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Technocritique et écologie : les années 1970

, par JARRIGE François

À la fin des années 1960, tandis que la question écologique s’affirme, les techniques pénètrent de plus en plus dans le champ de la critique sociale et politique. Alors que les oppositions aux grands équipements et aux politiques de modernisation des années 1945-1960 souffraient d’un manque de visibilité dans l’espace public et d’un déficit d’assises théoriques, celles des années 1970 montent en puissance et deviennent plus visibles (Pessis, Topçu et Bonneuil, 2013). Alors que le cadrage modernisateur des dites « Trente Glorieuses » entre en crise, les alertes environnementales ne cessent en effet de monter en puissance, les pollutions s’affirment comme une préoccupation majeure et la durabilité du monde industriel et de son système technique sont de plus en plus remis en cause. Les années 1968 représentent à cet égard un tournant en ce qu’elles marquent « un âge d’or des luttes » et conduisent à contester tous les pouvoirs établis, qu’il s’agisse de l’État, des entreprises comme de toutes les grandes organisations (Mathieu, 2010). Les grèves ouvrières et les révoltes étudiantes bouleversent les représentations antérieures, modèlent de nouveaux répertoires d’action et inaugurent un nouveau cycle de radicalité et d’insubordination. Le seuil des années 1970, considéré comme le point d’achèvement de la période héroïque des « Trente Glorieuses », est par ailleurs traversé de multiples crises socio-écologiques qui amènent à interroger les trajectoires antérieures : choc pétrolier, crises monétaires, publication du rapport du club de Rome annonçant la fin de la croissance dans un monde fini, débats autour du choix nucléaire, contestations du gigantisme technicien et scientifique et de ses nuisances. La technique cesse d’être un donné naturel non questionnable et est de plus en plus perçue comme un enjeu politique qui doit être mis en débat. Les pensées critiques et les alertes contre les risques d’un développement technologique sans contrôle s’étendent alors que l’écologie politique offre un langage alternatif aux anciens idiomes politiques.

Au début des années 1970, les analyses critiques de la technologie et les tentatives pour dévoiler ses enjeux et ses mythes se multiplient dans le champ intellectuel. Les techniques cessent d’être pensées comme de simples moyens, neutres, permettant d’accroître la maîtrise sur le monde au bénéfice du plus grand nombre, pour devenir de plus en plus les symptômes d’une modernité en crise. L’apparition du mot technocritique, un néologisme forgé par le philosophe-ingénieur Jean-Pierre Dupuy comme titre d’une collection très « illichienne » lancée aux éditions du Seuil en 1975, est caractéristique de cette recomposition du langage et du champ intellectuel. Par ce terme, il s’agissait de contester l’idée que « la technique est neutre, qu’elle fera le bien et le mal selon les intentions de ceux qui la gèrent ». Comme l’énonçait le texte de présentation de cette collection : « les maux et les frustrations dont souffre l’humanité ne sont pas dus simplement à des “bavures” ou à une planification défectueuse de la société industrielle, mais découlent inévitablement de caractéristiques intrinsèques du projet technique qui amènent à prendre pour fin ce qui n’est que moyen. Il est grand temps de reconnaître que l’outil est parvenu à imposer sa loi propre, même à ceux qui s’imaginent en être les maîtres ».

