Une ruée vers le pétrole… jusqu’en enfer

Michael T. Klare

, par Tomdispatch.com

 

Ce texte, publié originellement en anglais par TomDispatch le 18 mai 2010, a été traduit par Albert Caille, traducteur bénévole pour rinoceros.

 

Il a fallu 24 jours pour que le Président Obama se fâche enfin publiquement et se « déchaîne » contre BP et ses associés suite à la catastrophique marée noire dans le Golfe du Mexique. Qu’attendait-il au juste ? La tendance est suffisamment claire : aussi mauvaise que vous pensiez que la situation était, ou aussi mauvaise que quelqu’un ait dit que la situation était à un moment donné, en fait elle est pire (et elle empirera encore). Laissons parler les chiffres.

Les premiers jours qui ont suivi l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon le 20 avril, les rapports des garde-côtes et de BP indiquaient qu’il n’y a avait pas de pétrole qui s’échappait du puits endommagé. Puis le géant pétrolier indiqua qu’en fait, environ 1000 barils s’en échappaient par jour. Presque immédiatement, le gouvernement fédéral porta ce chiffre à 5000 barils, ce qui resta l’estimation généralement acceptée jusqu’à ce que, cédant à la pression, BP ne rende finalement public un film de 30 secondes particulièrement vivide sur la réalité de la fuite à l’extrémité du puits. À ce moment-là, selon ABC News, aussi bien l’entreprise que la Maison Blanche avaient eu accès à la vidéo depuis trois semaines et savaient à l’évidence que l’estimation admise était erronée, et de très loin. Depuis lors, les estimations des scientifiques qui ont étudié la séquence vidéo (mais qui ont été empêchés par BP de visiter le site lui-même, d’examiner d’autres documents ou de procéder à des mesures plus précises) oscillent entre 25 000 barils et un total ahurissant de 70 000 barils par jour ou plus – c’est-à-dire pas moins de 3,4 millions de gallons (13 millions de litres) de pétrole tous les jours, ce qui équivaut à une marée noire de la taille de celle de l’Exxon-Valdez tous les deux-trois jours.

La catastrophe de BP dans le Golfe pourrait se révéler historique au pire sens du terme – d’autant plus qu’une grande partie des dommages infligés demeure invisible, cachée sous la surface des eaux du Golfe dans ce qui constitue déjà de gigantesques nappes de pétrole dans l’eau jusqu’à 4000 pieds (1200 mètres) de profondeur, qui menacent de priver les eaux du Golfe d’oxygène et de créer de vastes zones mortes là où abondait auparavant la vie marine. Bref, cela a de quoi faire peur – des dommages environnementaux à une échelle que nous n’envisageons pas habituellement. Et ce n’est probablement qu’un début, vu que chaque nouveau reportage dans les médias semble renchérir sur le précédent – y compris le fait que le Département de l’Intérieure de l’administration Obama s’est contentée de suivre les pas d’une administration Bush totalement discréditée. En 2009, il « exempta les opérations de forage de BP dans le Golfe du Mexique d’une étude détaillée d’impact environnemental ». (Et, bien sûr, quelques semaines seulement avant l’explosion, le Président affirmait la nécessité d’étendre les opérations de forage offshore en eaux profondes et assurait aux Américains que ce n’était pas très dangereux. Parallèlement, moins de deux semaines avant que la plateforme n’explose, BP procédait à un lobbying vigoureux pour prolonger les exemptions dont elle bénéficiait.)

