L’impact économique frappant des océans étouffés par le plastique

, par Asia Sentinel

Le plastique marin - les millions de tonnes de sacs, bouteilles, jouets, préservatifs, canards en caoutchouc jetés et de nombreux autres objets qui sont déversés dans les océans du monde - a un impact mondial phénoménal sur l’ensemble du système écologique, coûtant des milliards de dollars de pertes de chiffre d’affaires selon une étude exhaustive publiée cette semaine dans le numéro de mai du Bulletin Pollution Marine.

La pollution "a, c’est maintenant une certitude, des conséquences sur la santé humaine et son bien-être, liées en particulier à la pêche, au patrimoine et aux espèces charismatiques, ainsi qu’aux loisirs", selon un rapport rédigé par 10 scientifiques norvégien·nes et britanniques, spécialistes des océans. L’étude, qui n’a jusqu’à présent fait l’objet que peu d’attention, serait la première en son genre et s’appuie sur le volume de plastiques dans les océans en 2011.

Selon le rapport, à l’échelle mondiale, il a été estimé qu’en 2011, les services fournis par les écosystèmes marins offraient à la société des avantages d’environ 49 700 milliards de dollars par an. La plupart des valeurs sur lesquelles cette approximation a été calculée sont basées sur l’utilisation durable maximale (réelle ou hypothétique) des systèmes naturels (ou semi-naturels), reflétant des biomes qui fonctionnent avec une perturbation d’origine humaine minimale.

Bien que son exactitude soit limitée, cette donnée offrirait une précision suffisante pour une analyse globale. Une estimation de la baisse de sa valeur, liée à la présence de plastique dans les océans, peut être considérée comme une première approximation du coût économique.

Une baisse de 1% à 5% de la fourniture de services éco-systémiques marins en raison de la pollution par le plastique "équivaut à une perte annuelle de 500 milliards à 2 500 trilliards de dollars en termes d’avantages dérivés des services éco-systémiques marins", estiment les chercheurs.

Le stock de plastique dans le milieu marin étant estimé entre 75 et 150 millions de tonnes en 2011, ce qui équivaudrait, aux niveaux de pollution marine en 2011 et basé sur des valeurs des services éco-systémiques de 2011, à un coût annuel —en termes de réduction du capital des ressources naturelles marines— compris entre 3 300 et 33 000 dollars par tonne.

"Ce postulat d’un coût économique ne concerne que les impacts du plastique présent dans l’océan sur le capital naturel marin et, en tant que tel, représente la valeur miniamle de l’ensemble des coûts économiques du plastique marin", selon l’étude. "Ce chiffre illustre malgré tout l’ordre de grandeur potentiel des impacts.”

Selon un extrait de l’étude environ entre 4,8 millions à 12,7 tonnes de plastiques sont entrées dans l’environnement marin à partir de sources terrestres cette année, affirme un extrait du rapport, "et il est prévu que le flux de plastiques dans les océans augmentera à un rythme encore plus soutenu au couras de la prochaine décennie."

Il y a cinq gigantesques « tourbillons » de plastique rassemblé par les courants océaniques dans le monde, dont la « Great Pacific garbage patch » (grande décheterrie du Pacifique), également décrite comme le vortex des déchets du Pacifique, dans le centre-nord de l’océan Pacifique, qui équivaut en taille à la France, la Belgique et la Suisse réunies. L’estimation bien connue est que, à moins que des mesures radicales ne soient prises, les plastiques dans l’océan dépasseront le volume des poissons d’ici 2050.

Diagramme des cinq principaux "tourbillons" de plastique dans les océans ; avec, indiqué, le "tourbillon" du Pacifique centre-nord

Bien que, au fil du temps, ce plastique peut se fragmenter en petits morceaux, appelés « micro-plastiques », la grande majorité devrait rester présent dans l’environnement sous une forme ou une autre au cours du temps géologique. Malheureusement, "bien que retirer du plastique marin soit possible, cela prend beaucoup de temps, c’est coûteux et inefficace ».

Tandis que les recherches sur la pollution par le plastique ont connu une croissance exponentielle au cours de la dernière décennie, selon les chercheurs, ses effets et répercussions sur les services éco-systémiques (et par conséquent sur le bien-être humain, la société et l’économie) sont mal compris. Cela reste, malgré tout, une problématique globale.

Les impacts sur les oiseaux, les poissons, les mammifères et les tortues ont été sous-divisés en deux types : ingestion et enchevêtrement, démontrant ainsi qu’"il existe des preuves, à l’échelle globale, d’impact avec une fréquence moyenne à élevée sur tous les sujets, avec un degré d’irréversibilité moyen à élevé. La majorité de ces impacts sont négatifs, exception faite des algues et des bactéries. En ce sens, le plastique augmente la gamme d’habitats disponibles pour la colonisation et permet la propagation de ces espèces vers de nouvelles zones, augmentant ainsi leur portée et leur abondance.

À l’échelle mondiale, les fruits de mer sont la principale source de protéines animales et représentent plus de 20% de l’apport alimentaire en poids pour 1,4 milliard de personnes, soit 19% de la population mondiale. Le plastique marin pourrait réduire l’efficacité et la productivité de la pêche et de l’aquaculture commerciales du fait de l’enchevêtrement physique et des dommages, mais également parce qu’il représente un risque direct pour les stocks de poisson.

