Les paradoxes du Mexique

Une situation migratoire explosive

, par CIDES

Frontalier des États-Unis sur plus de 3 000 kilomètres, le Mexique est un passage obligé pour tou·tes les citoyen·nes des pays d’Amérique latine, mais également d’autres pays, qui veulent émigrer vers les États-Unis, dans l’espoir d’échapper à l’insécurité alimentaire, à la précarité sociale et à la vulnérabilité climatique, ou de fuir la violence des mafias de la drogue et la corruption des États.
En 2023, l’Institut national mexicain des migrations (INM) a estimé à 1 393 000 le nombre de migrant·es passant par le Mexique, en provenance de 177 pays ; après les Mexicain·es, la majorité viennent du Venezuela, du Guatemala, du Honduras, de l’Équateur et d’Haïti, certain·es étaient originaires de Chine, Mauritanie, d’Inde ou Angola.

Mur à la frontière, Tijuana.

Depuis des décennies, l’installation aux États-Unis (légale ou non) permet à de nombreux·ses travailleur·ses d’Amérique latine de faire vivre leur famille restée au pays, les « remesas » (argent envoyé régulièrement) représentant un pourcentage souvent élevé - un huitième à un quart - du PIB des pays d’origine. Ces sommes, nettement supérieures aux « aides » octroyées pour le « développement », ont l’avantage d’aider directement les familles. Les migrations ont longtemps été circulaires, avec des allers et retours permettant de maintenir une vie familiale.

Mais depuis le début du XXIe siècle, alors que la main-d’œuvre immigrée est essentielle pour l’économie des États-Unis, y compris celle des migrant·es illégaux·les, qui constituent une force de travail plus facilement exploitable, notamment dans l’agriculture, la politique des États-Unis s’est progressivement durcie.
En novembre 2006, sous prétexte de lutter contre l’insécurité et le terrorisme, le gouvernement étatsunien (George W. Bush) a promulgué une loi pour la construction d’une « clôture » de 1 200 km sur la frontière, instaurant une véritable militarisation de la zone (radars, détecteurs, caméras à infrarouge, clôture…).
Le second volet de cette politique, fondée sur la criminalisation des migrant·es accusé·es d’être une menace pour l’identité et la sécurité du pays, a consisté à externaliser le contrôle des flux migratoires par des « accords de coopération en matière d’asile », assortis de chantage économique. Ayant accepté d’être un « pays tiers sûr », le Mexique se doit de retenir les migrant·es allant vers le nord et a donc développé une politique de rétention et de refoulement.
Le gouvernement mexicain a militarisé l’administration migratoire en 2019, en déployant près de 30 000 soldats de la garde nationale pour fermer l’accès au nord du pays, et procédé à de nombreuses arrestations (plus de 1,5 million d’étranger·ères entre 2021 et 2023). Les ONG dénoncent les conditions inhumaines dans les centres de détention et de multiples violations des droits humains. Ainsi en mars 2023, 40 hommes sont morts et 27 ont été gravement brûlés lors d’un incendie dans un centre de détention à Ciudad Juarez [1].
Cette politique n’a pas réussi à décourager les candidat·es à une vie meilleure, mais a abouti à aggraver dramatiquement les conditions des migrations : les migrant·es qui arrivent à la frontière Sud du Mexique doivent demander un visa, ce qui peut prendre parfois plusieurs mois. Ainsi la ville de Tapachula, à la frontière avec le Guatemala, est devenue une sorte de prison à ciel ouvert, où s’entassent des centaines de personnes, qui ensuite constituent des caravanes pour traverser à pied le pays, espérant échapper ainsi aux extorsions et aux violences. Certain·es, à partir de Mexico, tentent la traversée (plus de 1 500 km jusqu’à la frontière) sur le toit de trains de marchandises [2], mais se retrouvent au final bloqué·es près de la frontière avec le Texas, ou refoulé·es après avoir réussi à franchir le Rio Grande, contraint·es de survivre dans des conditions indignes dans des campements de fortune, en attendant de tenter de nouveau leur chance.
Outre les conditions climatiques souvent éprouvantes, les migrant·es sont aussi victimes de multiples violences au cours de leur traversée du Mexique et de leurs tentatives d’entrer aux États-Unis : extorsions par les « coyotes » (groupes qui font payer un droit de passage aux migrant·es) ou des policiers, violences sexuelles, kidnappings, meurtres.
Les conditions administratives sont un obstacle supplémentaire : l’administration Biden a créé une application mobile CBP One (Customs and Border Protection - douanes et protection des frontières) qui permet aux migrant·es de déposer leur demande d’asile avant d’entreprendre le voyage. Mais il faut être à moins de 1 000 km de la frontière des États-Unis, et l’application ne permet de traiter qu’un nombre limité de demandes par jour.

Cependant, de multiples actions de solidarité se mettent également en place : aides spontanées de la population au passage des « caravanes », mais aussi refuges plus organisés, soit près des bureaux où sont étudiées les demandes d’asile, soit au plus près de la frontière. Souvent tenus par des églises, parfois en partenariat avec les municipalités, ces refuges offrent un minimum de confort et surtout de sécurité, et peinent à répondre à toutes les demandes.