Pour TomDispatch, Michael Klare, auteur de l’inestimable Rising Powers, Shrinking Planet : The New Geopolitics of Energy, a depuis des années tiré la sonnette d’alarme sur le fait que les réserves facilement accessibles de pétrole et de gaz naturel de la planète Terre étaient en train de disparaître à un rythme rapide, et que commençait l’ère du « tough oil » (« pétrole coriace »). En raison de l’épuisement d’autres ressources naturelles cruciales, le siècle qui s’ouvre a des chances de se révéler de bien des manières plus extrême, y compris en ce qui concerne le climat. BP nous a donné un avant-goût malencontreux de ce caractère extrême. Et on ne parle ici que de 5000 pieds (1500 mètres) sous les vagues. Que se passera-t-il lorsque BP commencera à forer à 35 000 pieds (10 500 mètres) sous le Golfe, pour atteindre la gigantesque nappe de pétrole que l’entreprise désigne sous e nom de Tiber, à 250 miles (400 kilomètres) au Sud de Houston, et que quelque chose dérape ? Cramponnez-vous à vos chapeaux. Pour le dire en un mot, c’est le chemin vers l’enfer. Quand un président « fâché » mobilisera-t-il réellement le gouvernement pour s’attaquer à cette catastrophe (et aux autres à venir) ? Tom

La poursuite sans répit de l’énergie extrême. Une nouvelle ruée vers le pétrole menace le Golfe du Mexique et la planète

Oui, le pétrole qui jaillit des fonds du Golfe du Mexique en quantités étourdissantes pourrait se révéler l’un des pires désastres écologiques de l’histoire humaine. N’y voyez cependant que le prélude de l’Époque du Pétrole Coriace, une époque de dépendance toujours plus grande envers des sources d’énergie problématiques, difficiles à atteindre. Ne vous y trompez pas : nous entrons dans une zone de danger. Et accrochez-vous bien : l’avenir de la planète pourrait être en jeu.

Il ne sera peut-être jamais possible d’identifier la cause précise de l’explosion massive qui a détruit la plateforme de forage Deepwater Horizon le 20 avril, tuant 11 des 126 personnes qui y travaillaient. Parmi les coupables potentiels, un bouchon de ciment défaillant dans la foreuse sous-marine ou un dispositif préventif d’interruption en cas d’explosion désactivé. Une supervision inadéquate, de la part du gouvernement, des procédures de sécurité a elle aussi indubitablement contribué au désastre, qui pourrait avoir été causé par une combinaison de défaillance matérielle et d’erreur humaine. Mais que le facteur déclenchant immédiat de l’explosion soit jamais entièrement déterminé ou non, la cause sous-jacente est manifeste : une poussée des entreprises pétrolières, soutenues par le gouvernement, pour exploiter des réserves de pétroles ou de gaz naturel dans des environnements extrêmes, dans des conditions opérationnelles toujours plus risquées.

La nouvelle ruée vers le pétrole et ses dangers

Les États-Unis ont abordé l’époque des hydrocarbures munis de ressources en pétrole et en gaz naturel parmi les plus importantes au monde. L’exploitation de ces matières premières précieuses aux multiples usages a longtemps contribué à la richesse et à la puissance de la nation, ainsi qu’à la profitabilité d’entreprises énergétiques géantes comme BP ou Exxon. Par là même, cependant, la plupart de nos réserves terrestres facilement accessibles de pétrole et de gaz on été épuisées, ce qui n’a laissé que des réserves moins accessibles dans les zones offshore, en Alaska et dans l’Arctique actuellement en train de fondre. Pour assurer un approvisionnement continu en hydrocarbures – et la continuité de la prospérité des entreprises énergétiques géantes –, les administrations successives ont favorisé l’exploitation de ces options énergétiques extrêmes avec un dédain stupéfiant pour les dangers qui pouvaient en résulter. De par leur nature même, ces efforts impliquent un risque accru de catastrophes humaines ou environnementales – une conséquence qui a été bien trop peu reconnue.