Le plastique est fréquemment ingéré par de nombreuses espèces marines, y compris celles qui sont directement vitales pour l’alimentation, telles que les mollusques et crustacés, et les poissons à toutes les étapes de leur cycle de vie. Ce plastique peut être ingéré directement de l’environnement ou indirectement via des proies contaminées par le plastique.

Les polymères sont généralement riches en additifs tels que des plastifiants, des biocides, des retardateurs de flamme, et une fois dans l’environnement marin, ils peuvent facilement concentrer des agents pathogènes microbiens et des polluants organiques persistants toxiques tels que le dichlorodiphényltrichloroéthane et des hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ces polluants peuvent s’accumuler dans les tissus d’animaux marins et se bio-amplifier chez les prédateurs supérieurs, y compris l’être humain.

"La contamination de la chaîne alimentaire par le plastique et les contaminants associés exposent les stocks de poissons, des mollusques et crustacés, ainsi que leurs proies, à des risques mortels et non-mortels, notamment une diminution du succès de la reproduction et de la croissance, avec potentiellement des répercussions négatives sur la population."

Cela signifie que la consommation humaine de plastique marin "surviendra lorsque l’intégralité d’un organisme contaminé, y compris l’intestin, est consommée dans des fruits de mer tels que les moules, les huîtres, les sprats, les anchois. Cela pourrait aussi aggraver les concentrations de polluants organiques persistants dans la chair des crustacés et des poissons, ce qui présenterait un risque supplémentaire pour les consommateurs·rices."

"Dans l’ensemble, nos données suggèrent que la productivité, la viabilité, la rentabilité et la sécurité de l’industrie de la pêche et de l’aquaculture sont extrêmement vulnérables à l’impact du plastique marin, en particulier s’il est associé à des facteurs plus généraux tels que le changement climatique et la surpêche” soulignent les chercheurs. Le régime alimentaire d’une partie importante de la population mondiale fortement basé sur la consommation de fruits de mer, implique que leur bien-être est extrêmement vulnérable à toute modification de la quantité, de la qualité et de la sécurité de cette source de nourriture."

2.4 millions de pièces de plastiques sont deversées toutes les heures dans l’océan @Chris Jordan (CC BY-NC-ND 2.0)

Au-delà des impacts écologiques immédiats documentés ici, la présence de plastique pourrait potentiellement modifier de façon radicale l’écologie des systèmes marins, selon les recherches. Une modification de l’environnement et des changements dans la biodiversité pouraient avoir des conséquences secondaires sociétales potentiellement importants et imprévisibles, notamment en entravant la résilience des écosystèmes et le potentiel de rétablissement à une époque de changement global.

Les plastiques sont un facteur de stress qui peut agir de concert avec d’autres facteurs de stress environnementaux, tels que ceux résultant d’autres polluants, de la variation des températures des océans, de l’acidification des océans et de la surexploitation des ressources marines. Les impacts cumulés de ces facteurs de stress peuvent aboutir à des dommages causés par les plastiques marins beaucoup beaucoup plus importants que ceux suggérés ici.

Le plastique marin est lié à des taux accrus d’espèces envahissantes et des taux sans précédent de dispersion d’espèces du fait de débris flottants d’origine humaine ont été documentés, notamment une estimation selon laquelle le plastique marin aurait doublé les possibilités de dispersion des organismes sous les tropiques (Barnes, 2002). Cet impact supplémentaire n’est pas inclus dans la présente analyse, mais il est clair qu’il peut potentiellement avoir des conséquences écologiques, sociales et économiques importantes.

"Nous reconnaissons que le coût économique présenté ici est une sous-estimation, car des coûts sociaux et économiques plus larges doivent être quantifiés et inclus, par exemple, les impacts directs et indirects sur les secteurs du tourisme, des transports et de la pêche, ainsi que sur la santé humaine", déclarent les chercheurs.

Deuxièmement, "le coût économique présenté ici est une moyenne par tonne de plastique, alors qu’en réalité, le coût par tonne varie en fonction du lieu d’émission, du lieu où il se déplace et s’accumule, de sa taille et de son type, ainsi que du montant déjà présent dans l’écosystème. Il est donc probable que chaque tonne de plastique marin ait un coût supérieur ou inférieur à la moyenne, le plastique ne "se mélangeant pas parfaitement". Les émissions et l’accumulation du plastique, ainsi que les dommages écologiques qui en résultent, sont hétérogènes sur le plan spatial, ce qui doit être pris en compte lors de l’élaboration et de l’utilisation de toute valeur de coût par tonne pour le plastique."

Troisièmement, "puisque ce coût par tonne est une moyenne mondiale, cela n’équivaut pas à l’idée que chaque future tonne ajoutée à ce stock aura un coût moyen similaire. Il est possible que le coût des dommages de chaque tonne marginale augmente, ce qui signifie que la relation entre le coût par tonne et les quantités croissantes de plastique marin ne sera probablement pas linéaire. Étant donné que nous ne pouvons pas, à partir de nos connaissances actuelles, déterminer le taux de cette augmentation, une recommandation clé pour des recherches ultérieures est de mieux comprendre le coût marginal des dommages de chaque tonne supplémentaire de plastique marin entrant dans les océans, afin de pouvoir calculer les coûts totaux futurs.

Une dernière complication en ce qui concerne le plastique est qu’une pièce traverse différentes étapes dans son cycle de vie, du macro au micro, avec l’accumulation et la dissociation des toxines et du matériel biologique. Idéalement, ces changements devraient être intégrés à tout coût par tonne attribué au plastique."

Lire l’article original en anglais sur le site d’Asia Sentinel