Femmes autochtones disparues et assassinées au Canada

Un post-colonialisme et une discrimination systémique qui perdurent

, par CEDIDELP , GERGAUD Sophie

Peuples invisibles, les autochtones sont les grands oubliés de la société canadienne. Les programmes scolaires officiels se contentent de leur consacrer quelques lignes dans les livres d’Histoire abordant la colonisation, occultant la vitalité et la diversité de leurs cultures contemporaines. Au sein des communautés autochtones, les services les plus élémentaires font cruellement défaut (logements insalubres, pénurie d’eau potable...) tandis que leurs systèmes traditionnels de gouvernance, d’éducation ou de soins, loin d’être valorisés, sont ignorés. La faible disponibilité des infrastructures sur leurs territoires a un impact direct sur le nombre impressionnant de victimes, notamment en Colombie-Britannique où, les transports publics étant rares – voire quasi-inexistants –, l’autostop est bien souvent le seul moyen de déplacement pour les autochtones qui n’ont pas les moyens de posséder une voiture... et qui se mettent ainsi en danger. En effet, pour la plupart, les victimes autochtones recensées dans cette province ont été tuées ou ont disparu alors qu’elles faisaient du stop le long des autoroutes. Les quelque 764 km qui séparent Prince Rupert et Prince George ont ainsi été tristement rebaptisés « l’autoroute des larmes » et, à l’heure actuelle, la plupart des crimes qui y ont été commis à l’encontre de femmes autochtones demeurent impunis.

Pour la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le fait que 49% de ces victimes aient été tuées par des inconnus – taux largement plus élevé que pour le reste de la population canadienne où il n’est que de 23% – montre que les femmes autochtones risquent davantage d’être les proies de prédateurs sexuels, de serial killers et autres criminels [1]. Selon l’avocate et activiste mik’maq Pamela Palmater [2], ce chiffre vient contredire l’idée reçue selon laquelle la violence conjugale serait inhérente aux familles autochtones. Stéréotype doublement infondé puisqu’il sous-entendrait que les autochtones ne se marient qu’entre eux, masquant par là-même le fait que les unions mixtes ont toujours été légion. En revanche, pour les familles de victimes, tout comme pour de nombreuses associations, le fait que les femmes autochtones soient davantage prises pour cible par des inconnus est directement lié à la vision de la femme héritée de l’époque coloniale : la femme autochtone est considérée comme un bien à posséder, qu’il faut soumettre, dominer et maîtriser. Symboliquement, elle représente également la culture autochtone tout entière qu’il convient d’éliminer pour devenir le maître incontesté d’un territoire nouvellement colonisé.

Un panneau de sensibilisation aux dangers de l’auto-stop sur l’autoroute des larmes (Highway of Tears), en Colombie-Britannique ©Izithombe

La récurrence des témoignages faisant état de la persistance, dans la société canadienne, du double stéréotype de la femme autochtone à la fois sauvage et super-sexy est particulièrement frappante à la lecture des différents rapports qui ont été publiés sur le sujet des femmes disparues ou assassinées. Imprégnant la culture populaire, ces représentations réductrices et discriminantes viennent nourrir les idées reçues, entendues à de nombreuses reprises par les enquêteurs, selon lesquelles les femmes autochtones seraient des filles de peu de morale, adoptant un comportement volontairement à risque du fait d’un mode de vie condamnable (pauvreté, prostitution, toxicomanie). Au lieu d’être perçues comme des victimes, les femmes sont considérées comme doublement coupables : d’une part elles auraient bien cherché les violences subies, d’autre part elles ne mériteraient pas que les forces de l’ordre soient mobilisées pour les rechercher. Pire, certains policiers estiment que loin de devoir être protégées, les femmes autochtones représentent au contraire une menace dont le reste de la population devrait au contraire se protéger [3].

D’une manière générale, les comportements des forces de police ne motivent pas les familles à porter plainte. Et celles qui le font déplorent souvent le manque d’information et de coopération de la part des autorités, ainsi qu’un manque d’intérêt certain pour mener une enquête qui est par avance jugée inutile. Les familles et proches des disparues finissent alors par faire leurs propres recherches. L’association des femmes autochtones du Canada estime que 53% des cas d’homicides à l’encontre des femmes et filles autochtones ont abouti à des condamnations, contre 84% des cas pour les non-autochtones... une différence considérable, renforçant l’hypothèse d’une discrimination institutionnalisée, d’autant que 40% des meurtres de femmes autochtones n’ont toujours pas été résolus [4].

Cette discrimination institutionnalisée mène à une perte de confiance dans le système judiciaire. D’autant que celles qui osent porter plainte sont parfois, en plus d’être méprisées, victimes de violences supplémentaires qui peuvent aller jusqu’à l’agression sexuelle, comme le souligne Human Rights Watch dans son rapport de 2013. « Il en découle un climat de méfiance et d’insécurité qui est accentué par un manque de contrôle des forces de police et la défaillance des systèmes de gestion des plaintes » [5].