La chasse au pétrole et au gaz a toujours comporté un certain degré de risque. Après tout, la plupart des réserves énergétiques sont coincées à une certaine profondeur sous la surface de la Terre par des formations rocheuses situées au-dessus d’elles. Lorsque ces formations sont percées par les foreuses pétrolières, il y a de fortes chances qu’en résulte une véritable éruption du fait de la libération explosive des hydrocarbures sous-jacents, bien connue dans le milieu sous le nom de blow-out ou de « gusher effect ». Dans les premiers temps « héroïques » de l’industrie pétrolière, ce phénomène – qui nous est familier grâce à des films comme There Will Be Blood – entraînait souvent des dégâts humains et environnementaux. Au fil des années, cependant, les compagnies pétrolières ont pris l’habitude de bien mieux anticiper ce type d’incident et de prévenir les dégâts qui pourraient en résulter, aussi bien pour leurs employés que pour le territoire environnant.

Aujourd’hui, avec la ruée vers les réserves difficiles d’accès de l’Alaska, de l’Arctique et des zones offshore en eaux profondes, nous revenons à une version particulièrement dangereuse de l’époque « héroïque ». À mesure que les compagnies pétrolières se trouvent confrontées à des risques inédits et inattendus, les technologies existantes – développées pour la plupart pour des contextes bien plus bénins – se révèlent souvent incapables de faire face de manière adéquate à ces nouveaux défis. Et lorsque des désastres surviennent, comme c’est de plus en plus probable, les dégâts environnementaux induits ne peuvent que causer une dévastation sans commune mesure avec ce qui a été connu dans les annales industrielles du XIXe et du début du XXe siècles.

Les opérations menées sur la plateforme Deepwater Horizon étaient caractéristiques de cette tendance. BP, l’entreprise qui louait la plateforme et qui supervisait l’effort de forage, fait depuis plusieurs années des efforts pressants pour extraire du pétrole à des profondeurs de plus en plus importantes dans le Golfe du Mexique. Le puits en question, connu sous le nom de Mississipi Canyon 252, était situé à 5000 pieds (1500 mètres) de profondeur, à quelque 50 miles (80 kilomètres) de la côte de Louisiane. La conduite du puits elle-même s’étendait de 13 000 pieds (4000 mètres) supplémentaires sous la terre. À de telles profondeurs, tout le travail niveau des fonds océaniques doit être effectué par des engins robotiques téléguidés contrôlés par des techniciens sur la plateforme. D’emblée, la marge d’erreur était étroite, et il n’y avait aucune place pour les pratiques d’économies de bouts de chandelle, de chipotage sur le moindre sou, et de supervision laxiste qui paraissent avoir caractérisé les opérations sur Deepwater Horizon. Quand les problèmes prévisibles sont survenus, il était bien sûr impossible d’envoyer des agents humains à 1,5 kilomètre sous la surface de l’océan pour évaluer la situation et trouver une solution.

Les opérations de forage en Alaska et dans l’Arctique impliquent, en fait, des défis encore plus périlleux, vu les conditions environnementales et climatiques extrêmes qu’elles impliquent. Toute plateforme de forage déployée offshore dans, par exemple la mer de Beaufort ou celle des Tchouktches en Alaska doivent être renforcée pour résister aux collisions avec les masses de glace flottantes – un danger permanent – et capables de faire face à des températures extrêmes et à des tempêtes de grande intensité. En outre, dans des endroits aussi difficiles d’accès, les marées noires du style de celle de BP, que ce soit sur terre ou en mer, seront encore plus difficiles à maîtriser que dans le Golfe. Dans n’importe quel situation de ce type, un écoulement incontrôlé de pétrole risque de se révéler fatal pour de nombreuses espèces, menacées ou non, qui sont particulièrement vulnérables aux atteintes environnementales.

Les grandes firmes énergétiques soutiennent qu’elles ont adopté des mesures de sécurité drastiques pour se prémunir contre de tels périls, mais la catastrophe dans le Golfe, et l’histoire du secteur pétroler en général, illustrent le peu de crédibilité de telles prétentions. En 2006, par exemple, une canalisation mal entretenue dans une usine de BP s’est rompue, déversant 267 000 gallons (un million de litres) de pétrole brut dans la région de l’Alaska North Slope, une zone fréquentée par des caribous lors de leurs migrations. (La catastrophe étant survenue durant l’hiver, aucun caribou n’était présent à ce moment précis, et il fut possible de ramasser le pétrole des bancs de neige alentour ; si cela s’était passé en été, le risque pour les troupeaux de caribou aurait été substantiel.)

