L’agroécologie est-elle une alternative crédible à l’agriculture productiviste ?

Une prise de conscience réelle, mais encore trop lente

, par CDTM-Monde Solidaire La Flèche

Des voix s’expriment au plus haut niveau international pour signaler l’urgence à réorienter l’agriculture vers un modèle plus durable, compatible avec le maintien des ressources, la stabilité des ressources et la justice sociale c’est-à-dire l’agroécologie. C’est le message du rapport de l’IAASTD [1] et de celui d’Olivier de Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, présenté en 2011. Mais ces points de vue restent encore minoritaires.

C’est surtout sur le terrain que la résistance s’organise pour lutter contre les conséquences de l’agriculture industrielle et contrer sa propagation. Dans les pays du Sud, les projets agroécologiques se multiplient depuis les années 1980, soutenus par des ONG et des mouvements paysans ; ceux-ci sont souvent membres de Via Campesina, premier mouvement international de petits paysans, paysans sans terre et travailleurs agricoles qui regroupe 182 organisations de 81 pays soit 200 millions d’affiliés.

Photo prise le 11 avril 2016 par Jeanne Menjoulet Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

En 2015, au Forum international pour l’agroécologie, Via Campesina a déclaré [2] que "l’agroécologie est la solution pour transformer et réparer la réalité d’un système agroalimentaire et d’un monde rural dévasté par le modèle de production industrielle". Pour assurer la diffusion des méthodes agroécologiques, Via Campesina a développé des formations pratiques sur le mode "campesino a campesino" : les paysans ayant trouvé de nouvelles solutions à des problèmes communs à un grand nombre d’entre eux utilisent leurs propres fermes comme salles de classe pour partager ces solutions avec d’autres paysans. Ces dernières années, nombre d’organisations affiliées à Via Campesina ont mis en œuvre des programmes d’agroécologie sur ce mode. Un des programmes nationaux les plus remarquables a été développé à Cuba : en moins de 10 ans, 1/3 des familles paysannes de l’île, soit près de 110 000 familles, se sont converties à l’agroécologie .

Une diffusion limitée et de nombreux obstacles à surmonter

Malgré ces succès, la diffusion des pratiques agroécologiques ne concerne encore que des surfaces limitées et la transition vers un système agricole viable se heurte à bien des obstacles.

  • Obstacles sociaux : à court terme, la transition représente un coût (baisse de productivité, besoins en main d’œuvre, formation, temps d’adaptation). Par ailleurs, les prix des denrées alimentaires sur le marché ont tendance à baisser. De ce fait, les agriculteurs, déjà confrontés à des difficultés économiques (revenus faibles, remboursements de leurs emprunts), se sentent souvent incapables de revoir radicalement leur approche.
    -* Obstacles technologiques : la modernisation de l’agriculture mondiale s’est faite uniquement selon un modèle productiviste qui exige des agriculteurs de gros investissements, qui doivent être rentabilisés dans un système technique dont il est difficile de sortir sans faire une transition généralisée.
  • Obstacles culturels : dans les pays industrialisés surtout, la plupart des consommateur.rice.s se tournent vers une nourriture bon marché, accessible toute l’année sans restrictions de provenance. Par ailleurs, on passe de moins en moins de temps à préparer les repas car on consomme de plus en plus de plats pré-cuisinés par l’industrie agroalimentaire.
  • Obstacles économiques et politiques qui sont déterminants : Le système agro-alimentaire est dominé par quelques transnationales très puissantes ; 4 d’entre elles (Monsanto-Byer, Dow Chemical, Du Pont-Pioneer et Sygenta) contrôlent près de 60 % du marché mondial des semences commerciales. Les mêmes plus BASF produisent 75% de l’offre en pesticides. Cette puissance économique leur confère un énorme pouvoir d’influence sur les gouvernements qui décident des politiques agricoles et qui ont souvent une vision à court terme. On peut douter dans ces conditions de leur volonté de transformer le système agricole dominant.

Pour surmonter ces obstacles et rendre possible la diffusion de l’agroécologie, il est important d’actionner l’ensemble des leviers disponibles. Cela exige, outre une forte implication des agriculteur.rice.s, des réorientations en matière de recherche et de formation et la participation active de tous les maillons des filières agricoles, jusqu’aux consommateur.rice.s, sans oublier bien sûr le rôle d’impulsion et d’accompagnement que doivent jouer les politiques publiques.

Un rôle important pour répondre aux défis mondiaux

Le rôle que peut jouer l’agroécologie dans l’élaboration de la réponse aux nouveaux défis mondiaux ne peut pas être nié : capable de contribuer à la lutte contre le changement climatique mais aussi directement liée à la concrétisation des 17 Objectifs de développement durable [3]comme la lutte contre la pauvreté, la faim et la malnutrition, elle doit être aujourd’hui considérée comme une priorité absolue et encouragée à tous les niveaux.