Un accord conclu, des enjeux perdus

L’accord de Cancun fait porter le fardeau aux pays en développement non développés

, par NARAIN Sunita

Dans le dernier éditorial, nous avons évoqué le jeu clandestin en cours à Cancun visant à modifier le cadre des négociations sur le changement climatique afin de plaire aux grands et puissants pollueurs.

Depuis, Cancun s’est achevé et la Présidence de la Conférence a dévoilé un accord qui se présente sous la forme d’une avalanche de mesures. En Occident, les commentateurs et militants environnementaux sont extatiques. Même les critiques considèrent que le pragmatisme a fonctionné et que le monde a avancé d’un pas en avant dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, qui déterminent sa croissance.

Analysons les résultats de la Conférence de Cancun afin d’évaluer dans quelle mesure il s’agit effectivement d’un pas en avant. Il est communément accepté que pour maintenir le monde en –deçà d’une augmentation de la température de 2°C, déjà jugée dangereuse, les émissions mondiales doivent baisser d’ici 2020 de 44 milliards de tonnes d’équivalent CO2 (mélange d’effets de serre mesurés en CO2e), contre les 48 milliards de tonnes de CO2e émises actuellement. En d’autres termes, le monde manque d’ores et déjà d’espace atmosphérique et doit réduire ses émissions rapidement et de manière drastique.

C’est pourquoi à la Conférence sur le climat de Bali en 2007 l’objectif mis sur la table était que les pays industrialisés réduisent leurs émissions de 20 à 40% d’ici 2020 par rapport à leurs niveaux de 1990. Le chiffre exact devait être finalisé aux rencontres suivantes. Donc que fait Cancun ? Elle débite des platitudes selon lesquelles les pays industrialisés augmenteront leurs efforts de réduction mais ne spécifie aucun objectif.

Au contraire, la Conférence sanctionne un accord selon lequel les engagements de réduction des émissions des pays industrialisés seront décidés en fonction de la promesse volontaire qu’ils font. Ils nous diront de combien ils peuvent réduire et d’ici quand. Les États-Unis, qui ont largement contribué à la conclusion d’un accord à Cancun, en sont les grands gagnants. Si son objectif de réduction des émissions était basé sur sa contribution historique et actuelle, ce pays devrait afficher une diminution de 40% d’ici 2020, par rapport aux niveaux de 1990. Il promet désormais de les diminuer de quelques centièmes de pourcentage dans cette même période. L’accord de Cancun ne fait donc que légitimer son droit à polluer.

Ce n’est pas tout. Selon l’accord de Cancun, tous les pays, y compris l’Inde et la Chine, s’engagent maintenant à réduire leurs émissions. La promesse de l’Inde de réduire son intensité énergétique de 20 à 25% d’ici 2020 fait partie du contrat global. Après tout, tous les pays doivent participer à la résolution du problème. Il est aussi dans notre plus grand intérêt d’éviter la pollution liée à la croissance.

Mais personne ne peut certainement admettre que le fardeau de la transition soit transmis au monde en développement. C’est pourtant ce qui s’est passé à Cancun. Si l’on compare la somme des « promesses » faites par les pays industrialisés à celle des engagements faits par les pays en développement, Chine et Inde incluses, un fait curieux apparaît. Alors que le montant total des réductions promises par les pays riches se situe entre 0,8 et 1,8 milliards de tonnes de CO2e, les pays pauvres en développement ont accepté de diminuer de 2,3 milliards de tonnes de CO2e d’ici 2020. En d’autres termes, la réduction d’émissions promise par le monde industrialisé est pathétique. Et le principe l’équité dans le partage de l’effort a été totalement supprimé.

Soyons clairs, Cancun ne prétend pas que l’équité mondiale est un principe à jeter dans la poubelle du monde. Toutes les ébauches précédentes de cet accord affirmaient que les pays en développement devaient avoir un accès équitable au budget carbone global. Mais cela a été totalement dilué dans l’accord de Cancun. Il affirme de manière floue et insignifiante qu’il y aura « un accès équitable au développement durable ». Nous avons renoncé à notre exigence de partage de l’espace atmosphérique global sur la base de notre droit au développement.

Cela n’est pas le pire. Disons pour le moment que l’Inde accepte de payer le prix au nom du bien commun. Mais les promesses n’apporteront pratiquement rien en termes d’évitement du pire dans le changement climatique. Avec la mise en œuvre de l’accord de Cancun, le monde se dirige vers une augmentation de la température de 3 à 4°C. Et nous sommes les plus vulnérables. Déjà, alors que les températures mondiales moyennes n’ont augmenté que de 0,8°C, nos moussons montrent des signes d’extrême variabilité entraînant inondations et sécheresses. Comment un accord sur le changement climatique faible et inefficace peut-il dans ce cas être bon pour nous ?

Mais les maîtres du jeu veulent nous le faire croire. Les médias occidentaux considèrent Cancun comme l’avancée tant attendue et nécessaire. Cela, parce que Cancun protège les intérêts des riches pollueurs. C’est leur prix.

Qu’a eu le monde en développement en retour ? Il n’y a aucun engagement pour réduire les émissions afin d’éviter le changement climatique. Aucune promesse de financement non plus. L’accord prévoit la création d’un fonds vert et réitère la décision de donner 30 milliards de dollars de financements rapides d’ici 2012 et 200 milliards d’ici 2020. Mais c’est de l’argent fictif pour cajoler et acheter. Le fait est que le monde riche affirme ouvertement qu’il ne peut pas payer en raison de la récession. Il souhaite désormais que le monde en développement cherche ce type de financements dans le secteur privé. L’accord technologique est encore plus faible. Il prévoit seulement la création d’un centre technologique. La question délicate de l’accès préférentiel aux droits de propriété intellectuelle sur les technologiques faibles en carbone a été omise.

Il s’avère donc que nous détestons être haïs dans le monde des riches. Cancun a illustré notre besoin de conclure des accords en leur nom, y compris au prix de la Terre.

Source : Down To Earth, Jan 15, 2011

Deal won, stakes lost