Une génération de graines

, par Africa is a Country , DE AMORIM Virginie (trad.), NASIKE Claire

S’il est clair que l’insécurité alimentaire menace la vie de millions de Kényan·es, la levée de l’interdiction des OGM n’est pas la solution.

Production de thé à Kiambethu, Kenya.
Crédit : Ninara (CC BY 2.0)

Le Kenya a levé son interdiction des organismes génétiquement modifiés (OGM) en vigueur depuis 10 ans. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit les OGM comme des organismes (végétaux, animaux ou micro-organismes) dont le matériel génétique (ADN) a été modifié d’une manière qui ne se produit pas naturellement par accouplement et/ou recombinaison naturelle.

Les partisan·es des OGM saluent cette initiative comme une avancée dans la lutte contre l’insécurité alimentaire, à un moment où 4,1 millions de Kényan·es sont confronté·es à la faim. S’il est clair que l’insécurité alimentaire menace la vie de millions de Kényan·es, la levée de l’interdiction des OGM n’est pas la solution.

Depuis la production de la première culture OGM en 1983, ces cultures ont soulevé d’importantes préoccupations environnementales et sanitaires. Une déclaration conjointe publiée dans une revue scientifique en 2015 par plus de 300 scientifiques et chercheur·ses indépendant·es indique que la rareté et la nature contradictoire des preuves scientifiques publiées à ce jour rendent impossible la production de résultats probants sur la sécurité ou le manque de sécurité des OGM. Ces scientifiques affirment en outre que l’évaluation rigoureuse des OGM a été entravée par un manque de financement indépendant de tout intérêt économique. Faisant écho aux sentiments de ces scientifiques, une autre étude scientifique montre que la majorité des études concluant que les OGM sont sûrs et nutritifs sont produites par des partenaires des sociétés de biotechnologie produisant des aliments et des semences génétiquement modifiés.

À ce jour, il n’existe aucune étude épidémiologique sur les potentiels effets de la consommation d’aliments génétiquement modifiés sur la santé humaine, malgré les affirmations des partisan·es des OGM selon lesquelles des repas génétiquement modifiés ont été consommés dans des pays tels que les États-Unis sans aucun impact sur la santé. Il n’y a pas non plus de consensus scientifique sur les risques environnementaux associés à la culture de plantes génétiquement modifiées.

Conformément au protocole de Carthagène des Nations unies, l’Autorité nationale de biosécurité (ANB) est l’organisme public kenyan chargé de garantir la sécurité de la santé humaine et animale et d’assurer une protection environnementale adéquate contre les effets nocifs des OGM. Le protocole de Carthagène exige une évaluation minutieuse au cas par cas de chaque OGM par l’autorité nationale afin de déterminer si la culture ou l’aliment OGM répond aux critères de sécurité nationaux, et s’il garantit que les préoccupations et les risques pour la santé environnementale sont résolus avant son introduction dans le pays. On ignore si l’ANB a mené des recherches indépendantes à cet égard avant la levée de l’interdiction au Kenya.

Au-delà de la sécurité, les OGM aggravent l’insécurité alimentaire et menacent la souveraineté alimentaire et semencière, en maintenant les agriculteur·rices dans des cycles d’endettement qui réduisent leur capacité à produire plus de nourriture pour la consommation. Plus de 80 % de la nourriture consommée au Kenya est produite par de petit·es exploitant·es agricoles. La levée de l’interdiction des OGM exposera les agriculteur·rices aux prix exorbitants des semences génétiquement modifiées et ils risquent d’être pris dans des cycles d’endettement alors qu’ils tentent de payer les semences acquises par emprunts.

Les agriculteur·es burkinabé·es ont abandonné la culture du coton Bt qui avait été introduite par Monsanto (devenue Bayer), invoquant les prix plus élevés de la graine de coton Bt et sa mauvaise qualité par rapport à leur graine de coton local. L’adoption du coton Bt a fait perdre aux agriculteur·rices de ce pays leur niche sur le marché international du coton. Pourtant, le même coton Bt (MON 15985) qui a échoué au Burkina Faso a été introduit au Kenya à la suite d’essais de performance nationaux entrepris par l’Inspection phytosanitaire du Kenya (KEPHIS) avec l’approbation de l’ANB. On est alors en droit de se demander si le gouvernement kenyan essaie d’asservir son peuple aux sociétés de biotechnologie.

