État des lieux du contexte numérique pour les défenseurs des droits humains dans 10 pays africains

Sécurité numérique en République démocratique du Congo

, par AEDH, ritimo, Tournons La Page , DUVAL Virginie, POURCHIER Mathieu

Contexte politique

Après 30 ans de dictature, la RDC connait ses premières élections démocratiques en 2006 lors lesquelles Joseph Kabila est élu président. Mais il refuse à son tour de quitter le pouvoir en 2016, ce qui plonge le pays dans une nouvelle crise.

Selon Frontline Defenders, « en 2018, la République Démocratique du Congo a vu l’avènement d’un nouveau gouvernement après des élections présidentielles tant attendues.
Les défenseurs des droits humains et d’autres acteurs de la société civile ont été félicités pour leur plaidoyer alors qu’ils travaillaient sans relâche pour appeler à un retour aux institutions démocratiques et à la bonne gouvernance ; leurs efforts ont joué un rôle important dans le processus électoral.
(...) Malgré ces succès, les Défenseurs des droits humains en République démocratique du Congo risquent d’être tués, menacés, intimidés et harcelés par la justice. Les risques sont particulièrement graves pour les défenseuses des droits humains et les défenseurs des droits humains qui travaillent sur les droits fonciers et environnementaux et qui sont souvent considérés comme une menace pour les intérêts économiques. La protection des droits de l’homme garantis par la Constitution connaît une application limitée. En mai 2017, un projet de loi sur la protection des défenseurs des droits de l’homme a été adopté par le Sénat et attend toujours d’être promulgué par le président. Il contient certaines dispositions qui constituent une menace réelle pour le travail légitime des défenseurs des droits humains, y compris une définition restrictive du terme DDH. En outre, l’article 17 impose des conditions pas nécessaires aux défenseurs des droits humains, comme l’obligation d’envoyer un rapport annuel de leurs activités au Ministère des droits de l’homme. »

Au début de l’année 2019, Félix Tshisekedi est finalement élu président de la RDC. « En mars, les autorités ont annoncé que plus de 700 personnes avaient été libérées de prison et que tous les lieux de détention illégaux gérés par l’Agence nationale de renseignements (ANR) avaient été fermés sur ordre du président. Cependant, les autorités civiles et la police ont continué d’interdire et de réprimer violemment, en toute impunité, des manifestations et des rassemblements pacifiques. Les pouvoirs publics ont instauré l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour la tenue de manifestations, en violation des dispositions de la Constitution. Au cours de l’année, au moins 35 manifestations pacifiques ont été dispersées par la police, qui a recouru à une force excessive contre les manifestants, blessant au moins 90 d’entre eux et procédant à de nombreuses arrestations arbitraires ».

Il existe quelques associations de blogueurs ainsi que la Ligue des Consommateurs du Congo Kinshasa qui travaillent sur la thématique numérique.

En 2019, le mouvement LUCHA a lancé une campagne pour demander « à Airtel de travailler avec la justice de notre pays en géolocalisant les kidnappeurs ».
« Dans notre pays, il y a des kidnappings et tous les kidnappeurs utilisent les réseaux Airtel pour demander des rançons avec des mobiles banking. Ils demandent qu’on puisse payer par Airtel money. Pourtant, il me semble qu’aucune société de télécommunications n’est capable de géolocaliser les kidnappeurs et de les dénoncer à la justice ».

Contexte légal

L’article 23 de la constitution de 2006 indique que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».
L’article 24 continue en précisant que « chacun a le droit à l’information. La liberté de presse, la liberté d’information et de diffusion par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui. » Il est ensuite précisé que c’est la loi « qui fixe les modalités d’exercice de ces libertés ». L’article 31 prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et au secret de la correspondance, de la télécommunication ou de toute autre forme de communication. Il ne peut être porté atteinte à ce droit que dans les cas prévus par la loi ».

