Le Kosovo, un État sans État

Un long chemin vers la stabilité institutionnelle et politique

, par Forum Réfugiés

Une souveraineté limitée et une vie politique chaotique

Pendant les premières années de son existence en tant qu’État indépendant, la souveraineté du Kosovo est de fait incomplète, eu égard aux divers organes européens et internationaux présents sur son sol pour réguler les domaines régaliens : police et armée assurées par la force internationale de l’OTAN et des Nations unies (KFOR et MINUK), justice et police assurées par l’organe européen EULEX.

Progressivement le Kosovo construit sa souveraineté : la police nationale n’est plus subordonnée à la MINUK dès 2008. En 2014 et 2015, de nombreuses compétences d’EULEX sont transférées à la police kosovare et aux institutions judiciaires étatiques. La KFOR, constituée de 50 000 soldats en 1999, ne compte plus que 5 600 soldats en 2015.

Mais le Kosovo peine à trouver sa stabilité politique et les crises institutionnelles s’enchaînent.

En juin 2014 : des élections législatives sont organisées. La LDK (Ligue démocratique du Kosovo), dans l’opposition depuis l’indépendance, s’est, pour l’occasion, alliée à des formations moins importantes, ce qui lui permet de remporter une majorité de sièges par rapport au PDK (Parti démocratique du Kosovo), au pouvoir depuis l’indépendance. Mais un détail de la Constitution plonge le pays dans une crise politique longue de 6 mois. Le Premier ministre devant être issu du parti vainqueur, et non d’une coalition de partis, de longues négociations sont entamées afin de trouver un compromis, le PDK et son leader Hashim Taçi revendiquant la victoire. Cet épisode plonge une nouvelle fois la population dans la désillusion : malgré un vote contre Hashim Taçi et son parti PDK, la crise politique lui permet de rester au premier plan. Il obtient en effet le poste de vice-Premier ministre, au côté d’Isa Mustafa (LDK), Premier ministre. Le gouvernement est ainsi dirigé par une « coalition des ennemis », maintenant des élites susceptibles de faire l’objet de poursuites au Tribunal spécial sur les crimes de guerre.

Et, de fait, Hashim Thaçi, qui démissionne en 2020, comparaît en 2020 et en 2023 devant le Tribunal spécial pour le Kosovo [1], accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

La crise des élections de 2014 aura mis à mal l’application des accords de réconciliation avec la Serbie de 2013 (accords de Bruxelles). Elle met en lumière la faiblesse des institutions du Kosovo. Les difficultés économiques, ainsi que la crise politique engendrée par les élections législatives de 2014 poussent 10 % de la population kosovare à quitter le pays entre 2014 et 2015 [2].
En 2016, une nouvelle crise secoue le pays : l’Assemblée est évacuée à cause de gaz lacrymogènes lancés par des députés opposés à la victoire d’Hashim Thaçi [3].

Les élections législatives d’octobre 2019 illustrent encore la vie chaotique parlementaire. Les élections aboutissent à un gouvernement de coalition, mené par le parti Autodétermination (VV). Albin Kurti devient le Premier ministre. Quelques mois plus tard, le parti LDK renverse le gouvernement en déposant une motion de censure. Avdullah Hoti, du parti LDK, devient le Premier ministre. Albin Kurti demande à la Cour constitutionnelle d’invalider le gouvernement Hoti en remettant en cause le vote d’investiture.

Depuis 2021, la présidente du Kosovo est Vjosa Osmani-Sadriu, Le Premier ministre, chef du gouvernement du Kosovo et principal détenteur du pouvoir exécutif, est Albin Kurti, du parti Autodétermination (Vetëvendosje/VV).

Une société gangrenée par la corruption et la criminalité organisée

D’après le rapport de Freedom House paru en 2022 [4], la corruption reste l’un des principaux fléaux de l’État kosovar, le système judiciaire étant fortement dépendant des élites politiques et commerciales.
L’indice de perception de la corruption calculé par le site « données mondiales dans le secteur public » est de 59 points en 2022 au Kosovo. L’échelle allant de 0 à 100, plus le score est élevé, plus la corruption est massive. [5]
Selon la même source, « les causes de la corruption sont en partie politiques et culturelles. L’inefficacité des poursuites judiciaires peut l’encourager. »
Le Kosovo se place au 84ème rang sur les 180 pays de l’index de corruption de Transparency International [6].
D’après les sondages de Western Balkan Security Barometer (2022) moins de 40 % des personnes interrogées au Kosovo ont confiance en la justice au niveau local. Les institutions de sécurité, dont la police, sont perçues comme les moins corrompues (selon environ 25 % des répondant·es). Environ 33 % des personnes sondées considèrent les municipalités corrompues, 45 % pensent que le gouvernement et les tribunaux sont corrompus [7].

Ancien leader de l’UCK [8], puis leader du PDK, Hashim Taçi fait l’objet de multiples accusations de corruption et de liens avec la criminalité organisée. Son nom apparaît notamment dans l’affaire de trafics d’organes de militant·es serbes suite au conflit de 1999. Il est ainsi la figure de la corruption qui gangrène le pays. Il est jugé en 2020 et 2023 par le Tribunal spécial pour le Kosovo, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Les médias, la police, le système de santé, la justice, les forces de sécurité : l’ensemble de la société est concerné par la corruption. Dans une résolution de mars 2015, le Parlement européen se dit « préoccupé par l’absence de tout progrès notable dans la lutte contre la grande corruption et la criminalité organisée, ce qui représente un obstacle important au développement démocratique, social et économique du Kosovo » [9].

En 2023, les choses ont progressé et le Parlement européen « salue les réalisations du Kosovo en matière de lutte contre la corruption et la criminalité organisée » (mise en œuvre de la stratégie et du plan d’action en matière d’état de droit 2021-2026 visant à renforcer l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la responsabilité ainsi que la capacité globale du système judiciaire et du parquet, en mettant l’accent sur la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, adoption d’une législation importante en matière de lutte contre la corruption, notamment la loi sur l’Agence pour la prévention de la corruption, la loi sur la déclaration des avoirs et des cadeaux officiels, le nouveau code de procédure pénale, la loi sur la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs et la loi sur le financement des entités politiques).

Cette criminalité organisée est intimement liée à l’histoire récente du pays. Dans les années 1990, les politiques répressives yougoslaves à l’égard des Albanais·es du Kosovo font fuir près de 350 000 personnes. Cette population en exil fait face à de nombreuses difficultés d’adaptation et va, pour certaines personnes, grossir les rangs de la criminalité organisée albanophone, qui se développe depuis les années 1980 [10]. En 1997, l’UÇK se dévoile au grand jour au Kosovo, en multipliant les attaques et attentats dans le but d’obtenir l’indépendance. Le financement de cette organisation pose question depuis plusieurs années : l’UÇK aurait largement profité de l’argent des réseaux criminels albanais qui auraient facilité le trafic d’armes. En 1997 également, année de la grave crise économique et sécuritaire en Albanie, des émeutes mènent aux pillages des dépôts d’armes qui permettent aux groupes criminels de s’enrichir en en faisant commerce au Kosovo où l’embargo règne.