En novembre 2021, les producteur·rices de coton de Busia ont demandé au gouvernement kenyan de subventionner le prix de la graine de coton Bt vendue au détail à 2 200 shillings kényans le kilo. En mars 2022, les producteur·rices de coton du Kenya ont soulevé un tollé en raison de l’indisponibilité des semences de coton Bt, que le directeur général de l’ANB a attribué aux défis de multiplication rencontrés par l’unique entreprise en charge de cette activité - les principales entreprises productrices de cultures génétiquement modifiées, telles que Mahyco, dans laquelle Monsanto détient une participation de 26 %, contrôlent la production et la multiplication de ces cultures.

Le maïs est la principale culture de base du Kenya et les agriculteur·rices sont actuellement incité·es à cultiver le maïs Bt, en raison de sa résistance aux parasites. Toutefois, étant donné que les agriculteur·rices ne contrôleront pas l’offre et la multiplication des semences de maïs Bt, ils risquent de faire face à la même pénurie de semences que celle que connaissent les producteur·rices de coton Bt lorsque les fournisseurs de ces semences se retireront du marché.

Des entreprises telles que Monsanto (devenue Bayer) figurent parmi les plus grandes sociétés semencières du monde et sont connues pour promouvoir, à l’échelle mondiale, les innovations en matière d’OGM sur des cultures clés telles que l’aubergine, le maïs et les pommes de terre afin de maximiser leurs profits. Permettre à ces entreprises de dominer le marché de la production et de l’importation de cultures clés comme le maïs risque d’affecter les moyens de subsistance des agriculteur·rices du Kenya, qui produisent environ 40 à 45 millions de sacs de maïs chaque année. Ces agriculteur·rices seront certainement en concurrence avec les importations de maïs transgénique bon marché en provenance des États-Unis, qui ont fait pression pour étendre leurs exportations de cultures transgéniques au marché kenyan.

Les importations kenyanes d’aliments et de cultures vivrières génétiquement modifiés affecteront également nos voisins d’Afrique de l’Est comme la Tanzanie et l’Ouganda, qui exportent leurs excédents de production vers le Kenya. Avec la perte du marché vient la perte de l’intérêt pour l’agriculture et l’abandon de la terre, ce qui peut à son tour conduire à l’exode rural des populations à la recherche de moyens de subsistance alternatifs. Cela laisse la porte grande ouverte aux multinationales qui rachètent des terres abandonnées pour cultiver des cultures commerciales à l’exportation.

La levée de l’interdiction des OGM exposera également les agriculteur·rices à des lois draconiennes sur la propriété intellectuelle liée aux brevets détenus par les multinationales des OGM. Les semences génétiquement modifiées sont brevetées, ce qui peut entraîner des conflits de propriété intellectuelle entre les agriculteur·rices dont des semences génétiquement modifiées ont poussé à leur insu. Ces agriculteur·rices seront probablement obligé·es de payer des redevances pour les cultures transgéniques qui contaminent leurs exploitations par pollinisation ou par croisement. Aux États-Unis, Monsanto (devenue Bayer) a poursuivi en justice des centaines d’agriculteur·rices pour protéger ses droits de brevet sur les semences génétiquement modifiées. Au Brésil, Monsanto a gagné 7,7 milliards de dollars après qu’un tribunal ait jugé que les agriculteur·rices ne pouvaient pas garder et replanter le soja breveté Roundup Ready de Monsanto. En Inde, PepsiCo, le fabricant des chips Lays, a porté plainte contre quatre agriculteur·rices pour avoir cultivé illégalement ses pommes de terre. La plainte a été retirée.