Jeune polytechnicien ayant fait le choix de rompre avec la carrière d’ingénieur pour devenir philosophe, Jean-Pierre Dupuy est alors très proche d’Ivan Illich qu’il a côtoyé au Mexique. Les écrits d’Illich jouent en effet un rôle décisif dans la première moitié des années 1970. Ce sont eux qui amènent par exemple André Gorz vers l’écologie politique et permettent une alliance de la critique marxiste et écologiste autour de la contestation technocritique. Autour de penseurs marxistes hétérodoxes s’élabore en effet une critique radicale de l’organisation scientifique du travail et du contrôle de la technologie par le capital. Dans son recueil sur la Critique de la division du travail, André Gorz constatait ainsi que « l’histoire de la technologie capitaliste peut-être lue dans l’ensemble comme l’histoire de la déqualification des agents directs de la production ». La question de l’autonomie de l’individu, de sa liberté d’action dans un univers d’abstraction et de réseaux techniques englobant devient centrale. Elle est au cœur des nombreux « pamphlets » – comme il appelait lui-même ses ouvrages – publiés par Ivan Illich au début des années 1970. Illich était un ancien prêtre qui avait rompu avec l’Église dans les années 1950 avant de se consacrer à l’enseignement en créant en 1961, dans une petite ville au sud de Mexico, un centre de formation interculturelle. Par ses ouvrages alors célèbres et traduits dans de nombreuses langues, comme La Convivialité, Énergie et équité, Une société sans école ou encore Némésis médicale, tous publiés dans la première moitié des années 1970, tous le fruit de recherches et de réflexions largement collectives, Illich élabore une critique radicale de la société industrielle sur-outillée. Pour lui, les techniques ont cessé d’être des facteurs d’autonomie et d’émancipation pour devenir des sources d’aliénation. L’une des originalités de son travail est qu’il se tourne vers le monde des services plutôt que celui de l’industrie. À travers l’étude de ces « méga-machines » que sont l’école, l’hôpital, le système des transports, il forge le concept de « contre-productivité ». Au-delà d’un certain seuil, explique-t-il, les techniques et les grandes institutions modernes deviennent en effet contre-productives, c’est-à-dire qu’elles se retournent contre leur finalité initiale : l’école désapprend, la vitesse des transports fait perdre du temps, la médecine devient néfaste à la santé.

C’est dans La Convivialité (en américain Tools for Conviviality) qu’Illich expose de la façon la plus radicale et la plus globale sa critique de la société industrielle et technicienne. L’ouvrage sort en même temps aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France en 1973. Il était d’abord paru en plusieurs livraisons dans le journal Le Monde ; dans les années qui suivent il est traduit en danois, néerlandais, japonais, espagnol, allemand et italien. Dans ce livre, présenté comme un « tract » et un « outil » pour l’action et la réflexion, l’enjeu est de proposer à la fois une critique générale du « mode industriel de production », tout en offrant des ressources conceptuelles pour définir « d’autres modes de production post-industriels ». Illich ne s’attaque pas à « la » technique de façon générale et abstraite, mais à certaines d’entre elles, produites par le capitalisme, et au « méga-outil » dont le fonctionnement échappe à l’utilisateur. Illich prend d’ailleurs bien soin de distinguer entre « deux espèces de techniques » : celles qu’il qualifie de « conviviales », qui accroissent le champ de l’autonomie, et celles, « hétéronomes », qui le restreignent ou le suppriment. Il propose d’opérer un retour aux « outils conviviaux », ceux qui acceptent plusieurs utilisations et peuvent être l’expression libre de l’utilisateur. Entérinant l’échec historique de la gauche à domestiquer la machine, Illich suggère de reconstruire le rapport à la technique sur de nouvelles bases :

« Cela fait une centaine d’années que nous essayons de faire travailler la machine pour l’homme et d’éduquer l’homme à servir la machine. On s’aperçoit maintenant que la machine ne « marche » pas, que l’homme ne saurait se conformer à ses exigences [...] La dictature du prolétariat et la civilisation des loisirs sont deux variantes politiques de la même domination par un outillage industriel en constante expansion. L’échec de cette grande aventure fait conclure à la fausseté de l’hypothèse ». En s’inscrivant sans ambiguïté dans la tradition du socialisme et de ses idéaux de justice, il conclut que « l’idéal proposé par la tradition socialiste ne se traduira dans la réalité que si l’on inverse les institutions régnantes et que si l’on substitue à l’outillage industriel des outils conviviaux » (Illich, 1973, p. 26).