Si c’est pour le pétrole, ça va

Malgré des risques et des dangers évidents, et malgré des mesures de sécurité inadéquates, les administrations successives, y compris celle de Barack Obama, ont soutenu les stratégies des entreprises qui pressaient fortement en faveur de l’exploration des réserves de gaz et de pétrole dans les eaux profondes du Golfe du Mexique et d’autres zones sensibles du point de vue environnemental.

Du côté gouvernemental, cette perspective fut clairement explicitée pour la première fois dans la National Energy Policy (NEP) adoptée par le Président George W. Bush le 17 mai 2001. Emmenés par l’ancien Directeur général de Halliburton le Vice-Président Dick Cheney, les instigateurs de ce programme avertissaient que les États-Unis devenaient de plus en plus dépendants des importations d’énergie, ce qui menaçait la sécurité nationale. Ils en appelèrent à un recours accru aux sources d’énergie domestiques, en particulier au pétrole et au gaz naturel. « Un objectif fondamental de la National Energy Policy est de compléter l’approvisionnement à partir de sources diverses. », déclarait le document. « Cela signifie le pétrole, le gaz et le charbon domestiques. »

Comme la NEP le relevait elle-même, toutefois, les États-Unis commençaient à manquer de réserves de pétrole et de gaz naturel faciles à exploiter, situées sur terre ou dans des eaux côtières peu profondes. « La production de pétrole des États-Unis devrait décliner au cours des deux prochaines décennies, tandis que la demande de gaz naturel dépassera très probablement la production domestique. », notait le document. La seule solution, prétendait-il, était d’augmenter l’exploitation des réserves énergétiques non conventionnelles – le pétrole et le gaz situé dans des zones en eaux profondes dans le Golfe du Mexique ou dans les Plateaux continentaux extérieurs, en Alaska et dans l’Arctique américain, ainsi que ceux localisés dans des formations géologiques complexes comme les schistes bitumeux ou le gaz schisteux. « Produire du pétrole et du gaz dans des zones géologiques difficiles tout en protégeant l’environnement est important pour les Américains et pour l’avenir de la sécurité énergétique de notre nation. », affirmait le programme. (Le passage en italiques a été ajouté à l’évidence par la Maison Blanche pour réfuter les accusations – douloureusement exactes, comme on l’a vu plus tard – selon lesquelles l’administration négligeait les conséquences environnementales de sa politique énergétique.)

Au premier rang des recommandations de la NEP figurait l’ouverture à l’exploitation pétrolière de l’Arctic National Wildlife Refuge, une réserve naturelle immaculée. Cette proposition suscita un fort intérêt de la part des médias et s’attira l’opposition généralisée des écologistes. L’appel de la NEP à l’intensification de l’exploitation et des forages dans les eaux profondes du Golfe du Mexique, ainsi que dans les mers de Beaufort et des Tchouktches au large de l’Alaska, était cependant tout aussi important.

Tandis que le développement pétrolier de l’Arctic National Wildlife Refuge fut finalement bloqué par le Congrès, la ruée pour exploiter les autres zones qui s’ensuivit ne suscita que peu d’opposition politique. En fait, comme c’est devenu aujourd’hui évident pour tout le monde, la branche régulatrice du gouvernement, le Minerals Management Service (MMS), profondément corrompue, a facilité durant des années l’octroi de licences d’exploitation et de forage dans le Golfe du Mexique en ignorant systématiquement les régulations et les risques environnementaux. Généralisées pendant les années Bush, ce type de pratiques ne fut pas abandonné lorsque Barack Obama assuma la Présidence. De fait, ce dernier donna sa bénédiction à une augmentation potentiellement massive des forages offshore lorsqu’il annonça le 30 mars 2010 – trois semaines avant la catastrophe de Deepwater Horizon – que de vastes zones de l’Atlantique, de l’Est du Golfe du Mexique et des eaux de l’Alaska seraient ouvertes pour la première fois aux forages pétroliers et gaziers.

