Arpenter la rue pour se réapproprier notre histoire : la balade décoloniale
L’association Contrevent, qui a proposé de nombreuses balades décoloniales à Grenoble, explique :
« la nomination des rues d’une ville ne se fait pas au hasard : elle est le fruit de décisions politiques. Elle conforte un regard particulier sur l’Histoire. Se construit alors un imaginaire urbain qui s’inscrit dans le grand roman national. »
Elle a proposé en juin 2018 une balade décoloniale sur « la mémoire des luttes des immigré·es à Grenoble » : « Les luttes du mouvement ouvrier sont souvent minorées, gommées de la grande Histoire. Elles le sont d’autant plus lorsqu’il s’agit de travailleurs issus de l’immigration post-coloniale (ici, maghrébine). Des bénévoles de Contrevent nous ont relaté une histoire grenobloise rarement évoquée : celle de ces travailleurs immigrés discriminés, relégués aux postes de travail les plus rudes et dangereux, expulsés du territoire, logés dans des conditions indignes ; celle de leur combats pour leurs droits » [1].

Public cible
La balade urbaine est un outil pédagogique qui peut être proposé dès le collège et à un public adulte, à condition de disposer du temps nécessaire. Elle est généralement organisée en deux temps : 1h de balade puis un temps de debriefing (au moins 1h).
Objectifs visés
- Permettre la découverte de la ville, du quartier sous un autre angle, « en identifiant les non-dits de l’histoire officielle »
- Faciliter l’expression et la mise en commun des mémoires
- Encourager le développement d’un nouveau récit collectif
- Valoriser des expériences et histoires individuelles ou collectives largement ignorées
- « Montrer que les conséquences de cette histoire non-dite restent un frein à l’égalité réelle actuelle [2]. »
Supports utilisés
Les participant·es peuvent disposer d’une carte du parcours marquée des étapes à discuter collectivement.
La balade peut également être « interactive » avec diffusion d’extraits musicaux ou de films pour illustrer chacune des étapes et le propos de l’animateur·rice.
Pour construire son parcours, l’animateur·rice pourra s’aider du guide du Paris colonial et des banlieues ou du tout récent guide du Bordeaux colonial, tous les deux publiés aux éditions Syllepses.

Organisation de l’expérience
Étape 1 : Construire son parcours
Pour construire sa balade décoloniale, il est important de bien la circonscrire pour ne pas se perdre.
- En précisant son thème : espace public et violences racistes, luttes intersectionnelles, esclavage et histoire de la ville...
- Et en limitant le territoire qu’elle va couvrir : le parcours doit pouvoir se faire à pied, et chaque étape doit pouvoir accueillir le groupe (ne pas oublier de prendre en compte dans l’identification des arrêts et du parcours, son accessibilité aux personnes à mobilité réduite).
Étape 2 : Faire émerger les mémoires et récits
Si le choix des étapes a été construit en amont, chaque étape doit être l’occasion de questionner :
- le récit dominant (ce que l’on sait de cette personne, de cet événement, la manière dont elle/il nous est présenté·e, sa place dans l’histoire enseignée, dans les médias...)
- les éléments manquants de ce récit (par exemple, la violence, le racisme, etc. de cette personne, cet événement...)
- les mémoires et souvenirs des personnes participant à la balade : la balade décoloniale doit permettre de donner à voir/entendre « la petite histoire », le vécu de celles et ceux qui ne figurent pas (ou peu) dans les livres d’histoire et de leur redonner une légitimité. Il est possible de s’aider d’extraits d’ouvrages, de films, ... pour aider à faire émerger la parole, souvent timide, des participant·es et premier·es concerné·es.
Étape 3 : Construire un récit alternatif
Pour faciliter la construction de ce récit alternatif, il est important que l’animateur·rice puisse être accompagné·e d’une personne chargée de récolter ce qui aura été dit à chacune des étapes. Cela peut se faire par la prise de notes, l’enregistrement audio ou vidéo (avec l’accord des personnes présentes).
Dans un second temps il est important de pouvoir proposer, en se basant sur les récits des participant·es, la mise en visibilité de notre mémoire décolonisée. Cela peut se faire immédiatement, à chaque étape, en organisant des actions de collage (pour changer les noms de rue, marquer les lieux de violence...). Ou bien dans un second temps en proposant la construction collective d’une nouvelle cartographie (en ligne) de la ville, du quartier.
Conclusion
La balade se termine par un tour du ressenti de chacun·e. Si la recherche d’alternatives a déjà été abordée pendant la balade, rien n’empêche le groupe d’imaginer les prochaines actions ou balades à construire.
Il est évidemment beaucoup plus difficile d’imaginer une balade décoloniale dans le cadre scolaire. Il reste possible de travailler avec les élèves sur le nom de l’établissement, des rues adjacentes ou bien sur la cartographie des espaces scolaires (cour de l’école, cantine...) et leur vécu par chacun·e.