Rompant avec 150 ans de représentation du phénomène technique forgé au début de l’âge industriel, identifiant les relations entre le changement technique et le progrès social et moral, les années 1970 constituent un moment de réflexivité et de mise en cause importante des trajectoires techniques antérieures et d’intenses expérimentations pour initier d’autres chemins alternatifs. Certes, les querelles autour des machines n’ont rien d’inédit dans le débat intellectuel, elles existent depuis les débuts de l’âge industriel et ressurgissent à chaque moment de crise et de transformation du capitalisme industriel, que ce soit dans les années 1830, 1890 ou 1930 (Jarrige, 2014). Mais l’importance des questions environnementales et écologiques marque indéniablement la spécificité des années 1970 qui voit l’émergence d’une alliance inédite entre une critique sociale cherchant à renouveler les grilles d’analyses marxistes et une critique environnementale mettant en cause l’empreinte matérielle et écologique des grands outils techniques de la modernité que sont l’automobile, le nucléaire ou l’aviation. Les années 1960 avaient en effet été marquées par le déferlement de grands projets techniques dans tous les domaines, par la construction massive d’autoroutes, les grands programmes d’exploration lunaire, la compétition mondiale autour des grands projets modernisateurs à l’époque de la guerre froide. En Amérique du Nord comme en Europe, la contestation des « technosciences » devient dès lors un thème fédérateur pour les mouvements sociaux des années 1970 : les pacifistes dénoncent l’arsenal technologique gigantesque déployé par le « complexe militaro-industriel » au Vietnam, alors que les mouvements écologistes critiquent le déferlement des pesticides chimiques et leurs menaces pour l’environnement. À la suite des expertises et alertes scientifiques des années 1960 – notamment les célèbres écrits de la biologiste Rachel Carson – le Congrès des États-Unis interdit en 1969 l’usage du DDT en raison de ses effets sur la santé, contre l’avis des experts de l’administration. En 1971, il refuse le financement de l’avion supersonique pourtant considéré comme prioritaire par le gouvernement. Dans un contexte de profonde recomposition idéologique, la critique des techniques se développe, se complexifie, acquiert une nouvelle légitimité et une audience inédite, alors même qu’un nombre croissant d’objets envahit le quotidien de la « société de consommation » : fours à micro-ondes, couches jetables, télécommandes et distributeurs de billets apparaissent tous au cours des années 1970.

C’est dans ce contexte que Jean-Pierre Dupuy lance en 1975 la collection « Techno-critique », qui publie une quinzaine de titres avant de disparaître en 1981. Cette aventure éditoriale joua un rôle important dans le débat intellectuel des années 1970 et participa d’un mouvement bien plus vaste, en Europe comme aux États-Unis, de remise en cause du consensus moderniste antérieur. À travers la notion de « technocritique », il s’agissait de rejeter les débats trop binaires entre les supposées « technophobes » réactionnaires et les « technophiles » progressistes en affirmant que les techniques n’étaient pas neutres. L’enjeu était de formuler une critique politique des techniques en montrant qu’il s’agit d’institutions sociales insérées dans des rapports de force sociopolitiques et des environnements physiques fragiles. S’émancipant des alternatives trompeuses en termes de refus ou d’acception des techniques, les technocritiques des années 1970 participent d’une réflexion bien plus vaste sur les « technologies alternatives » alors promues par de nombreux ingénieurs et expérimentateurs à la recherche de trajectoires techniques à petites échelles, décentralisées, sobres en énergie. Contre l’idée que les techniques seraient neutres et que seuls les usages en définiraient le sens, les théoriciens et promoteurs des technologies douces considéraient qu’il ne suffit pas d’intervenir par la fiscalité, le droit ou les prix pour réguler les changements, c’est le type même des technologies et des infrastructures matérielles utilisées qui devait être interrogé.

Centrale électrique en pleine activité, dégageant de fortes fumées. Crédit photo : J.W. Vein, via Pixabay

Les deux premiers ouvrages publiés en 1975 dans la collection « Techno-critique » sont significativement ceux de René Dumont, célèbre agronome devenu candidat écologiste à l’élection présidentielle française en 1973 et figure de proue du mouvement écologiste – La croissance... de la famine ! –, qui invitait à repenser l’agriculture ; et celui d’Illich, Némésis médicale, traduit par Jean-Pierre Dupuy et publié en 1975. Dans les années qui suivent, la collection s’étoffe d’ouvrages importants pour l’histoire de la pensée écologique et la construction d’une écologie politique contestataire et subversive. Cornelius Castoriadis et Daniel Cohn-Bendit y publient ainsi De l’écologie à l’autonomie en 1981, où ils s’interrogent sur les actions à entreprendre face aux « potentialités apocalyptiques de la technoscience ». Jean Robert dénonce en 1980 Le temps qu’on nous vole. Contre la société chronophage. Plusieurs médecins s’en prennent au fonctionnement de l’hôpital et à L’Intoxication vaccinale. Le socioéconomiste Ingmar Granstedt publie quant à lui en 1980 L’Impasse industrielle où il scrute les ravages technologiques sur le monde du travail et imagine divers scénarios pour diminuer le temps de travail et développer des activités productives vernaculaires.

