Guyane : Une première victoire

Zoom d’actualité

, par CIIP , GRUNWALD Catherine

Le 21 avril 2017, la signature de l’accord entre les membres du collectif Pou Lagwiyann Dékolé, les élus du département et l’État est saluée comme une "Première victoire pour le plus grand mouvement social de l’histoire de la Guyane".
Si l"Accord de Guyane" acte un plan de plus de 3 milliards d’euros, la vigilance est de mise et le collectif "se prépare à une longue bataille dans les années à venir" tant le retard accumulé depuis des décennies en matière d’accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi, à l’énergie et à la terre est colossal.

Insécurité, violences en hausse : le passé donne quelques clefs pour appréhender les origines de la colère des Guyanais.

"La Gwiyann lévé ! La Guyane debout !" car la Guyane est en état d’urgence sociale

Tous les analystes et commentateurs soulignent les raisons historiques et la situation coloniale que vit ce DROM (département-région d’Outre-Mer) : accaparement des richesses du territoire, vie chère car plus de 80 % des produits sont importés de France, chômage, sous-développement endogène...

Il y a en effet 2 Guyanes : la Guyane du littoral, avec comme emblème sa base spatiale et sa haute technologie et la Guyane de l’intérieur avec les clichés exotiques sur ses différentes populations, les "Abandonnés de la République" [1].
Oubliés de la République, les peuples autochtones de Guyane revendiquent pour leur reconnaissance officielle et pour que la France ratifie la Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail qui est le seul instrument juridique permettant l’application des droits autochtones en France.

Pour la reconnaissance officielle des Peuples autochtones
Photo : ONAG - Organisation des Nations Autochtones de Guyane

Après le Rapport alternatif de l’ONAG au rapport produit par la France sur l’application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, publié en 2015, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénonce dans son Avis sur la place des peuples autochtones dans les territoires d’outre-mer de France : "Les violations des droits fondamentaux des Amérindiens de Guyane sont multiples : l’effectivité de bon nombre de leurs droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels n’est pas assurée... spécifiquement sur l’accès au foncier, sur la participation à l’espace politique et décisionnel et sur le manque d’accès à un état civil".

A ces violations s’ajoute la biopiraterie : l’Institut français de recherche pour le développement (IRD) est accusé de piller les savoirs traditionnels des peuples autochtones.

Non-respect de droits élémentaires, acculturation [2] forcée... la situation dramatique des communautés amérindiennes provoque parmi les jeunes une terrible "épidémie de suicides".

Un mois de conflit social

Un point d’étape sur le plus grand mouvement populaire, rédigé le 31 mars, donne une première analyse avec un historique du mouvement et ses principaux acteurs : socioprofessionnels (patrons routiers, dirigeants de PME, agriculteurs, artisans), collectif des "500 frères contre la délinquance" [3], salariés d’EDF, d’ENDEL, du Centre médico-chirurgical de Kourou...

28 mars 2017
Source : Collectif "Pou Lagwiyann Dékolé"

Stéphanie Guillon, chercheuse en science politique, spécialiste de la Guyane, dresse un historique des mouvements sociaux et rappelle la longue tradition de collectifs citoyens de lutte contre l’insécurité depuis 30 ans. Elle insiste surtout sur le côté inédit de la mobilisation citoyenne de 2017, par son ampleur et la volonté d’intégrer toutes les composantes de la population guyanaise, Amérindiens, Businenge, Créoles, Haïtiens… en mettant en exergue une "Guyane de toutes les couleurs".
Le nombre et la diversité des thématiques du cahier de revendications du collectif "Pou Lagwiyann Dékolé" en témoignent.

L’accord signé prévoit au final un plan de 3,2 milliards : le plan d’urgence de 1,086 milliard d’euros validé en Conseil des ministres le 5 avril (construction d’une route à quatre voies et doublement d’un pont afin d’amorcer le désenclavement du territoire, construction de dix collèges et cinq lycées d’ici à 2025, construction d’une cité judiciaire à Cayenne, d’une prison à Saint-Laurent-du-Maroni, financement de 130 policiers supplémentaires…) complété par 2,1 milliards supplémentaires pour financer un deuxième train de mesures (plan additionnel d’investissement et de fonctionnement), le retrait du projet de vendre au privé le centre médico-chirurgical de Kourou (CMCK), établissement géré jusque-là par la Croix rouge, en faveur d’un projet s’inscrivant dans le secteur public, la cession gratuite par l’État de 250000 hectares de foncier à la Collectivité territoriale guyanaise et aux communes et de 400000 hectares Amérindiens et Bushinenge (descendants d’esclaves). L’accord s’accorde également sur l’élaboration d’un "projet Guyane qui portera des ambitions à plus long terme" issu des travaux d’Etats Généraux - élus, société civile et État - qui auront aussi à se prononcer sur la rétrocession gratuite et totale du foncier de l’État à la collectivité territoriale de Guyane (CTG). Enfin, l’accord prévoit de rouvrir le débat sur l’évolution du statut de la Guyane, envisageant le renforcement de son autonomie.
Cerise sur le gâteau, le mouvement a obtenu que le plan de 3,2 milliards soit publié au Journal Officiel, autorisant ainsi des recours juridiques en cas de manquements de l’État.

La France et ses colonies…

Triomphe et vigilance pour les Guyanais : l’accord a été signé mais la méfiance reste de mise quant aux modalités de son application...
Au-delà persiste toujours en toile de fond la question du statut de la Guyane et de son autonomie : il faudrait a minima la possibilité d’adapter les lois et réglementations et obtenir une autonomie pour un développement endogène du territoire, d’autres voix revendiquent même l’indépendance. L’accord prévoit de rouvrir ce débat.
Car ce qui se passe en Guyane est à l’image de ce qui se passe dans les territoires français d’Outre-mer où l’État français maintient une domination de type colonial selon Elie Domota, ancien leader du LKP, collectif guadeloupéen contre l’exploitation outrancière, à l’origine d’une grève générale de 44 jours en 2009 : "Jamais il n’y aura d’égalité, de fraternité dans le cadre de la domination coloniale".
Dans l’article "For a Free Guiana", l’historienne et politologue spécialiste des Outre-mer Françoise Vergès rappelle comment l’histoire coloniale de la France continue de façonner la vie de ses sujets dans le monde entier. Pour elle, les médias ont tendance à focaliser sur la discrimination raciale en France métropolitaine en oubliant ces mouvements politiques, sociaux, culturels dans les territoires d’outre-mer, qui rendent visible le colonialisme de la République française...

Notes

[1cf. Les abandonnés de la République de GERY, Yves ; MATHIEU, Alexandra ; GRUNER, Christophe - PARIS : ALBIN MICHEL, 2014, 341 P. Voir la notice

[2Ensemble des processus par lesquels un individu ou un groupe d’une culture différente s’approprie peu à peu les éléments de la culture dominante.

[3Collectif qui s’est formé autour de revendications sécuritaires et en partie xénophobes et qui, au fil des actions, a modifié son discours et ses actes, jouant le rôle de médiateurs dans les barrages afin d’éviter des affrontements avec les forces de l’ordre. Il a scissionné après la signature de l’accord : Après les 500 Frères, les Grands Frères