En plus d’accélérer l’exploitation du Golfe du Mexique, en passant par dessus l’avis des experts gouvernementaux et d’autres fonctionnaires qui signalaient les dangers qui en résulteraient, le MMS approuva également des forages offshore dans les mers des Tchouktches et de Beaufort. Ceci encore une fois malgré la forte opposition des environnementalistes et des populations autochtones qui y voyaient une menace pour les baleines et les autres espèces menacées cruciales pour le maintien de leur mode de vie. En octobre 2009, par exemple, le MMS donna à Shell Oil son approbation préliminaire pour effectuer des forages prospectifs dans deux blocs offshore de la mer de Beaufort. Les opposants au projet ont alerté sur le fait que tout écoulement de pétrole résultant d’activités de ce type impliquerait de graves menaces pour des animaux en danger, mais ces avertissements, comme à l’habitude, furent ignorés. (Le 30 avril 2010, 10 jours après l’explosion dans le Golfe, l’approbation finale du projet fut soudain suspendue sur ordre du Président Obama, et assujettie à un réexamen générale des activités de forage offshore.)

BP au panthéon de la honte

Les grandes compagnies énergétiques ont leur propres raisons pressantes de s’impliquer toujours davantage dans l’exploitation des options énergétiques extrêmes. Chaque année, pour éviter une baisse de la valeur de leurs actions, ces firmes doivent remplacer le pétrole qu’elles ont extraites des réserves existantes par de nouvelles réserves. La plupart des bassins pétroliers ou gaziers de leurs régions traditionnelles d’approvisionnement ont cependant été épuisées, tandis que de nombreux bassins prometteurs dans le Moyen Orient, en Amérique latine ou dans l’ex-Union soviétique sont aujourd’hui sous le contrôle exclusif de compagnies pétrolières nationales propriétés de l’État, comme Saudi Aramco, Pemex au Mexique ou PdVSA au Venezuela.

Ceci laisse les firmes pétrolières internationales privées avec encore moins d’options pour renforcer leur approvisionnement. Elles sont aujourd’hui profondément impliquées dans une ruée vers le pétrole en Afrique subsaharienne, où la plupart des pays permettent encore la prise de participation de ces firmes, mais elles y sont confrontées à la concurrence effrénée des compagnies pétrolières chinoises ou des firmes étatiques. Les seules régions où elles aient encore les mains libres sont l’Arctique, le Golfe du Mexique, l’Atlantique Nord et la Mer du Nord. Sans surprise, ce sont les régions où elles concentrent leurs efforts, quels que soient les dangers pour nous ou pour la planète.

Prenez BP. Connue initialement sous le nom d’Anglo-Persian Oil Company (puis Anglo-Iranian Oil Compaby, puis plus tard encore British Petroleum), BP fit ses premiers pas dans le Sud-ouest de l’Iran, où l’entreprise jouissait naguère d’un monopole de la production de pétrole brut. En 1951, ses actifs iraniens furent nationalisés par le gouvernement démocratique de Mohammad Mossadegh. L’entreprise retourna en Iran en 1953, suite à un coup d’État soutenu par les États-Unis qui mit le Shah au pouvoir, puis fut expulsée pour de bon en 1979 par la Révolution islamique. Elle maintient encore un ancrage significatif au Nigéria – une ancienne colonie britannique riche en pétrole mais instable – et en Azerbaïdjan. Cependant, depuis sa reprise d’Amoco (anciennement Standard Oil Company of Indiana) en 1998, BP a concentré ses énergies sur l’exploitation des réserves d’Alaska et de lieux difficiles dans les eaux profondes du Golfe du Mexique ou au large de la côte africaine.

