Face à un système politique bloqué, la société civile du Burkina Faso a clairement démontré, au cours de l’histoire depuis l’indépendance, qu’elle peut influer sur la vie politique du pays et obtenir parfois des inflexions significatives du pouvoir sur le plan juridique ou en matière de liberté d’expression, plus que dans les pays limitrophes. Cette faculté repose autant sur la diversité de ses acteurs que dans sa capacité à déclencher et organiser périodiquement des mobilisations de masse malgré les risques de répression.
La présidence de Blaise Compaoré a ainsi été marquée par de nombreuses et importantes manifestations d’une ampleur telle qu’il a pu se sentir menacé dans son pouvoir jusqu’à être renversé en octobre 2014.
En décembre 1998, l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de plusieurs de ses accompagnateurs est le point de départ de mobilisations importantes pour dénoncer les dérives autoritaires du pouvoir de Blaise Compaoré et demander que justice soit rendue (création du Centre national de presse Norbert Zongo qui demande encore chaque année que justice soit rendue, centre étroitement lié aux membres du Balai citoyen qui maintient donc une société civile toujours en alerte). Durant cette période, des avancées sont malgré tout obtenues en matière de liberté démocratique et la Constitution est modifiée, faisant passer le nombre de mandats présidentiels de 2 fois 7 ans à 2 fois 5 ans. Cependant, ces mesures ne signifient pas la fin des violations des droits humains, des exécutions extra-judiciaires ou de la corruption. L’assassinat du jeune lycéen Justin Zongo, dans un commissariat de Koudougou en février 2011, déclenche de nouvelles révoltes. De nombreux jeunes et acteurs sociaux manifestent dans les rues pour dénoncer les abus de pouvoir, l’impunité, la corruption et la vie chère. Des soldats finissent à leur tour par descendre dans la rue pour commettre des exactions avant d’être mis au pas par l’armée. Les incidents trouvent à l’époque un épilogue avec le changement de gouvernement accompagné de quelques mesures pour la réduction du prix des denrées de première nécessité. C’est l’un des ultimes avertissements lancés par la société civile à Blaise Compaoré et, en quelque sorte, l’une des dernières étapes avant sa chute.
Durant ces trois dernières décennies, la mobilisation des jeunes et des femmes est restée constante dans la dénonciation des dérives du système Compaoré et contre la vie chère. En 1998, comme en 2011, ils sont les premiers à descendre dans la rue pour demander « vérité et justice ». La grande marche des femmes contre la modification de la Constitution [1] en octobre 2014, suivie de celle des jeunes, est d’ailleurs déterminante dans la chute de Blaise Compaoré et de ses dignitaires. Parmi les composantes des mouvements sociaux, on relève en particulier la Coalition contre la vie chère (CCVC) dans laquelle se retrouvent des organisations de jeunesse (Organisation démocratique de la jeunesse et union générale des étudiants burkinabè) et de femmes (association Kebayina des femmes du Burkina).
On y trouve également un grand nombre de syndicats, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), le Réseau national anti-corruption (REN-LAC) sans oublier la CGT-B [2], la principale centrale syndicale du Burkina Faso.
Par ailleurs, le mouvement nommé « Le balai citoyen », initié en juin 2013 par les chanteurs Smockey et Sams K Le Jah reprenant le modèle du mouvement sénégalais "Y’en a marre", contribue à renforcer l’ampleur des mobilisations au cours de ces dernières années, en s’appuyant notamment sur les réseaux sociaux.
Ce mouvement a d’ailleurs joué un rôle de tout premier plan pour faire échouer la tentative de putsch du 16 septembre 2015 perpétrée par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui avait pris en otage une partie du gouvernement au palais présidentiel à Ouagadougou. C’est à l’appel du Balai citoyen que la population civile et une partie de l’armée loyaliste se sont mobilisées pour faire échouer et obtenir la reddition des putschistes tout comme le rétablissement du gouvernement de transition. Celui-ci n’a pas tardé à satisfaire aux revendications de la société civile avec la dissolution du RSP, la destitution et le jugement des hauts gradés responsables de cette tentative de coup d’État.
Le Balai citoyen est effectivement un des premiers acteurs de la société civile encore aujourd’hui : lutte continuelle pour la liberté d’expression des populations, le vivre-ensemble etc. Il travaille d’ailleurs avec des ONG et des associations locales sur des projets de développement ou de lutte contre le terrorisme.
Durant la phase de transition qui se poursuit jusqu’à l’élection du président Kaboré en novembre 2015 et jusqu’en mai 2016 pour les élections locales, la société civile est fortement impliquée dans le processus et en particulier dans la gestion des collectivités territoriales. Après la révolution, l’ensemble des conseils municipaux et régionaux sont dissous, des hauts fonctionnaires d’État sont nommés administrateurs (Présidents de délégation spéciale) à la tête des collectivités et les représentants de la société civile sont pleinement associés à la gestion des collectivités afin de ne pas créer de rupture dans la décentralisation durant la phase de transition.
La société civile sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré
Parmi les acquis de l’insurrection populaire de 2014, une franche libération de la parole se traduit d’ailleurs par une forte croissance de la diversité et du nombre d’organisations de la société civile . En ce qui concerne les autres avancées, le secrétaire général de la CGT du Burkina Faso (CGT-B) Bassolmé Bazié [3] cite « une plus grande indépendance des pouvoirs judiciaire et législatif », et même « quelques avancées sociales », comme l’intégration de nombreux contractuels dans la fonction publique ou la réforme en cours du code du travail, qui devrait donner plus de droits aux salariés du privé…
Cependant l’alternance des gouvernants ne se traduit pas par un changement politique profond. En 2019 le désenchantement de l’opinion publique est nettement perceptible face à la politique du gouvernement, tant les actions mises en œuvre peinent à sortir la majorité de la population de ses difficultés sociales et économiques.
D’ailleurs les leaders du Balai Citoyen [4] qui s’étaient particulièrement affichés en proximité du pouvoir dans la période de transition en subissent en partie le contrecoup avec une démobilisation des militants.
Le contexte du terrorisme que subit le Burkina Faso est loin de laisser indifférentes les organisations de la société civile. Plus que dans d’autres pays, elles n’hésitent pas à exprimer leur soutien aux forces gouvernementales, tout en apportant leurs critiques et des éléments de modération pour appeler à l’action avec discernement et responsabilité [5].