver leurs terres des serres avides et destructifs de l’industrie pétrolière. L’idée de laisser le pétrole dans le sol de la forêt Yasuni, au fin fond de l’Équateur, a été reprise par pas moins que le gouvernement du pays lui-même, et reçoit un large écho favorable.

Oilwatch a été en première ligne pour étendre cette campagne visant à « laisser le pétrole nouveau dans le sol ». La marée noire dans le Golfe du Mexique, en plus de rappeler qu’avec le pétrole il n’y aucune garantie de sûreté, a aussi mis en évidence le fait que nous devons commencer rapidement à délibérer sur le processus difficile de sevrage de notre addiction pétrolière. L’écosystème mondial est unique, et nous avons seulement effleuré la surface de la compréhension des interconnections intriquées de la nature. C’est être aveugle que de poursuivre l’extension sans limite des forages autour du monde parce que sur le long terme, les revenus que nous pouvons gagner aujourd’hui de l’extraction pétrolière ne seront pas suffisants pour ramener équitablement l’environnement à ce qu’il était avant l’extraction, lorsque des incidents comme cette marée noire surviennent.

Les opérations de nettoyage dans le Golfe du Mexique ont déjà, selon BP, coûté 1 milliard USD au groupe, et cela risque d’augmenter à 5 milliards USD au final. Les analystes s’attendent à ce que les réparations coûtent de 20 à 50 milliards USD à BP [6]. Mais, tragiquement, il n’y a aucune garantie que même après avoir dépensé cette somme ou davantage, les dommages causés au Golfe du Mexique pourront être effacés.

Insister sur la mise en place préalable de scénarios énergétiques alternatifs bien définis avant de nous extirper de la dépendance pétrolière serait une perte tragique de temps. Bien que le besoin de certitudes concernant les architectures financières, légales, scientifiques et politiques requises pour conduire le processus de libération de l’étreinte pétrolière, soit primordial, il est pertinent de se rappeler que le monde a évolué jusqu’à un point où cela devient une nécessité. C’est un défi que doivent surmonter nos flots d’idées innovantes et créatives. La race humaine a surmonté des obstacles plus grands que celui-ci et continuera à innover dans le futur.

Nous devons commencer par reconnaître qu’une utilisation raisonnable de notre écosystème rend possible à long terme de recevoir beaucoup plus de bénéfices et de revenus que le pétrole ne peut offrir. Nous devons individuellement et de manière consciente assumer la responsabilité de réduire drastiquement nos utilisations de pétrole et de ses produits dérivés. Nous devons aussi mettre en place des tribunaux internationaux qui poursuivraient les entreprises et les individus pour leur rôle dans la destruction des écosystèmes. Mais, plus important, nous devons commencer à prendre conscience et à penser au renforcement des capacités de nos communautés afin d’assurer le plus possible que le rôle du pétrole dans notre matrice énergétique devienne nul, en investissant davantage dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, de meilleurs transports publics et de petits projets énergétiques décentralisés. En dernière analyse, notre salut réside dans le fait d’initier des mouvements politiques puissants à travers les interactions de communauté à communauté, d’organisation de la société civile à organisation de la société civile, les liens avec des groupes religieux, la mise en place de réseaux avec les organisations communautaires et autres groupes de la société civile au Sud et au Nord pour prendre des mesures qui amèneront les changements que nous souhaitons.