Femmes autochtones disparues et assassinées au Canada

Une population fragilisée, en situation de vulnérabilité extrême

, par CEDIDELP , GERGAUD Sophie

Pendant longtemps, le gouvernement canadien s’est opposé à l’ouverture d’une enquête nationale qui aurait permis à la fois d’identifier les causes des disparitions et d’évaluer l’ampleur exponentielle du phénomène. En 2013, face aux pressions et à la détermination des familles et de diverses associations autochtones, le Premier ministre Harper s’était contenté de répondre qu’une telle enquête n’était pas dans les priorités de son gouvernement et que l’approche sociologique lui semblait de toutes façons inappropriée pour traiter une question d’ordre purement criminel.

Pourtant, ce ne sont pas les rapports soutenant le contraire qui manquent [1] : dès 2004, Amnistie Internationale Canada dénonce les discriminations et les violences subies par les femmes autochtones et affirme dans son rapport Les Sœurs Volées ou le féminicide des femmes autochtones au Canada que la fréquence des meurtres et des disparitions est directement liée à l’origine ethnique des victimes. Au fur et à mesure des enquêtes menées par la société civile (Femmes autochtones du Canada, Stolen Sisters, Human Rights Watch...), les chiffres ne cessent d’augmenter. Des veillées s’organisent chaque année dans plusieurs villes du pays pour rendre hommage aux disparues, ces femmes et jeunes filles que le gouvernement fédéral condamne à l’oubli tandis que la société canadienne essaie de se rassurer en prétendant qu’il ne s’agit que de quelques prostituées isolées ou d’adolescentes « à problèmes » s’étant elles-mêmes mises en danger... Certes les chiffres sont accablants, mais les pouvoirs publics s’obstinent à les considérer isolément les uns des autres, ne voyant que des cas particuliers là où les proches des victimes et les associations mobilisées continuent de dénoncer tout un système de discriminations institutionnalisées.

Vigile à Ottawa en mémoire de Maisy Odjick et Shannon Alexander, deux jeunes femmes disparues originaires de la communauté de Kitigan Zibi (Québec), 2013. © Obert Madondo.

C’est finalement le rapport de la Gendarmerie royale du Canada, paru en 2014, qui propulse à la une des médias nationaux ce qui est désormais appelé « l’affaire des femmes autochtones disparues et assassinées ». Alors que jusqu’à présent les chiffres avancés évaluaient à 500 ou 600 le nombre de femmes concernées, ce premier rapport fédéral recense 1181 victimes identifiées : 1017 d’entre elles ont été assassinées entre 1980 et 2012, tandis que 164 sont portées disparues depuis 1952. De plus, 225 cas n’avaient pas encore été élucidés au moment de la parution du rapport.

L’annonce provoque une véritable onde de choc : alors que les femmes autochtones ne représentent que 4% de la population féminine canadienne, elles comptent pour près de 25% des homicides perpétués à l’encontre des femmes en 2012 [2].

Ainsi, les femmes autochtones ont huit fois plus de risques d’être tuées que les non-autochtones [3]. Par ailleurs, dans son rapport publié en décembre 2014 [4], la Cour interaméricaine des droits de l’homme affirme que le taux de suicide chez les femmes autochtones de Colombie-Britannique est sept fois plus élevé que chez les non-autochtones. Phénomène qui, selon ses estimations, peut être étendu à l’échelle nationale et qu’elle explique par « une discrimination historique favorisant à la fois le traitement inégalitaire et la persistance d’une vision stéréotypée [à l’égard des femmes autochtones], les plaçant davantage en situation de risque face aux violences multiples qu’elles pourraient subir et qui sont perpétrées, la plupart du temps, en toute impunité. Ce qui, à son tour, perpétue le cycle de la violence » [5].