Un New Deal écologique ou une « mondialisation allégée » ?

Par Ariel Salleh

, par Rio+20 Portal

Ce texte a initialement été publié en anglais sur Rio+20 Portal, et il a été traduit par Justine Visconti, stagiaire pour rinoceros.

Le nouveau Keynésianisme écologique est toujours basé sur des idées productivistes

En réponse à la crise climatique globale ainsi qu’à la dégradation des institutions financières, les New Deal écologiques sont au cœur de discussions locales, nationales, régionales et internationales. Mais le terme « deal » (en français accord ou initiative) fausse l’idée de nouveauté qui l’accompagne (« new »), car il s’agit surtout de compromis destinés à maintenir la sphère politique étriquée du « business-as-usual ». Le New Deal Ecologique Transatlantique, le New Deal Ecologique Mondial, tout comme leurs versions britannique et australienne, ressemblent davantage à un contrat social hobbesien exalté, rédigé après avoir pris conscience que la vie sous le capitalisme global est plus « cruelle, brutale et brève » qu’elle ne l’a jamais été auparavant. Les grandes lignes de ce contrat sont sur la table, mais une seule voix est représentée dans le texte.

Les différences sociales ne sont mentionnées qu’en tant que statistiques de l’emploi. Quant aux exploitations systématiques de la race et du genre qui sous-tendent l’économie mondiale, elles ne sont pas évoquées. Le Sud néo-colonial, le Nord dominant et le caractère matériel de toute chose au sens large, restent des concepts qui régissent la rhétorique du New Deal écologique. Rosa Luxemburg avait vu dans la périphérie géographique du capitalisme, aujourd’hui appelé le « Sud global », une indispensable source de main d’œuvre et de nouveaux marchés pour le processus d’accumulation. Par la suite, les féministes du Nord ont identifié une « périphérie nationale » du capital dans le temps librement donné aux femmes pour le travail ménager. À l’image de l’exploitation des peuples colonisés et des femmes qui va de soi dans la production capitaliste, celle des écosystèmes éternellement productifs l’est également. Cette idée se retrouve dans des concepts tels que l’empreinte et la dette écologiques. Chacune de ces trois formes de vie est colonisée en silence par l’économie productiviste.

La première caractéristique d’un New Deal écologique devrait être d’aider les populations à comprendre comment le système global dominant repose sur cet abus. Comment les injustices quotidiennes sont rationalisées par la pensée démodée selon laquelle une opposition ou une ligne séparatrice profonde divise l’humanité et la nature. La séparation artificielle de l’économie et de l’écologie est l’un des résultats de cette contradiction culturelle. Mais prendre conscience de cette idéologie et admettre qu’elle est, à l’origine, à la fois eurocentriste et sexuée, est un premier pas vers un rejet ferme d’institutions et de politiques douteuses. Cependant, jusqu’à présent, les divers programmes du New Deal écologique ne contiennent que peu d’analyse socio-culturelle ou réflexion politique. Comme la crise financière, la crise écologique tend à être considérée, à la manière de Keynes, comme un échec du gouvernement à gérer les marchés. Le Deal rétablit une stratégie de modernisation écologique trop optimiste datant des années 1990 qui appelait à la création d’une sorte d’État providence vert, basé sur des innovations technologiques fructueuses. Pour résumer, cette approche est dirigée à sauver le capitalisme, sans aucun engagement plus fort sur sa véritable ligne de fond : « des personnes en bonne santé dans un système qui fonctionne correctement ».

Le New Deal Ecologique Transatlantique

Le New Deal Ecologique Transatlantique, mis au point par l’Institut Worldwatch pour la Fondation Heinrich Böll en 2009, expose les dimensions de la crise climatique comme suit. Il reconnaît que dans les économies industrielles, les principaux secteurs émetteurs de CO2 sont la construction, qui représente 35 % des émissions totales, puis la production d’acier avec 27 %, les transports avec 23 % et la production de ciment ainsi que de papier juste derrière. Une tonne d’acier produit équivaudra à la valeur type de deux tonnes de Co2 émises. Au même moment, Worldwatch cite une Agence Internationale de l’Énergie (AIE), en faveur du nucléaire, qui estime que la sortie du pétrole coûtera 45 billions de dollars (environ 34 billions d’euros).