Selon Access Now, les deux principales lois qui impactent les droits numériques en RDC sont les lois cadres 013/2002 et 014/2002 sur les télécommunications, elles sont notamment utilisées par le gouvernement pour procéder aux coupures internet et services SMS.

L’article 52 de la Loi-cadre N°013/2002 sur les télécommunications en République Démocratique du Congo précise que « le secret de correspondances émises par la voie de télécommunications est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci. » Il n’y a par contre aucune définition de « l’intérêt public », ouvrant la possibilité à une large interprétation pouvant mettre en danger activistes, journalistes et opposant·es. L’article 54 de cette même loi interdit « l’interception, l’écoute, l’enregistrement, la transcription et la divulgation des correspondances émises par voie des télécommunications, sans autorisation préalable du Procureur Général de la République », autorisation qui, selon l’article 55, ne pourra être motivée que « par les besoins de la manifestation ultime de la vérité dans un dossier judiciaire ». Sans pour autant préciser ce qu’est « la manifestation ultime de la vérité ». Mais à titre exceptionnel, « l’autorisation [peut être] accordée par décision écrite et motivée du Ministre ayant en charge les Affaires Intérieures, sur proposition écrite et motivée du Ministre ayant en charge la Défense et Sécurité du territoire ou du Premier Responsable des services des renseignements », selon l’article 60, permettant ainsi à l’exécutif de faire le travail du judiciaire.

Enfin, l’article 46 prévoit que « l’État peut, soit pour des raisons de sécurité publique ou de la défense du territoire soit dans l’intérêt du service public de télécommunications soit pour tout autre motif, interdire en tout ou en partie, et durant le temps qu’il détermine, l’usage des installations de télécommunications. […] » Les élections sont-elles une raison de sécurité publique ?

La Loi N°14/2002 du 16 octobre 2002 portant sur la création de l’autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) donne, à l’article 4, le pouvoir à l’ARPTC de « procéder aux visites des installations, mener des enquêtes et des études, réaliser des expertises ainsi que recueillir toutes les données nécessaires requises à cette fin. »

Depuis, de nombreuses propositions pour organiser la cybersécurité ont été faites mais aucune loi n’a été adoptée :

  • Le 18 septembre 2018, le Ministre des Postes, téléphones, nouvelles technologies de l’information et de la communication (PT-NTIC), Emery Okundji, propose la création d’un centre national pour lutter contre la cybercriminalité en RDC.
  • Le 7 février 2020, le député national Tony Mwaba a déposé une proposition de loi sur la cybersécurité et cybercriminalité au bureau de l’Assemblée nationale.

Contexte “technologique/industriel”

Le 24 décembre 2018, le lendemain de l’élection présidentielle, l’Autorité de régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo demande aux opérateurs internet « de restreindre l’accès aux « vidéos et images sur les réseaux sociaux Facebook, WhatsApp, Viber, YouTube, Twitter ». Selon RFI, « dans les faits, seuls les SMS ont été coupés à cette date, témoigne Blaise Ndola, blogueur congolais. La coupure des réseaux sociaux, elle, n’a eu lieu que le 31 décembre ». Toujours selon RFI, « le 31 décembre, la Société congolaise des postes et télécommunications (SCPT), établissement public qui gère la seule fibre sous-marine qui raccorde le pays à internet (appelée WACS pour West Africa Cable System), a coupé l’accès internet à certains fournisseurs d’accès (FAI) pour leur mettre la pression ».

Cela avait pour objectif pour réduire « la folle machine à rumeur et à fake news » selon les conseillers de l’ancien président Joseph Kabila, mais aussi pour éviter la diffusion de résultats avant leur proclamation officielle.
La mesure permet également de bloquer la coordination des nombreuses manifestations qui agitent le pays depuis des mois. La coupure durera en tout près d’un mois.

