Guide des entreprises françaises d’armement complices d’Israël

Le collectif Stop Arming Israel France a publié en mars 2024 le Guide des entreprises françaises d’armement complices d’Israël. Composé de fiches synthétiques, entreprise par entreprise, avec des infos chiffrées et sourcées, ce guide est un outil militant pensé pour l’action.
Ritimo reproduit ici l’introduction de ce guide.

L’appel des syndicats palestiniens

Le 16 octobre 2023, les syndicats palestiniens ont lancé un appel mondial à l’aide : « End all complicity. Stop Arming Israel ». L’appel est issu du collectif Workers in Palestine, qui regroupe plus de 30 syndicats et associations professionnelles. La grande majorité des confédérations syndicales y sont représentées, ainsi que la plupart des syndicats indépendants aussi bien de Gaza que de Cisjordanie.
Dans cet appel unitaire, les syndicats palestiniens formulent des revendications claires à destination de « leurs homologues internationaux et toutes les personnes de conscience », et les appellent à refuser de construire des armes destinées à Israël, à refuser de transporter des armes vers Israël, à adopter des motions en ce sens au sein de leurs syndicats, à agir contre les entreprises complices des massacres en cours à Gaza, et à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils cessent tout commerce militaire avec Israël.
Les palestiniens nous demandent donc d’agir, spécifiquement sur le domaine crucial de l’armement, dans le pays dans lequel nous nous trouvons. Pour notre cas, il s’agit de la France.