Parallèlement à ces écrits technocritiques, la décennie 1970 voit aussi la diffusion élargie et la vogue pour des auteurs ayant élaboré leurs réflexions bien avant, mais qui étaient restés relativement marginaux dans le champ intellectuel. C’est notamment le cas de l’américain Lewis Mumford qui publie à la fin des années 1960
Le Mythe de la machine, vaste somme traduite en français dès 1973. Il y explore les transformations de la condition humaine et les raisons qui expliquent « l’abandon irrésistible de l’homme moderne à sa technologie, même au prix de sa santé, de sa sécurité physique, de son équilibre mental » (Mumford, 1973 : vol. 1, 11). L’ouvrage connaît un grand succès car il paraît en phase avec les contestations radicales de l’autoritarisme bureaucratique et du gigantisme technologique qui suivent 1968. Le « mythe de la machine » désigne l’illusion selon laquelle l’être humain serait d’abord Homo faber, homme fabricant au moyen d’outils puis de machines. Contre cette thèse « sclérosante », Mumford suggère « que l’homme est surtout un animal créateur d’esprit, qui se maîtrise soi-même et se crée soi-même » ; plutôt que la maîtrise de son environnement, le développement humain vise d’abord au développement de son organisme et de son organisation sociale. La thèse est ambitieuse puisqu’il s’agit purement et simplement de refonder « les représentations stéréotypées du développement humain » afin de sortir du fatalisme technologique. Dans son livre, Mumford analyse aussi le tragique qui accompagne le déploiement de la civilisation industrielle où les promesses de la technique moderne ont été trahies par ce qu’il nomme la « méga-machine » autoritaire. Dans la continuité de ses travaux des années 1960, il s’efforce de définir ce qu’il appelle « les deux technologies » : « l’une « démocratique » et dispersée, l’autre totalitaire et centralisée » (Mumford, 1963) : pour Mumford, la technique n’est pas pour autant devenue autonome et omnipotente. Il juge que les sociétés humaines pourraient reprendre le contrôle et diriger leurs trajectoires, en bref qu’elles continuent d’avoir le choix.

Plus pessimiste et fataliste quant au devenir des sociétés techniciennes, il faut également mentionner le français Jacques Ellul qui devient une figure de premier plan du débat intellectuel au cours des années 1970, échangeant notamment avec Cornelius Castoriadis ou Guy Debord. C’est d’ailleurs sous l’influence d’Ellul que Debord se tourne vers la question de la technique et de l’écologie politique après la publication de La Société du Spectacle en 1967. Dans les années 1970, Jacques Ellul publie beaucoup. Après 1968, il s’engage par exemple dans une vaste réflexion sur le phénomène des révolutions. Selon lui, elles sont désormais impossibles car le fétichisme de la marchandise exacerbée par la société technicienne fait passer l’idéal de liberté au second plan derrière la recherche du confort matériel. La société technicienne annihile la capacité révolutionnaire du prolétariat car « la société n’est plus fonction du capital mais de la technique qui est puissamment intégratrice » (Ellul, 1969 : 29). Si la classe ouvrière existe toujours, elle ne peut plus être révolutionnaire comme au temps de Marx car le prolétariat a été absorbé par la société technicienne jusqu’à partager ses objectifs et ses aspirations. En 1977, il publie Le Système technicien, deuxième volet de sa trilogie inaugurée dans les années 1950 avec son premier livre intitulé La Technique, ou l’enjeu du siècle. Il y propose une analyse très dense des liens entre « technique » et « société » et montre comment la première s’est désormais constituée en un système interdépendant et s’est imposée comme le facteur déterminant de l’évolution sociale ; un système qui s’accroît sans cesse aux dépens de la démocratie comme des ressources naturelles. Même si cette affirmation de l’autonomie de la technique est largement repoussée et contestée, le thème s’installe au centre de nombreux débats et analyses. C’est d’ailleurs pour répondre aux apories de la société technicienne qu’Ellul s’engage dans le militantisme écologiste dans les années 1970, notamment contre la Mission interministérielle de la côte aquitaine qui tente de promouvoir de grands équipements pour stimuler l’aménagement et le développement du tourisme.