Parmi les préoccupations environnementales liées à la levée de l’interdiction des OGM figurent la perte de notre biodiversité agricole et l’atteinte à l’équilibre écologique de notre pays. Les cultures transgéniques sont susceptibles de contaminer les cultures non transgéniques par pollinisation. Cela pourrait conduire à la perte de variétés locales, comme le millet, le sorgho et la plante araignée (sagaa) qui sont cultivées dans de nombreuses parties du pays.

Alors que la loi sur la biosécurité de 2009 prévoit des mesures d’évaluation des risques afin de protéger la santé humaine et l’environnement contre les possibles effets néfastes des OGM, dans le cas du coton Bt, la NBA a stipulé qu’une fois qu’il serait commercialisé, la NBA et les agences gouvernementales le surveillerait pendant 20 ans « pour évaluer s’il y a des effets indésirables post-dissémination ». N’est-ce pas trop long d’attendre tant de temps pour examiner les effets possibles sur la santé humaine et l’environnement ? L’évaluation des risques n’aurait-elle pas dû être effectuée avant l’introduction d’OGM dans le pays à des fins de culture et de commercialisation ? Il n’existe pas non plus de mécanismes clairs de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant des mouvements transfrontières des organismes vivants génétiquement modifiés. Qu’adviendra-t-il des agriculteur·rices qui pourraient être pris·es dans des poursuites judiciaires concernant les droits de brevet ? Existe-t-il une législation claire concernant leur protection ?

Que le gouvernement kenayn promeuve les semences génétiquement modifiées comme solution à l’insécurité alimentaire revient à dire qu’il aurait un problème de semences, ce qui est faux. Pour toutes les cultures cultivées au Kenya, plus de 78 % des semences utilisées proviennent de sources informelles contrôlées par les petits exploitant·es. Et ce, malgré une loi qui interdit aux agriculteur·rices de partager, d’échanger et de vendre des semences locales. La levée de l’interdiction des OGM au Kenya est donc peu judicieuse. La souveraineté et la sécurité alimentaires résident dans le fait que les agriculteur·rices contrôlent et cultivent leurs propres semences et qu’ils et elles ont accès à des installations de stockage spécifiques et à des infrastructures appropriées.

L’accès à l’eau est un facteur clé pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Les cours d’eau douce du Kenya sont déjà asphyxiés par les produits chimiques. Un reportage diffusé par le Nation Media Group a montré que le lac Victoria, le plus grand lac d’eau douce du Kenya, est pollué par des pesticides et des engrais. Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas donner la priorité à la protection de ces ressources contre la pollution afin que les agriculteur·rices kényan·es puissent avoir accès à de l’eau potable pour la production alimentaire ? Ou fournir de l’eau aux communautés agricoles pour faciliter la production alimentaire ?

En outre, l’accès à des services d’assistance agricole qui fournissent des informations agroécologiques est essentiel à des pratiques agricoles durables. L’accès à ces informations permet aux agriculteur·rices de produire de la nourriture tout en conservant les ressources naturelles, telles que le sol et l’eau. De telles pratiques minimisent également l’utilisation de produits agrochimiques nocifs et la dégradation de la terre, y compris l’acidification généralisée des sols due à l’utilisation excessive d’engrais chimiques. Plus important encore, ils aident les agriculteur·rices à sauver et partager les semences locales, ce qui est un aspect clé de la souveraineté alimentaire.
La levée de l’interdiction des OGM entraînera un endettement et une pauvreté accrus des agriculteur·rices, ce qui limitera leur capacité à produire plus de denrées alimentaires et accroîtra notre dépendance à l’égard d’aliments transformés importés, pauvres en nutriments. Il s’agit là de saper notre souveraineté alimentaire et semencière et de déléguer le contrôle des systèmes alimentaires à des sociétés multinationales dont les motifs sont motivés par le profit.
Une graine est la bouée de sauvetage d’une génération. Ceux qui contrôlent les semences contrôlent toute la génération.

Voir l’article original en anglais sur le site d’Africa is a country

Commentaires

Claire Nasike est militante de la cause alimentaire pour Greenpeace Afrique.
Cet article, initialement paru en anglais en novembre 2022 sur le site de Africa is a country (CC BY 4.0), a été traduit vers le français par Virginie de Amorim, traductrice bénévole pour ritimo.