Tchad : un peuple éprouvé qui cherche à s’émanciper

Introduction

, par CIIP, CLID

Tchad. Photo prise le 4 janvier 2018 par Anmede (CC BY-SA 2.0)

Le Tchad, un héritage post-colonial

Depuis plus d’un siècle, l’histoire du Tchad recèle les traces manifestes des actions militaires, socio-économiques et finalement politiques de la France, actions fortement coordonnées avec celles qui se sont exercées sur l’ensemble de l’ex-Empire colonial français subsaharien.

Le pays, dans ses frontières actuelles, est une conséquence de l’extension de l’Empire colonial français au cours des XIXe et XXe siècles ; auparavant trois royaumes différents étaient installés sur son territoire : Ouaddaï et Kanem-Borno vers les frontières actuelles de la Libye et du Soudan, fortement marqués par l’expansion de la langue arabe, de l’islam et par une économie fondée sur la traite négrière ; et, dans les parties occidentale et australe, le royaume Baguirmi, où se sont manifestées à partir du XIXe siècle des influences chrétiennes à côté de l’islam, sans faire disparaître les racines culturelles des populations (animisme, langues vernaculaires, pratiques sociales locales). Entre 1880 et 1960, la colonisation française a fortement pesé sur le pays pendant près de 80 ans, en introduisant la francophonie.

Après la proclamation de son indépendance en 1960, le pays Tchad est resté sous la forme postcoloniale de la domination française. L’utilisation du franc CFA comme dans les pays africains « francophones » est une survivance de cet assujettissement colonial. En outre la domination française a réussi à se maintenir en s’imposant comme soutien indispensable aux dictateurs successifs qui ont exercé le pouvoir à l’issue de conflits parfois violents.

De 1990 à 2021, Idriss Déby Itno s’est maintenu au pouvoir avec le soutien indéfectible de la France : opération Dorca (31 juillet-11 septembre 2004) venue se greffer sur l’opération Épervier mise en place en 1986, elle-même remplacée par l’opération Barkhane le 1er août 2014 ; dernière intervention en date en février 2019 où des Mirages 2000 français ont bombardé une colonne de pick-up de groupes de l’opposition armée, au nord-est du pays... Pour se rendre indispensable et intouchable, le président tchadien avait réussi à se faire passer par les gouvernements français successifs comme un rempart contre l’islamisme terroriste, alors que l’islam tchadien s’est radicalisé avec sa complicité. Après son décès en 2021 lors d’un affrontement avec le Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), son fils Mahamat Idriss Déby l’a remplacé à la tête d’un Conseil militaire de transition puis devient président de la transition. Le président français a pris la décision de mettre un terme à l’opération Barkhane au Sahel le 17 février 2022. En septembre 2022, le dispositif militaire français est réorganisé dans la bande sahélo-saharienne autour de deux points d’appui : la base aérienne projetée de Niamey au Niger et la base aérienne projetée de N’Djamena au Tchad.

La France dispose d’une base militaire au Tchad. Le président Macron, soucieux d’organiser une armée du G5 pour « sécuriser le Sahel » (avec l’assistance financière de l’Arabie saoudite) en rassemblant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, trouve dans ce dernier ses meilleurs soldats. Tout se passe comme si l’histoire agitée des présidents dictateurs tchadiens avait donné à leur armée un avantage relatif de formation et d’expérience. Ainsi l’armée tchadienne est-elle en passe de devenir la principale ressource militaire pour seconder la politique et l’armée françaises dans l’ensemble des pays du Sahel.

Aujourd’hui, après les coups d’État au Mali puis au Burkina Faso, le putsch qui a renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023, Paris est contraint de revoir de fond en comble les conditions de sa présence dans la région du Sahel. Des milliers de civil·es scandent, sous les fenêtres des ambassades ou aux portes des bases militaires françaises, des slogans dénonçant le « néocolonialisme » de la France et réclament le départ des troupes tricolores stationnées sur leur territoire. Ce rejet de la France atteindra-t-il aussi le Tchad ?

Le Tchad est maintenant le pays-clé de la présence française en Afrique. Soutien fidèle et décisif du régime autoritaire en place, la France, tout en s’étonnant du ressentiment des populations africaines, va poursuivre sa complicité avec la dictature Déby comme avec toutes les précédentes. Le régime pourra donc continuer à brimer son peuple et persécuter ses opposants.