La région du Sahel est frappée par de multiples crises, sans que le reste du monde semble s’en rendre compte. En plus de la dimension écologique, qui couvre entre autres des catastrophes climatiques et une désertification progressive, l’instabilité politique règne dans la région, touchée par une série de coups d’État successifs, notamment au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023). Alors que pour certain·es, ces gouvernements militaires font espérer un affranchissement définitif du néocolonialisme français, une partie de la population subit une escalade de violence sans précédent.
Après l’invasion de la Libye par l’OTAN en 2011, des réseaux criminels de contrebandes sont apparus, faisant passer clandestinement des personnes, des armes, et de la drogue à travers le désert du Sahara - des réseaux qui s’étendent au-delà des frontières nationales et qui défient le pouvoir des armées. Depuis plus de dix ans, le continent africain est plongé dans une crise multidimensionnelle qui empire chaque jour. Ces trois dernières années, la région connaît une augmentation inquiétante et visible du nombre de massacres et de pertes civiles. Des groupes armés, constitués parfois d’agents publics, parfois d’agents externes opérant sous le couvert de l’armée, sont à l’origine de déplacements massifs de population.
Pendant que l’attention du monde est focalisée sur le génocide actuel à Gaza, la junte militaire malienne profite de la situation au Moyen-Orient pour éliminer discrètement des minorités ethniques sous le prétexte de la guerre contre le terrorisme. C’est dans ce contexte de crise politique majeure et d’isolation internationale grandissante de la junte militaire contrôlant Bamako, que le groupe de mercenaires russes Wagner est arrivé au Mali en décembre 2021 pour « aider » la junte dans son combat contre le terrorisme.
Depuis, les Peul·es, les Kel Tamasheq (Touaregs), les populations Moura et du nord du Mali font face à un danger extrême. En septembre 2023, la junte militaire a décidé de lancer des opérations dirigées par les milices du groupe russe Wagner. Ces dernières utilisent des drones turcs de l’entreprise BAYKAR capables de causer d’importants dégâts, ciblant celles et ceux qu’elles traitent comme des « terroristes ». Parmi ces derniers figurent non seulement les responsables des anciens groupements armés, alliés de ces milices jusqu’au début de l’opération, sous l’accord de paix d’Alger signé en 2015, mais aussi les peuples Peuls, Touaregs et Moura.
En ce moment, la région est le théâtre d’actions militaires relevant d’une épuration ethnique des minorités, et d’une propagande discriminatoire prônant la violence contre les civil·es coiffé·es de turbans ou portant d’autres vêtements typiques des populations nomades, ainsi que leur persécution. La violence n’épargne pas les personnes âgées, les femmes, et les enfants, qui voient leurs maisons incendiées, et leurs terres, leur bétail ainsi que leurs maigres richesses pillés.
Depuis 2022, des hommes du groupe Wagner sont accusés d’être impliqués dans plusieurs massacres et violations des droits humains par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ainsi que par plusieurs associations régionales et locales telles que les associations Kisal et Tabital Pulaaku de Mopti, travaillant toute deux à défendre la communauté peule au Mali et dans le monde, ainsi qu’Imuhagh International et Kal Akal, qui défendent les droits de la population touareg. Outre les rapports publiés par ces organisations, nous avons réussi à rassembler des témoignages de certain·es réfugié·es et de victimes grâce aux réseaux sociaux, et d’après ces denier·es, les milices du groupe Wagner règnent en semant la terreur, détruisent tous les camps nomades, empoisonnent les puits, commettent des viols, et pillent les maisons de ces communautés.
Le communiqué de décembre publié par l’association Kal Akal sur sa page Facebook le 7 janvier 2024 expose que « parmi les types d’atteintes décrites figurent des exécutions sommaires, des massacres, des disparitions forcées, des détentions arbitraires, des actes de torture, la destruction des sources d’eau et d’alimentation de la population, la destruction volontaire d’infrastructures publiques et privées, des pillages et des déprédations de propriétés et l’installation d’explosifs sur les corps de civil·es décédé·es pour atteindre plus de personnes. »
La publication de Kal Akal continue en précisant que les « cibles principales de ces atteintes sont les peuples touareg, arabes et peul ». Kal Akal fait également état de cambriolages systématiques « partout où le groupe Wagner et les FAMa sont passés », et de cas de pillage rapportés dans les villes de Kidal, Tadoumoumt, Larnab, Tarkint, Anéfis, Ber, Agueloc, Ghali Loumo, et Lougui. Des infrastructures ont été détruites dans les municipalités de Aïn Rahma, Eritedjeft, Tarkint, Tehardjé, Aglal, Tessalit, et Larnab, touchant des centres médicaux, des châteaux d’eau, des mosquées, et des habitations. L’association rapporte par ailleurs plusieurs viols commis dans les villes de Léré, Kidal, Ber, et d’Anéfis, deux feux de forêt dans la région de Kidal, au moins deux fosses communes renfermant chacune des dizaines de corps dans les régions de Tombouctou et de Kidal, et 40 arrestations arbitraires, dont deux membres du Comité international de la Croix-Rouge dans la région de Kidal.