Selon ce projet intercontinental, les États-unis et l’Union Européenne, en tant que leaders du commerce mondial, consomment à eux deux environ un tiers des ressources globales en énergie et sont à l’origine d’environ la même quantité des émissions de gaz à effets de serre. Ce chiffre contraste grandement avec les estimations pour l’ensemble du Sud, qui déclare n’être à l’origine que d’un pour cent des émissions globales alors qu’il recense 60 % de la population mondiale. Worldwatch déclare que ce Deal est en faveur d’une « transformation écologique fondamentale » et met en garde contre « la remise en marche du moteur de la consommation », mais il utilise également le double discours du « nouveau paradigme de progrès économique durable ». Par exemple : des marchés du carbone correctement élaborés peuvent se révéler être des instruments efficaces pour atteindre un but sociétal tout en surveillant l’organisation et l’efficacité de tous les autres marchés. Mais ces derniers ne sont pas des solutions miracles pour la protection des écosystèmes, qu’il s’agisse de la conservation de l’atmosphère, des cours d’eau ou des espèces ; la logique économique des marchés peut ne pas correspondre aux besoins scientifiques des écosystèmes (accent ajouté sur ce point). Malheureusement, la clarté de cette dernière phrase ne caractérise pas le projet transatlantique dans son ensemble. Si « la logique économique des marchés peut ne pas correspondre aux besoins scientifiques des écosystèmes », de la même manière, la logique d’ingénierie dérivée des mathématiques « peut ne pas y correspondre également ». Sous l’influence de l’opposition entre l’humanité et la nature, la séparation des disciplines abstraites entre économie ou ingénierie signifie qu’il est très difficile d’arriver à mesurer les processus naturels de la même façon.

Néanmoins, cette faiblesse méthodologique ne limite pas la dépendance à l’efficacité technologique du New Deal Écologique Transatlantique, enthousiasmé comme il l’est par sa rhétorique scientifique ainsi que par son orgueil démesuré quant à sa gestion. Prenons, par exemple, le fait que « les coûts annuels de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre des niveaux raisonnables représenteraient environ un pourcent du PIB global ». Sur quelle base empirique s’appuie ce calcul ? Il est toujours difficile de se procurer des données fiables sur les émissions de gaz à effets de serre dans les domaines de l’aviation et de l’agro-industrie, car les estimations du volume global de ces émissions reposent surtout sur des hypothèses et leur conversion en dollars est aussi arbitraire que le calcul du PIB lui-même.

Worldwatch recommande de façonner une éducation pour les scientifiques, les ingénieurs et les techniciens, de promouvoir le bien-être au travers d’emplois verts, de faire un pas en avant vers des méthodes de production plus saines, de développer les énergies renouvelables, d’améliorer la collecte des eaux usées ainsi que les réseaux de canalisations et l’efficacité des réfrigérants, d’augmenter la disponibilité de voitures électriques, de voies ferroviaires rapides et de pistes cyclables, de préférer le recyclage ainsi que la location des biens ménagers à l’achat. De l’énergie peut être économisée grâce à la dématérialisation, à travers la bande passante et la téléconférence, mais en même temps, selon ce projet, les ordinateurs, outils de tout apprentissage contemporain, sont reconnus comme « de grands consommateurs d’énergie » qui sont très toxiques lors de leur destruction. Les auteurs recommandent d’encourager les marchés du carbone et les banques de l’eau, mais notent qu’il n’existe pas de vœu politique au sein des gouvernements afin de financer directement les programmes de protection des écosystèmes. Le New Deal Écologique Transatlantique se réfère à l’observation faite par l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire selon laquelle 60 % des services écosystémiques ont été détruits depuis la Seconde Guerre Mondiale, mais sa propre rationalité instrumentale, tout aussi coupable, apparaît dans l’affirmation selon laquelle les « éco-systèmes sont des "infrastructures naturelles" ». En réalité, cette affirmation du new deal écologique est hautement teintée de déni psychologique. Il n’existe pas le moindre soupçon d’incompatibilité fondamentale entre l’accumulation capitaliste et l’intégrité des écosystèmes.

Si la conceptualisation écologique de ce New Deal est faible, son cadre sociologique l’est également. Le nouveau contrat social est sur la table, mais ses termes sont clairement limités aux perspectives des entrepreneurs, des travailleurs et des consommateurs du Nord global. Ainsi, quelques états des États-Unis expérimentent des utilisations des revenus des taxes environnementales, mais comme le signalent les auteurs, il est important que les gouvernements ne créent pas d’exonération ou ne subventionnent de mauvaises pratiques : davantage peut être fait pour corriger les systèmes de taxes actuels, qui tendent à baisser le prix de l’utilisation des ressources naturelles et à augmenter celui du travail. Utiliser les revenus de ces éco-taxes afin d’alléger le fardeau de celles sur l’emploi (en finançant des programmes de santé nationaux ou de sécurité sociale grâce aux éco-taxes plutôt qu’aux taxes sur l’emploi) aiderait à baisser les coûts indirects de l’emploi et encouragerait la création de postes sans toucher aux intérêts des travailleurs.