Le 1er janvier 2019, les autorités de RDC « ont aussi coupé le signal de Radio France internationale (RFI), une station de radio étrangère et indépendante très écoutée en RDC. Le 2 janvier, le signal de deux chaînes de télévision appartenant au candidat de l’opposition Jean-Pierre Bemba – Canal Congo TV (CCTV) et Canal Kin TV – a aussi été coupé ».

Pour contourner ce blocage, il existe très peu de moyens, selon un blogueur basé à l’est du pays, « il y a trois possibilités, on peut aller au Rwanda ou utiliser une puce rwandaise et s’approcher de la frontière. Sinon, il y a quatre à cinq hôtels à Goma qui ont une connexion. Enfin, une semaine après la coupure, les entreprises de l’État ont vu leurs connexions être rétablie. Mais les employés n’avaient accès qu’aux e-mails et aux sites web, pas aux réseaux sociaux. Ils devaient, pour y accéder, utiliser des VPN. »

Lors de la réouverture des médias et du déblocage d’internet, « les autorités civiles et la police ont continué d’interdire et de réprimer violemment, en toute impunité, des manifestations et des rassemblements pacifiques. Les pouvoirs publics ont instauré l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour la tenue de manifestations, en violation des dispositions de la Constitution ».

« Le Tribunal de Commerce de Kinshasa/Gombe a examiné le 22 Janvier 2019 la plainte de 24 victimes et de l’Union des Consommateurs du Congo contre les sociétés de télécommunication Vodacom, Orange, Airtel et Africell suite aux 20 jours de coupures internet et des services de téléphonie mobile » : « Nous demandons au tribunal de faire condamner à chacune des entreprises au paiement de la somme de 1000 USD par jour à compter du jour du début de la coupure jusqu’au jour du rétablissement d’Internet et du SMS. Cette somme est demandée pour compenser les charges supportées par les plaignants pour faire face à leurs obligations pendant cette période ».

En octobre 2019, le procès était à nouveau reporté, à la demande de Vodafone. En janvier 2020, un abonné Orange annonce sur le réseau social Twitter qu’il va porter plainte contre les coupures dont il a été victime.
Selon un article de Global Voices, en novembre 2020, « la plupart de ces plaintes n’ont mené à aucune condamnation parce que la loi est trop vague en ce qui concerne ce type de violations ».

La RDC compte 4 opérateurs mobile : Vodacom Congo, Airtel Congo, Orange RDC et Africell RDC. Ils représentent 80 % du marché internet.

Selon un spécialiste des telecoms, si couper internet en RDC est aussi facile, c’est parce qu’il n’existe qu’un point d’échange en RDC : « Internet est un réseau de réseaux. Les différents fournisseurs d’accès internet et les fournisseurs de contenus - tels que Google et Facebook - s’interconnectent sur ce qu’on appelle un point d’échange, un point physique unique, hébergé dans un même bâtiment. Le seul point d’échange en fonction en RDC se trouve à Kinshasa (KinIX). Il est géré par l’Internet Service Provider Association of DRC (ISPA), un consortium financé par tous les opérateurs du pays, dont les quatre opérateurs mobiles - Airtel, Vodacom, Orange et Africell ».
Sur son site, l’ISPA précise que sa mission est de « contribuer au développement de l’industrie Internet et de défendre les intérêts des entreprises qui fournissent les services d’accès Internet en République Démocratique du Congo. » (...) Elle a pour objet d’ « entreprendre toute activité allant dans le sens de la création d’un environnement favorable, de la démocratisation de l’accès et d’une manière générale visant à promouvoir, vulgariser l’Internet en République Démocratique du Congo, au bénéfice de la communauté ».

Si aucun des opérateurs internet n’a communiqué contre les coupures internet de fin 2018-2019, la page de du site de l’ISPA qui permet de suivre le trafic internet est tout à fait utile aux défenseurs de libertés numériques.