Après une décennie de technocritiques intenses et de mise en cause de l’emprise technoscientifique sur le monde au nom de la liberté, de l’émancipation et de la préservation de la biosphère, les années 1980 sont marquées par un reflux. Les expérimentations en faveur des technologies alternatives échouent face aux choix politiques en faveur de la puissance, face aussi à l’influence croissante des grands lobbies industriels dans un contexte de compétition internationale exacerbée. La question des techniques tend à disparaître du champ politique alors même que de nouvelles utopies technologiques accompagnent le triomphe de l’informatique et de ses idéologies de la communication. Ces évolutions réactivent les anciens mythes du progrès. Les raisons pour lesquelles s’opérait la « technocritique » des années 1970 s’effacent alors que la nouvelle frontière informatique annonce la croissance et le plein emploi, la « dématérialisation » censée atténuer les destructions écologiques ou l’imaginaire des réseaux ouvrant la démocratie numérique. Au cours des années 1990-2000 pourtant, les promesses technologiques semblent à nouveau déçues et la technocritique semble ressurgir. Elle retrouve une indéniable légitimité, alors que les sciences du système terre et de la nature s’accordent de plus en plus pour voir dans notre planète un organisme appauvri par les activités industrielles et leur gigantisme technique, où les équilibres sont altérés et la faune et la flore partout en crise, où les catastrophes se multiplient de façon de plus en plus incontrôlable, préparant un effondrement social et environnemental désormais annoncé.

Plus qu’une « crise écologique » ou « environnementale », qui nécessiterait une bonne gestion de la part de décideurs enfin devenus conscients, l’idée que nous vivons une révolution de nature géologique impliquant de repenser en profondeur nos imaginaires, comme les attachements qui nous relient aux objets, aux autres et au monde, s’impose. C’est d’ailleurs en l’an 2000 qu’est apparue la notion d’anthropocène, censée caractériser la nouvelle ère géologique qui s’est ouverte avec l’entrée dans l’ère industrielle, ou que s’impose le « principe de précaution » censé institutionnaliser des politiques plus prudentes face aux risques technoscientifiques. L’ampleur des controverses autour des OGM constitue sans doute l’apogée de cette nouvelle phase technocritique intense. Depuis le début des années 2010 pourtant, l’imaginaire du progrès technique dans sa version la plus rudimentaire ne cesse d’être réactivé et de ressurgir, d’envahir les médias en marginalisant les discours critiques (Huesemann, 2011). La montée en puissance du transhumanisme, les nouvelles utopies de « l’accélération » et de la modernisation écologique, les idéologies numériques omniprésentes, les vastes projets de géoingénierie, tout annonce un monde toujours plus fasciné par la technique et ses possibilités. Stimulés par des États impuissants et des entreprises multinationales omniprésentes, les discours fatalistes affirmant qu’il n’y a pas d’autres chemins que la course en avant technoscientifique s’imposent un peu partout, au risque d’intensifier encore l’effondrement en cours.

BIBLIOGRAPHIE :

  • BIAGINI, CARNINO G., Les Luddites en France. Résistance à l’industrialisation et à l’informatisation, Montreuil, L’échappée, 2010.
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  • HUESEMANN M. et J., Techno-Fix. Why Technology Won’t Save Us or the Environment, New Society Publishers, Gabriola Island, 2011.
  • ILLICH I., La Convivialité, Paris, Le Seuil, 1973.
  • JARRIGE F., Technocritique. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014.
  • MATHIEU L., Les Années 70, un âge d’or des luttes ?, Textuel, coll. « Encyclopédie critique », 2010.
  • MUMFORD L., Pour une technologie démocratique, La Table ronde, 1963. Réédité dans la revue Agone. Consultable en ligne : http://revueagone.revues. org/1013.
  • MUMFORD L., Le Mythe de la machine, t. 1., La Technologie et le développement humain [1967], et vol. 2, Le Pentagone de la puissance [1970], Fayard, Paris, 1973.
  • PESSIS C. (dir.), Survivre et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, Montreuil, L’échappée, 2013.
  • PESSIS C., TOPÇU S. et BONNEUIL C. (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013.

Paru dans la revue en ligne La Pensée Écologique en octobre 2017.
https://lapenseeecologique.com/jarrige-francois-techno-critique-et-ecologie-annees-1970/