FSM : A l’heure de l’ouverture, la pilule amère des refus des visas

Mardi 9 août, la marche d’ouverture a rassemblé plusieurs milliers de participants au FSM. Le refus des autorités canadiennes d’accorder leur visa à de nombreux militants du Sud n’a pas fait l’objet de slogans unitaires spécifiques, mais la question restait au centre des discussions. Elle provoque colère et questions au sein des altermondialistes. Petit état des débats en cours.

Combien seront-ils au final, ces militants du Sud qui se seront vus refuser la possibilité de participer au Forum social mondial 2016 ? A l’heure où la marche d’ouverture démarrait du Parc Lafontaine, mardi 9 août vers 18h (voir reportage photo et vidéo), il était encore impossible de dresser un bilan chiffré précis. Plusieurs centaines, en tout cas. La veille, le sociologue Raphaël Canet, co-coordinateur général du FSM québécois, avait évoqué, lors d’un point presse, le chiffre de 70 % des 312 militants étrangers ayant répondu à un mail leur demandant des nouvelles. Mais on était encore sans nouvelles de nombreux autres militants. La plupart des refus concernent les Africains, mais aussi les Asiatiques (15 Népalais sur 16 se sont vus notifier un refus), les Haïtiens, et même certains militants sud-américains. Les voyages antérieurs du demandeur, sa situation financière ou l’incertitude quant à son retour dans son pays sont les trois grands motifs de refus donnés par les autorités canadiennes.

A qui la faute ?

Un refus massif qui remet en cause la réputation d’« ouverture » prêtée au jeune gouvernement de Justin Trudeau. Et suscite aussi nombre de débats dans les rangs altermondialistes. Au sein du conseil international du FSM, le débat avait été vif pour savoir si le choix d’un pays du Nord, riche, occidental, était opportun pour l’édition 2016. Et la question de l’accès au Forum des militants des pays dominés avait été l’un des arguments brandis par les opposants au choix de Montréal. Pas seulement sur cette question des visas, d’ailleurs, mais aussi en raison du coût d’une telle participation pour des militants du Sud : « Il y a eu un refus d’entendre. Croire que la volonté d’un autre monde aurait pu suffire à infléchir une politique répressive est d’une naïveté déconcertante... », commentait lundi matin dans un mail Mireille Fanon-Mendès-France, présidente de la Fondation Frantz Fanon. La majorité du conseil international en a décidé autrement, arguant, à l’instar d’Attac Québec, qu’« il est désormais temps que les peuples du Nord sortent de leur apathie et rejoignent le combat des peuples du Sud pour construire un monde différent ».

Du côté des organisateurs québécois, on souligne que tout a été fait pour anticiper l’éventualité d’un refus massif des visas. Un groupe de 40 bénévoles a été mis en place pour faire des lettres d’invitation, aider les participants dans leur démarche. Un « guide de soutien à la démarche d’obtention d’une entrée valide au Canada », d’une trentaine de pages, a été mis en ligne sur le site du Forum dès le mois de janvier. Des lettres d’invitation ont été envoyées à 2 000 personnes afin de leur permettre d’engager les démarches auprès des services consulaires canadiens. Et les organisateurs ont suivi le conseil donné par leur gouvernement lui-même : inscrire le Forum dans la liste des « événements spéciaux » du pays, ce qui permettait d’obtenir un code, ensuite placé sur les demandes de visas des participants.
Autant d’affirmations auquel le gouvernement Trudeau n’a répondu… que par médias interposés : « Depuis que l’événement a été enregistré, aucun contact n’a été établi entre les organisateurs et l’unité “spéciale événements” d’Immigration Canada », a indiqué vendredi Nancy Caron, porte-parole du ministère de l’Immigration. Il est vrai que les rapports avec les autorités canadiennes ont été plutôt distants si l’on en croit l’autre co-coordinatrice, la musicienne Carminda Mac Lorin : « Le Premier ministre nous a envoyé une lettre pour dire toute la sympathie qu’il avait pour cette initiative, mais ensuite, il n’a jamais été possible d’avoir contact avec lui ». Avec la municipalité de Montréal, cela ne semble guère avoir été plus facile. C’est peut-être avec la Province du Québec que les rapports ont été plus fructueux : elle a, comme la Ville, apporté une aide financière au Forum tandis que l’Etat fédéral prodiguait son soutien par la mise à disposition de sept emplois étudiants, lesquels se sont joints aux six salariés et aux dizaines de bénévoles pour organiser l’événement.

Du côté des organisateurs, tout en protestant contre ces refus massifs, on souligne l’intérêt pédagogique et politique de montrer comment fonctionne le monde sur la question des frontières : « Ca nous permet de mettre en évidence la forteresse des pays du Nord », estime Raphaël Canet. « Nous faisons une expérience pratique, concrète, de la domination », renchérit, son éternel sourire aux lèvres, le Brésilien Chico Whitaker, co-fondateur du FSM. Et de rappeler que le Canada a privatisé le traitement des demandes de visas à des agences qui agissent pour le compte d’Immigration Canada. Une preuve de plus – s’il en fallait une ? – des dégâts produits par la logique néo-libérale de privatisation des services publics. Cela dit, tout le monde le sait, la privatisation n’empêche pas les politiques, s’ils le veulent, de donner des consignes aux services techniques. S’ils le veulent… encore le veulent-ils ? Prudent, Raphaël Canet s’abstient pour le moment de voir dans ce refus massif de visas une preuve de l’hostilité du gouvernement Trudeau vis-à-vis du Forum.
Comment réagir ?

« L’erreur que nous avons faite, c’est sans doute de ne pas avoir mené assez vite la bataille sur ce thème, d’avoir pensé que c’était résolu par l’élection de Trudeau », estime pour sa part Gus Massiah, membre du conseil international du FSM. La question « A qui la faute ? » reviendra sûrement à l’heure des bilans. Pour l’heure, celle qui préoccupe les militants, c’est de savoir comment réagir. Le 5 août, les organisateurs ont envoyé une lettre au Premier ministre et au ministre de l’Immigration leur demandant une intervention urgente pour débloquer la situation. Sans réponse à ce jour. Les deux co-présidents du CRID ont eux aussi envoyé un courrier en ce sens. Sans plus de succès.

Certains militants et organisations vont jusqu’à évoquer un boycott du Forum. « Sans la participation des Africains, on ne peut pas prétendre que le Forum est mondial ! », déclare au journal Le Devoir le Sénégalais Ababacar Mbaye Gaye, militant pour les droits des enfants en Afrique de l’Ouest, qui figure parmi celles et ceux qui se sont vus opposer un refus de visa.
Massa Koné, porte-parole de NoVox Mali, affirme lui aussi qu’il convient de qualifier ce FSM plutôt de « forum Europe/Amérique du Nord ». Après avoir regretté que la lettre du Premier ministre n’ait pas accompagné toutes les demandes de visas, il a suggéré de mener une action de solidarité avec les refus de visas à Montréal, durant la marche d’ouverture. Gus Massiah et Raphaël Canet annonçaient aussi leur souhait de faire de la lutte contre les frontières, contre l’idéologie sécuritaire et pour les droits des migrants le sujet central du défilé. La thématique n’a pas été très visible dans la marche. Mais une manifestation spécifique - appelée par plusieurs organisations, dont le Forum mondial des médias libres - est prévue vendredi midi devant le complexe Guy Favreau.

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