Selon RFI, « Africell, l’un des quatre opérateurs mobiles, « le plus fragile car le seul qui ne soit pas une filiale d’un grand groupe », a rétabli la connexion à ses utilisateurs pendant quelques heures, avant de la couper à nouveau. Pour Blaise Ndola, c’est un article du site Politico.cd annonçant le feux vert du gouvernement qui a induit le FAI en erreur. D’autres rumeurs de retour ont circulé ça et là, mais elles semblent ne pas avoir de fondement. »

Africell Holding est un opérateur internet, né en Gambie au début des années 2000, mais semble avoir déménagé son siège social à Londres. Le groupe opère principalement dans 4 pays africains : Gambie, République démocratique du Congo, Sierra Leone et Ouganda.
Selon un état des lieux de BusinessWire en 2020, « du fait, en grande partie, de l’histoire difficile du pays, le système national de télécommunication reste l’un des moins développés dans la région. L’opérateur national a peu de capital pour investir, une grande partie de l’investissement dans les infrastructures vient donc de pays donateurs ou d’entreprises ou banques étrangères (en particulier chinoises) Des efforts ont été déployés pour améliorer la réglementation du secteur des télécommunications, avec une loi adoptée en mai 2018, mais la mise en œuvre pratique des mesures reste discutable ».

En septembre 2020, le gouvernement a annoncé la création du « Mobile Device Registry (RAM) ». « Nous sommes heureux de mettre en œuvre le RAM », a déclaré le ministre. « Cette base de données nous permettra de limiter le marché des appareils mobiles contrefaits, de lutter contre le vol d’appareils mobiles et d’améliorer la qualité du réseau de téléphonie mobile en bloquant les appareils non conformes aux normes internationales. »

Selon Global Voices, « dans le cadre du nouvel accord, tous les appareils mobiles sur le territoire congolais doivent payer une redevance mensuelle allant de l’équivalent de 0,17 USD pour les appareils 2G à plus de 1,17 USD pour les appareils 3G et 4G sur une période de six mois. » Or, « le nombre de connexions mobiles en République démocratique du Congo a augmenté de près d’un million entre 2019 et 2020. Les organisations de la société civile ont exprimé des craintes de voir cette tendance s’inverser en raison de la mise en place de cette nouvelle taxe sur les appareils mobiles en le pays. »

En 2019, « le président congolais Félix Tshisekedi a annoncé la mise en place de « visa électronique d’entrée » en République démocratique du Congo et le lancement de la campagne « d’identification biométrique de tous les citoyens » ». On apprend en avril 2020 que « l’aventure congolaise de Semlex devrait prendre fin le 11 juin prochain, date d’échéance de son contrat pour l’implémentation du système d’identification biométrique en République démocratique du Congo (RDC), intégrant la fabrication des passeports. »
Selon La Tribune, « l’entreprise belge, rattrapée par ses accointances présumées avec l’ancien régime, paie notamment pour avoir quasiment doublé le prix du passeport congolais, devenu l’un des plus chers au monde ». « Reuters a révélé comment Semlex a obtenu le marché de l’identification biométrique en RDC et comment une partie des recettes serait présumément transférée à une entreprise domiciliée aux Emirats arabes unis et proche de l’ancien président Joseph Kabila. Ainsi soupçonné d’avoir aidé l’ancien régime à détourner près de 36 millions de dollars, Semlex est visé par une enquête pour corruption en Belgique depuis 2017.
Une 1e conférence « villes intelligentes » sera accueillie virtuellement par la République démocratique du Congo en avril 2021.

En février 2021, suite à la visite de Felix-Antoine Tshisekedi au Caire, il est annoncé que l’entreprise égyptienne « Benya Capital se chargera de l’installation de 16.000 Km de fibre optique valant environ 480 millions de dollars en termes de coût et ce, pour une durée de cinq ans ».

Points d’attention pour la protection numérique des défenseurs des droits humains

  • Coupures internet
  • Arrivée prochaine de « villes intelligentes » (et multiplication de moyens de surveillance
  • Développement du passeport biométrique