Les coopérations militaires France-Israël

Dès la création d’Israël, la France et ses entreprises ont aidé ce nouvel État à équiper son armée et à développer son industrie d’armement. Outre différents types de chars et de missiles livrés par la France, l’entreprise Dassault Aviation a fourni à Israël différents modèles d’avions de combat (Mystère IV, Mirage III, Mirage 5...). Le Commissariat à l’Énergie Atomique a permis à Israël de construire sa première centrale nucléaire et de se doter de la bombe atomique. C’est encore Dassault qui a été chargé par le gouvernement français de développer pour Israël le missile balistique Jéricho, capable de transporter des ogives nucléaires. Ainsi, de 1948 à 1969, la France est devenue le principal fournisseur d’armement de l’État d’Israël.
Le 2 juin 1967, face à l’imminence de la guerre des Six Jours, le général De Gaulle prononce un embargo préventif sur la livraison d’armes offensives à destination du Proche-Orient, durci en décembre 1968 par la déclaration d’un embargo total sur les armes à destination d’Israël, après l’attaque menée contre le Liban. Si l’embargo bloque la livraison de 50 chasseurs bombardiers Mirage 5 produits par Dassault qui avaient été commandés par Israël en 1966, il n’interdit pas strictement aux entreprises françaises l’envoi de pièces détachées et de rechange prévu par des contrats antérieurs. De fait, une copie exacte du Mirage 5 est construite par Israël au tout début des années 1970 : l’IAI Nesher. Il est généralement admis que sa fabrication a eu lieu avec le soutien discret de Dassault. D’autres contrats signés avant l’embargo ont continué à être honorés, et des transferts de technologies ont été opérés, avec notamment la construction en Israël d’usines de moteurs d’avions en partenariat avec l’entreprise Turboméca, qui appartient désormais au groupe Safran. Si le retour d’un embargo militaire contre Israël fait encore aujourd’hui partie des revendications du mouvement de soutien à la Palestine, il est évident qu’il ne s’agit que d’une solution très partielle, insuffisante et facile à contourner pour les industriels du secteur de l’armement.
Récemment, la France est devenue le deuxième exportateur mondial d’armes. Le secteur de l’armement est florissant, et les commandes à l’exportation ont atteint un pic historique en 2022. Depuis le 7 octobre 2023, les entreprises d’armement ont vu leurs cours en bourse monter en flèche, profitant de la hausse du risque géopolitique. Comment alors expliquer la réponse du ministre des armées, Sébastien Lecornu, qui, interrogé sur les ventes d’armes à Israël lors de son audition devant le parlement le 27 février 2024, affirmait sans hésitation qu’« objectivement, il n’y a pas de relations en termes d’armement avec Israël » ? Quelques semaines plus tôt, le même ministère des armées, contacté par Médiapart, se défendait également de toute complicité en s’exprimant ainsi : « La France respecte strictement ses engagements internationaux dans ses exportations d’armes vers Israël [...]. À ce titre, elle n’exporte pas et n’exportait pas avant les événements dramatiques du 7 octobre de matériels létaux susceptibles d’être employés contre des populations civiles dans la bande de Gaza », tout en affirmant que la France « exporte des équipements militaires à Israël afinde lui permettre d’assurer sa défense ».
L’embargo sur les ventes d’armes à Israël a pris fin en 1974, mais les volumes de ventes n’ont jamais atteint depuis l’importance qu’ils avaient dans les années 50 et 60. Pour l’industrie française de l’armement, Israël n’est qu’un petit client, si l’on regarde simplement les chiffres des ventes directes de matériel strictement militaire : depuis 2014, ce sont en moyenne 20 millions d’euros d’armes qui sont vendues chaque année. Notons que sur ces exportations, la transparence est toute 5Guide des entreprises françaises d’armement complices d’Israël relative : le Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, publié chaque année, indique les montants annuels globaux des livraisons et des prises de commandes par pays, ainsi que le nombre et le montant des licences accordées par catégories générales d’armement. L’État français joue en effet un rôle incontournable dans ces ventes : c’est lui qui les autorise en octroyant des licences demandées au cas par cas par les industriels avant de conclure un contrat avec leurs clients étrangers. Malgré ce contrôle, le rapport au Parlement n’indique pas précisément quelmatériel a été vendu, par quelles entreprises et pour quel montant exact.
Outre cette opacité quant au contenu précis des ventes d’armes de la France à Israël, nos recherches nous ont rapidement amenés à réaliser qu’il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg : en plus de ces ventes, la plupart des entreprises d’armement françaises développent de nombreux partenariats avec Israël et ses entreprises d’armement. Certaines ventes et coopérations se font également par le biais de filiales d’entreprises françaises et européennes implantées dans d’autres pays (Italie, Angleterre, Allemagne...). Ces filiales appartiennent bien à des groupes français, mais les armes qu’elles vendent ne sont pas, au sens propre, exportées par la France.
Moins visible encore, mais impliquant tout autant la France dans les crimes commis par Israël, de nombreuses entreprises françaises vendent du matériel à « double usage » : des produits présentés comme ayant un usage civil, mais qui peuvent et sont aussi utilisés de façon militaire. Depuis 2022, un Rapport sur les exportations des biens à double usage de la France est lui aussi publié chaque année. En 2021, le total des licences d’exportations accordées vers Israël représentait 159 millions d’euros. En 2022, il était descendu à 34 millions. Là aussi, les licences sont réparties en différentes catégories (capteurs et lasers, électronique, télécommunications...), mais le rapport n’indique pas les ventes réelles auxquelles ces licences ont donné lieu. Difficile alors d’estimer ce que représente réellement ce marché, et impossible de savoir quel pourcentage de ce matériel sera utilisé dans le secteur de l’armement...
Tout cela sans compter les achats d’armes de la France à Israël, sur lesquels nous ne disposons pas de données officielles, les coopérations militaires et policières, avec des échanges de formations, des entraînements et manœuvres en commun, ni le renseignement, le partage d’informations et de technologies à des fins militaires et sécuritaires, que nous n’aborderons pas dans ce guide. Toutes ces coopérations participent à rendre la France complice, car elles lui permettent d’enrichir, de développer et de crédibiliser le complexe militaro-industriel israélien, tout en profitant de technologies, d’expérience et d’armes développées et testées sur la population palestinienne.
Alors, « pas de relations en termes d’armement avec Israël » ? Si les exportations d’armes de la France vers Israël représentent un petit marché, il n’en demeure pas moins que ce marché existe, et que les relations en question ne se limitent pas à ces exportations. Pas de « matériels létaux » ? Outre 8 fusils d’assaut livrés en 2022 selon le dernier rapport au parlement, qui peuvent certes paraître anecdotiques à l’échelle des ventes d’armes de la France, les composants et pièces détachées livrées à Israël ne sont pas anodins. Les capteurs, matériels radio et autres composants électroniques de pointe ne sont pas en eux-mêmes létaux, mais lorsqu’ils participent activement au fonctionnement de missiles et de drones, peut-on réellement se dédouaner de leur implication dans les crimes de guerre commis par leur utilisateur ? La France, qui se revendique fièrement « pays des droits de l’homme », ne se place t-elle pas ainsi en violation des Conventions de Genève et de ses autres engagements pour protéger les populations civiles, notamment le Traité sur le Commerce des Armes des Nations Unies, ratifié en 2014, qui stipule qu’aucun État ne peut vendre d’armes à un autre État s’il a « connaissance [...] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, [...] ou d’autres crimes de guerre » ?
Quoi qu’il en soit, en réponse à l’appel des syndicats palestiniens, et en tant que témoins des crimes perpétrés contre le peuple palestinien, nous considérons qu’il est inacceptable que le moindre matériel français puisse être livré à l’État d’Israël. En tant qu’habitants des grandes puissances, il nous semble intolérable que ces crimes puissent être perpétrés avec des armes construites dans nos pays. Il est également inacceptable que les industriels français continuent la moindre coopération avec la machine de guerre israélienne. Nous devons agir, là où nous sommes, pour stopper tout commerce militaire avec Israël.

Lire le Guide complet