"Ils sont arrivés après un attentat terroriste contre l’armée malienne. Ils ont interrogé puis emmené 14 personnes, des Peul·es, des Touareg, et des Arabes (Moura) et depuis aucun d’elleux n’est revenu·e. Cela fera bientôt un an que nous n’avons aucune nouvelle d’elleux. Iels ont des familles, des veuves, et des enfants. C’est vraiment déplorable », explique un·e témoin·e dans un groupe WhatsApp.
Dans son communiqué de janvier 2024, le bureau de Tabital Pulaaku, l’association internationale malienne de défense des droits du peuple peul, dénonce le massacre de douze jeunes bergèr·es peul·es tué·es par le groupe Wagner à Ndoupa, dans le centre du Mali. Tout en rapportant ces massacres, l’organisation peule a également exprimé son inquiétude face aux multiples enlèvements de Peul·es et à la destruction de camps de la communauté par le groupe Wagner et les forces armées maliennes (FAMa) depuis fin 2021.
« Nos familles ont été forcées de partir de chez elles pour rejoindre des camps de réfugié·es de peur de subir la torture et l’oppression du groupe Wagner. Nous avons perdu nos emplois, nos villes, et nos vies, auxquels nous étions habitué·es, et nos enfants l’éducation qu’ils recevaient », témoigne un·e réfugié·e ayant fui en Algérie.
Depuis septembre 2023, des milliers de civil·es innocent·es, principalement des personnes malades, blessées et mutilées, habitant pour la plupart des zones rurales, sont contraintes de fuir à pied sur plus de 300 kilomètres pour franchir les frontières mauritanienne et algérienne. Dans ces pays, la population de réfugié·es venant du Mali est déjà estimée à environ un million, issue de déplacement forcés qui ont commencé en 1990 et se sont aggravés en 2012 suite aux violences commises par les FAMA. Malgré les conditions de vie terribles, celleux qui ont pu être accueilli·es dans des camps de réfugié·es s’estiment heureux·ses. « Le plus important, c’est que tout mon village a reçu l’asile en Mauritanie », explique un homme de la région de Tombouctou ayant trouvé refuge au camp de réfugiés M’Berra en Mauritanie.
La Turquie a également joué un rôle important dans cette catastrophe. Par le biais de l’entreprise turque BAYKAR, la Turquie met ses technologies au service d’une armée dirigée par une junte militaire qui prend régulièrement pour cible des populations innocentes et sans défense. Ainsi, la Turquie, un pays qui se prétend « défenseur » de l’Islam et des musulman·es, est complice d’une épuration ethnique dans la région la plus islamisée d’Afrique, preuve que la raison de ce massacre n’est pas simplement religieuse.
Le massacre et l’extermination continuent en silence, sans pour autant apparaître dans la presse internationale, couvertes par le gouvernement d’Assimi Goïta, qui surveille le tout comme s’il avait planifié l’épuration ethnique de la population du nord du pays. Cela mènera inévitablement à l’écrasement des rebellions et à la confiscation des terres fertiles renfermant de ressources minérales critiques.
Pour l’instant, des associations comme Kal Akal continuent de documenter courageusement les atteintes perpétrées par les FAMA et le groupe Wagner, qui attaquent systématiquement des civil·es sans défense, se livrent à la torture, commettent des meurtres, volent les propriétés, et incendient les maisons et les récoltes.
En résumé, la violence brise les populations nomades, à tel point qu’il leur devient impossible de continuer à vivre et qu’elles sont contraintes de fuir dans la misère la plus totale pour rejoindre des camps de réfugié·es aux frontières algérienne et mauritanienne. Il est presque impossible d’apporter une aide humanitaire dans ces camps improvisés où la sécurité n’est même pas assurée, comme le prouve les attaques de drones maliens. Rappelons que plus de 70 % de la zone nommée l’Alliance des États du Sahel, instituée par un pacte militaire en septembre 2023 par la junte nigérienne, malienne et burkinabée, appartient à ces populations victimes de déplacements forcés. Après avoir été lésé·es par la création de frontières coloniales ne respectant pas leurs identités ethniques, les Peul·es, les Touaregs et la population de Moura sont maintenant victimes d’une extermination arbitraire. Il faut briser le silence.