Le Kosovo, un État sans État

Un conflit de légitimité historique qui pèse toujours sur les relations diplomatiques

Les thèses serbe et albanaise de l’identité de la région du Kosovo

, par Forum Réfugiés

La question du Kosovo « relève de ces problèmes aussi insolubles que l’énoncé en est simple, c’est-à-dire une terre pour deux peuples - Serbes et Albanais - au nationalisme aussi exacerbé l’un que l’autre » (Le Monde, 16 février 1990).

La région du Kosovo a une place géographique centrale dans les Balkans, ce qui fait d’elle une région disputée pour des raisons purement stratégiques. Les contentieux frontaliers et territoriaux qui opposent aujourd’hui Serbes et Albanais·es sont argumentés de part et d’autre par des considérations historiques.

Photo : Franco Pecchio, le 19 août 2014

Sans considération de territoires et de citoyenneté, la population albanaise compte entre 7 et 11,6 millions de personnes réparties dans plusieurs pays des Balkans. Leur revendication territoriale sur le Kosovo se fonde sur la thèse selon laquelle iels seraient les descendant·es des Illyrien·nes, peuple protohistorique apparu dans les Balkans au XXe siècle avant J.C. et qui s’est installé vers 1300 avant J.C. sur les côtes de l’Adriatique. Les Illyrien·nes étaient divisé·es entre plusieurs royaumes avant la conquête romaine, sur des territoires regroupant l’actuel Albanie et le Kosovo, ainsi que des territoires en Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine et Montenegro. Les Albanais·es se considèrent donc comme un peuple autochtone de la région et revendiquent à ce titre les territoires autrefois occupés par leurs ancêtres.

Les thèses serbes remettent en cause la descendance supposée entre Illyrien·nes et Albanais·es, estimant que le Kosovo est peuplé de Serbes depuis au moins le VIIe siècle et que sa population y était homogène : des Serbes et seuls des Serbes y vivaient. Selon les mythes remis au goût du jour au cours des années 1990 par Milosevic [1], le Kosovo est, de plus, le berceau historique et culturel de la religion chrétienne orthodoxe et le lieu de la défaite historique des Serbes contre l’Empire ottoman. La bataille de Kosovo Polje (le « Champ des Merles ») de 1389 opposant les troupes serbes aux troupes ottomanes est un autre élément venant appuyer la thèse serbe. Face à l’Empire ottoman qui envahissait les Balkans, les Serbes auraient résisté, jusqu’à cette défaite. Mais le Kosovo serait resté serbe plusieurs siècles pendant l’occupation ottomane, malgré la répression et les discriminations à l’encontre des non-musulman·es. Les Albanais·es, majoritairement converti·es au fil des siècles, se seraient installé·es au Kosovo progressivement à partir du XVIIIe siècle et auraient « poussé » les Serbes à la migration. Selon ces thèses, le peuple albanais serait tout autant oppresseur que l’Empire ottoman.

Ce conflit de légitimité historique alimente toujours les tensions diplomatiques et a impacté l’ensemble de la région tout au long du XXe siècle (voir la chronologie ). Aujourd’hui, la Serbie revendique toujours le Kosovo, une revendication qui pèse sur les relations diplomatiques au niveau européen et sur la reconnaissance de l’indépendance du jeune État kosovar.

Le Kosovo a déclaré son indépendance le 17 février 2008, après neuf années passées sous mandat international. Depuis, 110 pays l’ont reconnu, mais l’Espagne, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie s’y opposent toujours, certains pays par crainte que la déclaration d’indépendance d’une province ne fasse jurisprudence.

Ce statut-quo maintient tout le monde dans ses propres illusions : le Kosovo « nourrit l’illusion qu’il est un pays indépendant », l’UE et l’OTAN pensent pouvoir accomplir leurs objectifs de structuration de l’administration et de l’État sans le considérer comme un État indépendant, tandis que la Serbie nourrit l’illusion que la faillite de l’État kosovar remettra en cause son statut et sera à terme de nouveau une province serbe.