Tchad : un peuple éprouvé qui cherche à s’émanciper

Une république dictatoriale

, par CIIP, CLID

Un bureau de vote sous un arbre à Gassi, un quartier est de N’Djamena, Tchad, 10 avril 2016. Photo : Bagassi Koura (VOA) Domaine public

En 1990, la Commission d’enquête nationale a évalué à 40 000 les victimes du régime d’Hissène Habré mais, dès 1993, Amnesty International dénonçait la poursuite des massacres sous Idriss Déby. Face aux rébellions récurrentes contre l’absence de démocratie, Déby a répondu par des exactions massives de l’armée et de la Garde républicaine. Mais les atteintes aux droits humains ne se limitent pas à mater les rébellions. Le régime Déby est fondamentalement répressif et antidémocratique, même s’il s’auto-justifie par des élections fraudées, avec un multipartisme de façade sans aucune chance d’alternance. La répression de la société civile, des opposants politiques, des journalistes ou des simples citoyen·nes est continue avec une pratique de la terreur arbitraire et des disparitions forcées.

Déby : pourfendeur de la liberté de la presse et de la libre parole

La presse est muselée et les communications téléphoniques surveillées. Les radios et journaux privés disposent de peu de moyens et sont bridés par les intimidations, la répression et la corruption. Les journalistes indépendant·es sont obligé·es de s’exiler et disposent alors de peu d’informations fiables sur leur pays. Internet et les réseaux sociaux sont coupés depuis mars 2018 ; en août 2018, l’ONG Internet sans frontières a installé un bureau local pour faire lever cette censure [1].
Au Tchad, défendre les droits humains est dangereux : pressions, expulsions, emprisonnements arbitraires comme celui du cyberactiviste critique Mahamat Babouri, libéré en avril 2018 après 16 mois de détention avec torture et mauvais traitements, disparitions comme celles de l’opposant Ibni Oumar Saleh (juillet 2013), assassinat à l’instar du vice-président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH), Maître Behidi, assassiné en 1992. Il est quasi impossible de dresser une liste complète des exactions du régime qu’il sera très difficile d’assigner en justice, même auprès d’une cour internationale.

La population relève la tête mais Déby ne cède pas

Face aux difficultés de la vie quotidienne, une opposition populaire tente de se lever, par exemple par la voix de Céline Narmadji, représentante d’une association de femmes et porte-parole de la plate-forme de la société civile « Trop c’est trop » : « Il y a une injustice criante ! Manger, avoir de l’eau, de l’électricité, des soins, c’est un luxe, alors que c’est le minimum ! », on pourrait ajouter le manque de carburant, un paradoxe dans un pays pétrolier ! De fortes mobilisations de la société civile se déroulent en 2014, malgré les pressions du pouvoir, qui réagit férocement à son habitude : tirs contre les manifestant·es, intimidations, arrestations. Mais la société civile ne se résigne pas ; elle tient tête avec ses plate-formes citoyennes, comme « Trop c’est trop », « Ça doit changer », « On est fatigué » ou « Ça suffit » qui travaillent parallèlement. Par leur pacifisme et leurs volontés de dépasser les clivages musulmans/chrétiens ou Nord/Sud, elles inquiètent le pouvoir qui les fiche, les intimide et fait pression sur les partenaires internationaux, dont l’Union européenne (UE), pour que ne soient pas financés leurs projets d’éducation à la citoyenneté.

En 2016, la population espère que l’élection présidentielle permette d’améliorer son sort. Or le viol d’une lycéenne perpétré par des enfants de dignitaires du régime suscite un regain de révoltes et de répressions, un étudiant est tué par les forces de l’ordre. Le régime est aux abois peu avant l’élection, il arrête les leaders de la société civile, Mahamat Nour Ibedou (« Ça suffit »), Younous Mahadjir (Union des syndicats du Tchad), Nadjo Kaina Palmer (Iyi­na / On est fatigué) et Céline Narmadji (« Trop c’est trop »), pour avoir appelé à manifester, mais le peuple se rassemble pour soutenir les accusé·es devant le tribunal, qui les condamne à des peines avec sursis. L’élection se passe dans un climat d’intimidation et même de terreur mais, contre toute vraisemblance, Déby est largement réélu…

Déby : un dictateur promu monarque

Cela ne suffit pas à Déby, qui veut se maintenir au pouvoir quasiment à vie, malgré l’opposition croissante de la société civile face aux mesures d’austérité et aux hausses d’impôts qui font payer au peuple le prix de la dette et de la baisse du cours du pétrole. Nouvelles manifestations en 2018 et la fonction publique fait grève en janvier, mais Déby persiste dans son projet. En mars, il réunit une conférence nationale non élue et boycottée par l’opposition. Elle propose de lui permettre de rester à la présidence jusqu’en 2033, c’est à dire jusqu’à ses 81 ans et de lui accorder de plus grands pouvoirs en supprimant le poste de Premier ministre et en renforçant le système présidentiel. Le 28 mai, Déby fait entériner ces mesures par une Assemblée nationale à ses ordres, sous le regard bienveillant du gouvernement français. L’opposition et la société civile sont ainsi durablement hors jeu. Le président annonce des élections législatives pour novembre 2018, après les avoir longtemps repoussées "pour manque de ressources financières". Est-ce une concession à sa population ou une manière de se donner une façade démocratique à l’égard de ses protecteurs internationaux et de consolider sa domination ?
En octobre 2023 , les élections législatives n’ont toujours pas eu lieu, elles ont été repoussées successivement sous prétexte de raisons financières puis de menace terroriste et enfin à cause de la pandémie de Covid-19. Mahamat Idriss Déby a promis des élections en 2022 qui n’ont pas eu lieu. Finalement le Dialogue national inclusif et souverain annonce en octobre 2022 que cette période de transition ne pourrait excéder 2 ans et autorise Mahamat Idriss Déby Itno à se présenter à la présidentielle en 2024.

La coopération militaire entre la France et le Tchad

En 1976 des accords de coopération militaire technique sont signés entre la France et le Tchad. Ils concernent l’aide au reformatage de l’armée, l’appui logistique, le soutien à la santé et le renseignement, avec des coopérants militaires servant sous uniforme tchadien. Puis cette coopération s’oriente vers le renforcement des capacités et s’articule sur deux axes majeurs : la réorganisation de l’armée et le soutien institutionnel à la gendarmerie.
La France intervient militairement à deux reprises pour repousser l’avancée libyenne et être force de dissuasion avec les opérations Manta (1983-84) puis Epervier en 1986. L’objectif d’empêcher l’avancée libyenne et de maintenir l’espace territorial est atteint dès 1987 mais l’opération se poursuit jusqu’à se fondre en 2014 dans le dispositif Barkhane dont le centre de commandement se trouve à Ndjaména, devenue le point d’ancrage du redéploiement de l’armée française en Afrique.
Depuis le lancement de l’opération en août 2014, les militaires français multiplient les opérations de « grande ampleur » à l’en­contre des « groupes armés terroristes » qui sévissent dans la zone sahélo­-sa­harienne.
Le président français met un terme à l’opération Barkhane au Sahel lors de son discours du 9 novembre 2022.