Tunisie : que reste-t-il de la révolution aujourd’hui ?

Introduction

, par CDTM 34

Le 25 juillet 2021, jour anniversaire de la République de Tunisie, Kaïs Saïed, président de la République [1], limoge le chef du gouvernement et suspend l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). En septembre 2021, il nomme un nouveau gouvernement et se dote du pouvoir de légiférer par décret. Il dissout le Conseil supérieur de la magistrature le 6 février 2022 et met en place un conseil provisoire. L’ensemble de ces décisions touchent aux institutions politiques créées depuis la révolution.

Que reste-t-il alors du soulèvement populaire de décembre 2010 qui débouche sur la chute de la dictature Ben Ali en janvier 2011 [2], inaugurant les Printemps arabes au Moyen-Orient, soulevant un grand vent d’espoir dans ce pays et dans le monde arabe ? Que reste-t-il des revendications de liberté, démocratie, dignité et justice sociale [3] ?

Les Tunisiens célèbrent l’anniversaire de la révolution
Janvier 2014 : les jeunes Tunisiens se rassemblent sur l’Avenue Habib Bourguiba pour célébrer le troisième anniversaire de leur révolution. Photo de Magharebia (CC BY 2.0)

Depuis la révolution, le paysage politique et social s’est profondément transformé

La révolution a produit des attentes quant à une autre manière de gouverner. Le pays passe de l’autoritarisme à une démocratie et organise les premières élections libres en octobre 2011.
Pendant ces années de transition, la société civile n’a cessé de s’engager pour participer au processus de démocratisation, pour défendre les droits et les aspirations des citoyen·nes et porter des revendications économiques et sociales. Cette ouverture s’est traduite par la création de nombreux partis et la reconnaissance du rôle des syndicats.
L’affirmation qu’une nouvelle page de l’histoire du pays s’ouvrait s’est traduite par une Constitution votée en 2014 par une assemblée élue au suffrage universel. L’élaboration de cette Constitution, qui a donné lieu à des débats sur la place de l’islam et celle de la femme dans la société, garantit les libertés fondamentales, reconnaît la liberté de conscience et la liberté d’expression.

La Tunisie est le seul des pays des Printemps arabes où la paix civile a été préservée et où s’est ouvert le champ des libertés individuelles et collectives, malgré une période de transition tumultueuse et incertaine, alors que les violences policières persistent et que les médias sont toujours menacés.

Dix ans après, le peuple est toujours en colère

Les personnes qui ont remplacé le dictateur déchu n’ont pas tenu les promesses de justice et de dignité que portait la révolution. L’incapacité des puissances économiques et politiques à répondre aux attentes des citoyen·nes est manifeste.

L’économie est en panne, laissant de nombreux jeunes au bord de la route qui sont nombreux·ses à avoir quitté leur pays pour tenter leur chance en Europe. Le secteur informel emploie 53 % de la population active, le taux moyen de chômage avoisine les 18,4 %, l’endettement public atteint 90 % du PIB et les politiques sociales se consacrent essentiellement à des dispositifs d’assistance et d’emplois précaires tandis que les inégalités sociales et régionales persistent.

Les politiques des gouvernements successifs ne se sont guère démarquées de celles de Ben Ali, le fonctionnement clientéliste n’a pas disparu et les figures de l’ancien régime ont réapparu dans l’administration comme dans la vie politique.

Par ailleurs, les luttes de pouvoir, entre modernistes et islamistes, la recherche permanente d’alliances entre forces politiques parfois opposées rendent la scène politique confuse et instable, et ont réduit la crédibilité des partis aux yeux des Tunisien·nes.

La mise en place d’un régime d’exception

Dans ce contexte, Kaïs Saïed est élu président de la République en 2019. Sa stature d’universitaire, professeur en droit constitutionnel, réputé intègre et soucieux de faire la guerre à la corruption, rassure nombre de Tunisien·nes, notamment la jeune génération. Il annonce qu’il est favorable à une réforme complète du système et des pratiques politiques de son pays, à la mise en place d’une démocratie directe, par le peuple et pour le peuple, où les jeunes auront toute leur place.

Les libertés menacées

En juillet 2021, après une journée de manifestations et l’incendie des bureaux d’Ennahdha [4], Kaïs Saïed évoque un « péril imminent » pesant sur les institutions nationales (article 80 de la Constitution), pour prendre les pleins pouvoirs. Depuis, même s’il précise que son objectif est l’instauration d’un régime démocratique direct, le scepticisme gagne nombre de Tunisien·nes qui se demandent si la gestion autocratique de leur pays ne signe pas la fin de la transition démocratique née de la révolution populaire il y a dix ans.