« Actif aux frontières de l’énergie » est le titre du rapport annuel de BP pour 2009, dont les premières lignes annoncent fièrement : « BP opère aux frontières de l’industrie énergétique. Depuis les profondeurs de l’océan jusqu’aux environnements complexes de raffinage, des îles tropicales isolées à la nouvelle génération de bio-fuels -, la revitalisation de BP entraîne avec elle une meilleure efficience, une impulsion durable et une croissance de son chiffre d’affaires. »

Dans cette stratégie, le Golfe du Mexique occupe de fait une place centrale. « BP est l’opérateur numéro un dans le Golfe du Mexique. », affirme le rapport. « Nous sommes le plus gros producteur, le leader en matière de ressources détenues et nous avons la plus grande surface d’exploitation… Grâce aux nouvelles découvertes, au succès de nos start-ups, à l’efficacité de nos opérations et à notre large portefeuille de nouveaux projets, nous sommes exceptionnellement bien placés pour pérenniser à long terme notre réussite dans les eaux profondes du Golfe du Mexique. »

À l’évidence, les cadres dirigeants de BP estimaient qu’une croissance rapide de leur production dans le Golfe était essentielle à la santé financière à long terme de la compagnie (et de fait, quelques jours seulement après l’explosion de Deepwater Horizon, celle-ci annonça qu’elle avait réalisé 6,1 milliards USD de profits pour le seul premier trimestre de 2010). Il reste encore à déterminer dans quelle mesure la culture d’entreprise de BP a contribué à l’accident de Deepwater Horizon. Il semble bien, toutefois, que l’entreprise a fait preuve d’une hâte étrange à achever le cimentage du puits Mississipi Canyon 252 – une procédure consistant à le boucher jusqu’à ce que la compagnie soit prête à entreprendre l’exploitation commerciale du pétrole emmagasiné sous terre. Cela lui aurait permis de déplacer la plateforme, louée à Transocean Ltd. au tarif de 500 000 USD par jour, vers un autre site de forage prospectif, à la recherche de pétrole supplémentaire.

Même si BP se révélait le principal méchant dans cette affaire, les autres grandes firmes énergétiques – encouragés par le gouvernement fédéral et les administrations des Etats – sont elles aussi engagées dans des dynamiques tout aussi effrénées d’extraction de pétrole et de gaz dans des conditions environnementales extrêmes. Ces entreprises et leurs appuis gouvernementaux prétendent qu’avec les précautions appropriées, opérer dans ces conditions ne présente pas de danger, mais l’accident de Deepwater Horizon montre que plus l’environnement sera extrême, plus grand seront les risques de voir de telles assurances démenties.

On ne manquera pas de nous dire que l’explosion de Deepwater Horizon fut un hasard malencontreux : la convergence d’une gestion inadéquate et d’équipements défaillants. Une supervision plus serrée, nous affirmera-t-on, permettra d’éviter de tels accidents – de sorte qu’il sera sans danger de retourner en eaux profondes et de forer à la recherche de pétrole à un kilomètre ou plus sous la surface de l’océan.

Ne les croyez pas. Même si l’absence de supervision et la défaillance des équipements ont pu jouer un rôle critique dans la catastrophe de BP dans le Golfe, la cause ultime de ce désastre est la poussée compulsive des grandes entreprises pétrolières pour compenser le déclin de leurs réserves conventionnelles en cherchant à s’approvisionner, en faisant fi des risques, dans des zones qui présentent de par leur nature même de grands dangers.

Aussi longtemps que durera cette compulsion, de nouveaux désastres similaires auront lieu. Vous pouvez le parier.

Michael T. Klare est professeur d’études sur la paix et sur la sécurité mondiale au Hampshire College. Son ouvrage le plus récent est Rising Powers, Shrinking Planet : The New Geopolitics of Energy. Un film documentaire adapté de son précédent livre, Blood and Oil, est disponible auprès de la Media Education Foundation.

Copyright 2010 Michael T. Klare, reproduit avec autorisation.